Solution à deux Etats, réaction d'Israël, espoir de paix… Six questions sur la reconnaissance de l'Etat de Palestine par la France

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le président français Emmanuel Macron reconnait l'Etat de Palestine devant l'Assemblée générale de l'ONU à New York (Etats-Unis), le 22 septembre 2025. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Le président français Emmanuel Macron reconnait l'Etat de Palestine devant l'Assemblée générale de l'ONU à New York (Etats-Unis), le 22 septembre 2025. (LUDOVIC MARIN / AFP)

La décision de la France de reconnaître la Palestine est le résultat d'un effort diplomatique soutenu par l'Arabie saoudite. Mais ses conséquences sur la guerre à Gaza sont incertaines.

"Le temps est venu de rendre justice au peuple palestinien." La France a officiellement reconnu l'Etat palestinien, lundi 22 septembre, lors d'une Assemblée générale de l'ONU à New York. Emmanuel Macron, qui en avait fait l'annonce fin juillet, coprésidait avec le prince saoudien Mohammed ben Salmane une conférence sur la "solution à deux Etats". "Rien ne justifie plus la poursuite de la guerre à Gaza", a lancé le chef de l'Etat depuis la tribune, en ouverture de son discours, estimant que "le temps de la paix [était] venu".

La décision de la France et d'une dizaine d'autres pays intervient alors que l'offensive israélienne dans la bande de Gaza s'intensifie, avec une opération terrestre à Gaza-ville, entrainant des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés. Alors que le blocus humanitaire imposé par Israël a entraîné une famine de masse, une commission d'enquête internationale mandatée par l'ONU a accusé pour la première fois l'Etat de commettre un "génocide" dans le territoire palestinien. Franceinfo répond à toutes les questions qui se posent après la décision de la France.

1 Quels pays reconnaissent l'Etat de Palestine ? 

Plusieurs pays ont reconnu la Palestine, à quelques jours de l'Assemblée générale de l'ONU. Le Royaume-Uni, le Canada, le Portugal et l'Australie en ont fait l'annonce commune dimanche. Lundi, le Luxembourg, la Belgique, Andorre et Saint-Marin se sont joints à la France. D'autres nations avaient pris la même décision depuis le 7 octobre 2023, notamment l'Espagne, l'Irlande, la Norvège et la Slovénie au printemps 2024. "C'est le seul moyen de réaliser la solution que nous reconnaissons tous comme étant la seule possible pour parvenir à un avenir de paix : celui d'un Etat palestinien qui coexiste aux côtés de l'Etat d'Israël, dans la paix et la sécurité", avait alors déclaré Pedro Sanchez, le Premier ministre espagnol. Proclamé en 1988 par l'Organisation de libération de la Palestine, l'Etat palestinien est reconnu formellement par 158 Etats après l'annonce d'Emmanuel Macron.

2 Qu'est-ce que cela va changer concrètement ?

D'un point de vue légal, la décision française ne devrait pas changer fondamentalement les choses. Pour exister, un Etat n'a pas besoin d'être reconnu formellement par tous les autres et c'est "sans effet sur ses droits et ses obligations internationales", explique ainsi Romain Le Bœuf, professeur de droit international à l'université d'Aix-Marseille, dans Télérama. L'Etat d'Israël n'est lui-même pas reconnu par 21 pays, dont l'Arabie saoudite, devenue un acteur majeur de la sécurité de la région.

Les territoires palestiniens, bien qu'occupés par Israël, possèdent ainsi leurs propres gouvernements et institutions, un drapeau et un hymne. L'Autorité palestinienne gouverne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, tandis que le Hamas est au pouvoir dans la bande de Gaza, territoire ravagé par deux ans de guerre. Depuis qu'elle est devenue membre observateur de l'ONU en 2011, la Palestine fait également partie de plusieurs organisations internationales, comme l'Unesco et la Cour pénale internationale. Elle pourrait un jour devenir un membre à part entière de l'Organisation des Nations unies, à condition que le Conseil de sécurité en fasse la proposition et que celle-ci soit adoptée par l'Assemblée générale. Mais une initiative en ce sens risquerait de se heurter au veto américain, comme ce fut déjà le cas en avril 2024.


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3 Cette reconnaissance n'est-elle que symbolique ?

La France présente cette décision comme une façon de faire pression sur Israël. Elle donne ainsi "de la légitimité aux Palestiniens dans le jeu des négociations avec Israël", analysait l'historienne Frédérique Schillo auprès de franceinfo en avril. Un constat partagé par l'Autorité palestinienne, présidée par Mahmoud Abbas, confrontée à l'accélération de la colonisation israélienne en Cisjordanie. "La reconnaissance de l'Etat palestinien nous donne une perspective d'avenir", a ainsi estimé la ministre déléguée aux Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne, Varsen Aghabekian Shahin, début septembre. La question est vue comme existentielle pour les Palestiniens. "Plus on attend, plus Israël poursuit sa colonisation et son annexion rampante", prévient Bichar Khader, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe contemporain à l'université de Louvain (Belgique), dans le journal L'Echo.

Pour qu'elles ne restent pas symboliques, il faudrait cependant que ces annonces soient suivies d'actes. "Il me semble qu'elles n'ont rien à voir avec les préoccupations ou la souveraineté des Palestiniens à l'heure actuelle", relève Tahani Mustafa. La chercheuse invitée au Conseil européen des relations internationales (ECFR) est "sceptique quant à la capacité de ces Etats à mettre en œuvre cette mesure sur le terrain". "Ces Etats vont-ils stopper l'expansion des colonies israéliennes ? Vont-ils forcer Israël à s'asseoir à la table des négociations ? Vont-ils forcer Israël à cesser de détruire Gaza et de tenter de déplacer son peuple ?" s'interroge la spécialiste. Et de souligner que "sans la bande de Gaza" où l'armée israélienne a accéléré son opération militaire, un Etat, même reconnu, "se réduirait de moitié".

4 Pourquoi les Etats-Unis ou l'Allemagne refusent-ils toujours de reconnaître la Palestine ?

Plusieurs pays s'opposent toujours à la reconnaissance d'un Etat palestinien, en premier lieu les Etats-Unis, ainsi que des pays européens, dont l'Allemagne. La plupart sont des alliés traditionnels de l'Etat hébreu. "Le seul effet [que ces reconnaissances] produisent réellement, c'est de rendre le Hamas plus enhardi", a accusé le secrétaire d'Etat américain Marco Rubio, depuis Jérusalem, le 15 septembre. "Cela constitue en réalité un obstacle à la paix", a-t-il ajouté.

Une position défendue depuis longtemps par la diplomatie américaine. "Bien que [les Etats-Unis] défendent du bout des lèvres la nécessité de créer un Etat palestinien, les Etats-Unis insistent sur des négociations directes entre Israël et la Palestine, ce qui revient à accorder à Israël un droit de veto sur les aspirations palestiniennes à l'autodétermination", analyse Fawaz Gerges, professeur de relations internationales à la London School of Economics, interrogé par la BBC.

Côté Allemand, où l'on défend une solution à deux Etats, le chancelier Friedrich Merz avait estimé en août que les "conditions n'étaient pas remplies" pour une reconnaissance de l'Etat palestinien, rapporte Reuters. Une partie des pays européens conditionnent ainsi une reconnaissance de la Palestine à une décision similaire des Etats arabes, notamment l'Arabie saoudite, envers Israël.

5 Comment réagit Israël à cette pression diplomatique ? 

Le gouvernement israélien s'est montré particulièrement critique face à la décision française. "L'initiative actuelle visant à reconnaître un supposé Etat palestinien (...) récompense le Hamas pour le massacre du 7-Octobre", a déclaré Gidéon Saar, le ministre israélien des Affaires étrangères. Une opinion partagée par le président israélien Isaac Herzog lors d'une visite à Londres (Royaume-Uni), selon qui "toute initiative visant à reconnaître un Etat palestinien à ce stade reviendrait à récompenser le terrorisme et risquerait de compromettre les efforts visant à obtenir la libération des otages et à mettre fin à la guerre".

En réponse à la décision française, Tel-Aviv a menacé d'expulser le consul général français de Jérusalem. De nombreuses voix s'inquiètent d'une annexion pure et simple de la Cisjordanie, occupée par Israël depuis 1967. Le gouvernement israélien, soutenu par l'extrême droite, a largement accéléré l'expansion de colonies illégales dans le territoire palestinien depuis le début de la guerre avec le Hamas. En mai, le ministre de la Défense du pays, Israël Katz, avait envoyé "un message clair" à Emmanuel Macron "et à ses amis" : "Ils reconnaîtront un Etat palestinien sur le papier, et nous construirons ici l'Etat juif israélien."

6 Est-ce que cette reconnaissance peut faire progresser la "solution à deux Etats" ?

(Nouvelle Derrière la question de la reconnaissance de la Palestine se pose celle de la "solution à deux Etats", défendue notamment par la France, qui espère sa relance. Ce compromis politique avait été atteint par les Israéliens et les Palestiniens en 1993, avec la signature des accords d'Oslo. Mais cet objectif a depuis été abandonné. L'Assemblée générale de l'ONU a d'ailleurs adopté un texte en ce sens le 12 septembre, préparé par la France et l'Arabie saoudite. En mai dernier, le Quai d'Orsay soulignait que la reconnaissance de la Palestine était "un outil diplomatique au service de la solution à deux Etats vivant côte à côte, en paix et en sécurité". Paris espère ainsi que sa décision poussera des pays arabes, dont l'Arabie saoudite, à reconnaître Israël, étape essentielle pour normaliser les relations dans la région.

Le texte adopté par l'ONU demande au Hamas de "cesser d'exercer son autorité sur la bande de Gaza et remettre ses armes à l'Autorité palestinienne" et de "libérer tous les otages" détenus à Gaza pour permettre l'instauration d'un Etat palestinien "démilitarisé". Un plan réaliste ? Tahani Mustafa estime que "la solution à deux Etats n'est pas morte, d'abord parce que les Israéliens et les Palestiniens veulent vivre séparés". Mais elle se heurte à une réalité : le refus d'Israël. "On ne peut pas parler de solution à deux Etats si Israël n'arrête pas d'accaparer chaque centimètre carré des territoires palestiniens. Si à la fin n'y a même plus de Palestiniens, comment pourra-t-on alors parler de solution à deux Etats ?", interroge la spécialiste.

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