Pots-de-vin, enquêtes, arrestations... C'est quoi cette affaire de corruption au sein de l'Otan ?

Article rédigé par franceinfo
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Les drapeaux des Etats membres de l'Otan, devant le siège de l'organisation à Bruxelles (Belgique), le 12 septembre 2025. (SIMON WOHLFAHRT / AFP)
Les drapeaux des Etats membres de l'Otan, devant le siège de l'organisation à Bruxelles (Belgique), le 12 septembre 2025. (SIMON WOHLFAHRT / AFP)

Des médias européens révèlent plusieurs affaires de corruption au sein de la NSPA, l'agence de soutien et d'acquisition de l'Alliance atlantique. Une dizaine d'interpellations ont eu lieu au printemps dans sept pays.

C'est une enquête d'ampleur sur une organisation opaque. Des médias belges et français ont révélé, mardi 21 octobre, plusieurs affaires de corruption au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) pour des montants de plusieurs millions d'euros. L'enquête des journalistes de La Lettre, du journal belge Le Soir, du site d'investigation flamand Knack et de la plateforme d'investigation Follow the Money, s'intéresse au rôle d'anciens militaires, liés à des contrats de l'agence de soutien logistique et d'acquisition de l'Otan (NSPA), basée à Capellen, au Luxembourg. Cette enquête retrace le fil de plusieurs investigations internationales, lancées d'abord en Belgique, puis aux Etats-Unis et aux Pays-Bas, et révèle une série de perquisitions menées entre février et juin dans sept pays.

Une agence est donc au cœur de ce scandale : la NSPA, chargée de coordonner "l'acquisition, l’exploitation et la maintenance de systèmes d'armes" pour les 32 pays de l'Alliance. Elle s'assure que les équipements militaires soient compatibles entre eux et facilite les achats groupés à destination des pays membres. Une tâche très importante, alors que ces derniers ont promis en juin d'augmenter leur budget de défense militaire à 5% de leur PIB. "La NSPA, qui compte 1 500 employés, a ainsi été au cœur des achats de 3 milliards d'euros d'équipement militaire en 2023, 7 milliards en 2024", résume Libération.

Des pots-de-vin pour l'attribution d'un marché

Tout a commencé par un signalement de la NSPA aux autorités américaines, relate Le Soir. C'est elle qui partage "ses soupçons de fraudes et malversations avec les autorités américaines, qui à leur tour ont mobilisé le FBI, le service d’enquêtes criminelles de la Défense (DCIS) ainsi que le service d’enquêtes criminelles de la marine (NCIS)", écrit le journal. Les investigations ont mis au jour que plus d'un million d'euros a été versé par une entreprise italienne, TNT, à Scott Willason, un ancien cadre de la NSPA devenu consultant, dans le cadre de l'attribution à cette société transalpine d'un contrat de livraison à l'armée américaine entre 2019 et 2020.

L'homme a également viré plus de 115 000 euros à un agent turc de la NSPA, Ismail Terlemez, en dix virements. "En échange, cet agent de l'Otan, chargé de sélectionner la meilleure offre pour l'armée américaine, a recommandé celle de l'entreprise italienne cliente de Scott Willason", résume La Lettre. Le montant du contrat est de 107 millions d'euros, selon le média. Les deux hommes ont tenté de reproduire le même mode opératoire en 2020, sans succès.

Ismail Terlemez, a depuis quitté l'agence de l'Otan et est devenu le patron d'Arca, une entreprise d'armement turque. Début 2025, les tribunaux américains ont inculpé les deux hommes pour corruption. Ils ont été interpellés le 13 mai, en Suisse pour Scott Willason, et en Belgique pour Ismail Terlemez. Le même jour, le parquet fédéral belge a arrêté Guy Moeraert à l'aéroport de Bruxelles, "un ancien employé de la NSPA devenu consultant". Les pays européens ont été prévenus par les Etats-Unis de potentielles affaires de corruption et ont lancé plusieurs enquêtes coordonnées par Eurojust.

L'enquête belge porte sur "d’éventuelles irrégularités dans l’attribution de contrats aux entreprises de la défense pour l’achat de matériel militaire destiné à l’Otan, tel que des munitions et des drones", explique alors le parquet fédéral à Euractiv. Guy Moeraert est "accusé d'avoir touché d'importantes commissions", souligne Le Soir, alors que les contrats portent sur des montants qui s'élèvent "à des centaines de millions d'euros". Une affirmation rejetée par son avocat.

Les poursuites abandonnées par les Etats-Unis

Les trois hommes, l'Américain, le Turc et le Belge, "œuvraient au sein de la direction des opérations" de la NSPA, explique La Lettre. "Leur trajectoire, celle d'anciens militaires employés par l'Otan puis devenus consultants et continuant d'entretenir des liens étroits avec des agents en poste, révèle un système connu en interne sous le nom d''Old Boys Club'", ajoute le média.

Les quatre médias rapportent l'existence de deux autres affaires. La première concerne un haut fonctionnaire du ministère de la Défense néerlandais, soupçonné d'avoir obtenu des pots-de-vin dans le cadre d'un contrat portant sur des munitions. La deuxième touche deux patrons grecs d'une entreprise roumaine, accusés d'avoir versé 130 000 euros de pots-de-vin à un employé de la NSPA en échange d'un contrat de livraison de fioul maritime.

Les arrestations menées entre février et mai 2025, dans sept pays européens, ont conduit à l'incarcération de plus de dix suspects, dont cinq personnes travaillant ou ayant travaillé pour la NSPA. Mais le 9 juillet, la procureure adjointe américaine, Gail Slater, une proche de Donald Trump, a abandonné les poursuites contre Scott Willason et Ismail Terlemez, sans explication. Guy Moeraert est, lui, toujours emprisonné.

L'Otan refuse de commenter "les enquêtes en cours"

Interrogé par les différents médias sur ces accusations de corruption, l'Otan a refusé de les commenter "pour ne pas interférer avec les enquêtes en cours", a précisé la porte-parole de l'organisation, Allison Hart, au Soir. Les journalistes dénoncent dans leurs articles la grande opacité et l'absence de contrôle des processus d'achats de l'Otan.

Dans un nouvel article publié mercredi, La Lettre estime ainsi que les processus d'audit de l'Otan "sont particulièrement faibles, comparés aux standards des programmes de l'Union européenne, comme la Facilité européenne pour la paix [un instrument qui permet de financer les dépenses militaires au sein de l'UE], qui peuvent chacun être soumis à cinq audits issus de différentes agences bruxelloises".

Tout en affirmant que l'organisation internationale ne tolère "aucune forme de fraude ou de corruption", Allison Hart précise que son secrétaire général, Mark Rutte, et la directrice générale de la NSPA, Stacy Cummings, "ont mis en place un groupe de travail conjoint (…) afin de renforcer les capacités d’enquête et d’enquêter de manière approfondie sur tout cas potentiel de fraude ou de corruption impliquant des membres du personnel de l’agence ou des prestataires travaillant avec celle-ci".

Ces affaires ont provoqué des remous à l'intérieur même de l'Otan, rapporte La Lettre. Le média français fait état d'un manque d'écoute de lanceurs d'alerte de la part de Stacy Cummings, et de manquements dans les enquêtes internes pour corruption, sur fond d'opacité généralisée. En mai, les Etats membres de l'Alliance atlantique avaient demandé "une enquête interne sur d'éventuelles fraudes relevant de la responsabilité de la patronne de la NSPA", révèle La Lettre. Les conclusions se font toujours attendre.

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