Inde : le long et difficile combat des "morts-vivants", des personnes déclarées mortes par erreur

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Article rédigé par France 2 - A. Portes, H. Riou du Cosquer, A. Pandey, V. Ghiri. Édité par l'agence 6Medias
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En Inde, des milliers de personnes sont déclarées mortes par l'administration, alors qu'elles sont bien vivantes. Victimes de fraudes ou d’erreurs administratives, elles se battent pour prouver qu'ils existent.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


"Justice ! Je réclame justice ! Je suis vivant !". Depuis 22 ans, Santosh Singh est un "mort-vivant", officiellement décédé aux yeux de l'administration indienne. Chaque matin, dans son costume de squelette, il crie son désespoir devant le siège de la police. Depuis deux décennies, il tente de prouver qu'il est en vie. Mais il se heurte encore et toujours à l'administration. "Quand je leur dis : vous voyez bien que je respire. Comment un mort pourrait-il respirer ? Ils me répondent : respirer ne suffit pas pour prouver que vous êtes vivant. Pour l'administration, il faut bien d'autres preuves", raconte-t-il.

Sans existence légale, Santosh Singh vit désormais à la rue et passe ses journées sur le bord du Gange. En 2023, alors qu'il a quitté son village natal pour devenir chef cuisinier, il reçoit un appel. Au bout du fil, un ami lui demande s'il est en vie. "J'ai découvert que mes cousins avaient déclaré que j'étais mort pour hériter de mes terres. Ils étaient même en train de célébrer mes funérailles. On peut voler la terre de quelqu'un simplement en le déclarant mort", poursuit Santosh Singh. Il a suffi à ses cousins de soudoyer l'officier d'état civil pour obtenir un acte de décès.

Comme lui, ils sont des dizaines, voire des centaines de milliers en Inde. Lal Bihari est le plus célèbre d'entre eux. En 1976, son oncle obtient un acte de décès, contre seulement 4 euros. Il perd officiellement la vie et ses terres. Après 18 ans de batailles judiciaires qui lui coûteront toutes ses économies, un nouveau juge est nommé et accepte finalement de le déclarer vivant. "Ces magistrats auraient pu rendre leurs décisions en dix jours, un mois tout au plus, et je serais redevenu vivant. Je n'aurais pas eu à me battre aussi longtemps. Au lieu de ça, j'ai dépensé une fortune, je suis couvert de dettes. J'en ai presque été réduit à mendier", déplore-t-il.

Si les morts-vivants sont peu nombreux à revenir à la vie, c'est parce que les procédures sont extrêmement longues. Krishan Kanhaya Pal, avocat, dénonce même un système judiciaire volontairement complexe : "Notre système a été mis en place par les Britanniques. Il a été fait pour piéger les Indiens, pour qu'ils restent coincés dans la machine judiciaire. Mais ça fait 77 ans que nous sommes indépendants. Il serait temps de changer."

"En Inde, il faut bien souvent attendre entre 10 et 20 ans avant d'avoir une décision dans ces affaires. Des procédures très coûteuses, c'est pourquoi beaucoup de morts-vivants finissent par y renoncer", conclut Alexandre Portes, de France Télévisions Inde.

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