Témoignages "S'il faut apprendre à se servir d'une arme, pourquoi pas" : les nouveaux candidats à la réserve militaire racontent leurs motivations

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Depuis le début de l'année 2025, 12 000 personnes ont déposé un dossier de candidature pour intégrer la réserve nationale de l'armée française. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Depuis le début de l'année 2025, 12 000 personnes ont déposé un dossier de candidature pour intégrer la réserve nationale de l'armée française. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Jérôme travaille dans le transport, Bernard est professeur d'université et Marie infirmière. Franceinfo a épluché quelques-uns des 12 000 profils qui ont postulé depuis le début de l'année pour rejoindre le vivier de réservistes des armées.

L'inspiration lui est venue lors d'une pause déjeuner, mi-mars. "Depuis de nombreuses années, je souhaite être utile à mon pays. A 18 ans, j'ai voulu rejoindre la marine nationale, mais cela n'a pas pu se faire." Ainsi commence la lettre de motivation de Jérôme, 53 ans. Vingt lignes, "très personnelles", que franceinfo a consultées, et qui sont aujourd'hui entre les mains du ministère des Armées. A eux de trancher : cet habitant du Pas-de-Calais est-il apte ou non à intégrer la réserve nationale ? Et si oui, pour quels types de missions ? Et à raison de combien de jours par an ?

La réponse pourrait mettre quelques semaines avant de tomber, tant les services de l'Etat croulent sous les candidatures. Depuis le début de l'année, d'après les chiffres obtenus par franceinfo, 12 000 personnes ont rempli le formulaire en ligne pour rejoindre ce vivier de volontaires, destiné à "soutenir les armées en cas de besoin, en donnant de leur temps, mais aussi en partageant leurs compétences acquises dans la sphère civile", selon le ministère. Surtout, 7 500 l'ont fait dans la foulée de l'allocution d'Emmanuel Macron début mars. "Ça me trottait dans la tête déjà avant. Mais quand il a dit à la télé que la patrie avait besoin de nous, ça m'a parlé. Je me suis dit : 'Vas-y, c'est le bon moment'. En quinze minutes, j'étais inscrit", confirme Jérôme.

Dans sa volonté de réarmement, liée au contexte de la guerre en Ukraine et aux récents revirements américains, la France s'est même fixé un objectif : doubler le nombre de réservistes d'ici 2035, pour atteindre le cap des 105 000, comme le mentionne la loi de programmation militaire 2024-2030(Nouvelle fenêtre)

Des profils souvent sans expérience militaire

Grâce à un appel à témoignages, franceinfo a pu "éplucher" les CV de ces néo-candidats, prêts à participer à des missions de surveillance Sentinelle ou à soutenir les armées sur des postes divers comme la mécanique, le transport, la santé ou l'informatique. Les réponses émanent de tout le territoire et la fourchette d'âge est très large : Eliott, 19 ans, écrit de Montpellier ; Alina, 30 ans, d'Annecy (Haute-Savoie) ; Pierre, 36 ans, de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) ; David, 52 ans, de Roanne (Loire) ; Louis, 72 ans, de Côte-d'Or.

Ils confirment tous que le contexte géopolitique du moment a accéléré leur démarche. Amine, originaire de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), veut "défendre le pays". Si Benjamin a déposé son CV, c'est, dit-il, "pour être prêt en cas de conflit armé sur le sol européen". "Nous sommes à un tournant de l'Histoire, avec la guerre en Europe, l'Ukraine envahie, la Russie revancharde et une Amérique qui nous tourne le dos", met en garde Philippe, en empruntant le ton solennel du chef de l'Etat.

 
 

Hormis le service national, effectué il y a parfois trente ou quarante ans, la plupart des candidats n'ont pas la moindre expérience militaire, et leurs métiers n'ont bien souvent rien à voir avec l'armée. "Je suis responsable de site dans le transport routier international, développe Jérôme, originaire de Douai (Nord). J'ai déjà géré jusqu'à cent personnes, j'ai des compétences en logistique, une bonne connaissance du terrain. Donc s'il faut mener des projets entre la France et l'étranger, je saurai faire."

Dans son offre de service, déposée le 28 mars, Bernard s'est montré direct : "Expérience dans le silicium et dans l'intelligence artificielle. Ça devrait quand même pouvoir servir, non ?", veut se convaincre le professeur d'université en poste à Perpignan (Pyrénées-Orientales). Stéphane, qui habite Bardouville (Seine-Maritime), y a aussi mis tout son cœur : "Je peux être utile en occupant un ou plusieurs postes malgré mon âge (65 ans) et un handicap (difficulté à l'effort)". Nicolas, 21 ans, encore étudiant à Rennes, a choisi l'onglet "armée de terre". Signes particuliers : "Dispose de compétences en informatique. Maîtrise le codage. Parle quatre langues : français, anglais, espagnol, et russe."

"J'ai toujours voulu m'engager. J'avais 11 ans lors des attentats de novembe 2015. J'avais été frappé par le sentiment d'unité nationale, la 'Marseillaise' qui avait été chantée dans ma ville. Ca fait écho en moi aujourd'hui."

Nicolas, étudiant

à franceinfo

Au moment d'appuyer sur la touche "envoyer", Thierry a, lui, pensé fort à ses aïeux. "Pendant la Seconde Guerre mondiale, mon grand-père maternel était dans la Résistance. Ma mère aussi, elle était agent de liaison et s'occupait des parachutistes anglais, confie le caméraman-réalisateur de 66 ans, établi en Charente-Maritime. Je suis si reconnaissant de leur engagement... Pour moi, défendre mon pays, notre République, notre démocratie, c'est tout naturel." Jérôme, lui, n'a pas eu besoin de rassurer son épouse. Elle l'a vu venir. "Quand je lui en ai parlé, elle m'a dit : 'Je te reconnais bien là, je ne suis même pas surprise. Si tu as envie de le faire, fais-le. Je t'encourage, même'".

"Ma démarche n'a rien d'un coup de tête"

Pourtant, l'entourage peut parfois être un frein à ces candidatures. Avant même l'entretien avec les gradés du ministère des Armées, Marie a dû faire face à l'étonnement de ses proches : "Ils m'ont demandé : 'Mais pourquoi veux-tu faire ça ? Pourquoi l'armée ? C'est fermé, c'est hiérarchique !'" L'infirmière de 31 ans, en poste à l'hôpital public de Montélimar (Drôme), préfère en rire. "Ma démarche n'a pourtant rien d'un coup de tête. J'ai postulé en février, mais ça fait bien quinze ans que j'y pense. J'ai envie de varier mon champ de compétences et de me confronter à des valeurs qui me sont chères et qui sont celles de l'armée : le respect, la discipline, la droiture, la fraternité."

Exactement ce qu'a tenté d'expliquer Romane à sa mère : "Avec la guerre en Ukraine, elle s'imagine plein de choses, que je vais être envoyée sur le front, confie la lycéenne de 17 ans, scolarisée dans les Pyrénées-Atlantiques. J'ai essayé de la rassurer en lui expliquant que ce serait un honneur pour moi de porter l'uniforme." Ça a fonctionné : ses parents ont accepté de lui faire un courrier dérogatif l'autorisant à postuler avant sa majorité. Prochain rendez-vous pour elle, la formation générale initiale du réserviste (FGIR), programmée en juillet. 

Nicolas, lui, doit répondre à son entretien dans une semaine. Il s'y prépare sérieusement, après ses cours à l'université de Rennes. "Je m'entraîne chez moi, je répète mes arguments dans ma tête. Ça me stresse car j'ai vraiment envie d'y arriver." Alors il imagine toutes les questions possibles : "S'il faut apprendre à se servir d'une arme, à tirer ? Bien sûr, pourquoi pas."

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