: Témoignage "La peur était pire que la douleur" : un militant ukrainien, libéré il y a six mois, revient sur les coups reçus lors de sa détention par les Russes
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Ancien prisonnier des Russes, Maksym Butkevytch revient sur ses deux années de détention dans la région de Louhansk. Entre coups, peur et espoir, cet Ukrainien témoigne auprès de franceinfo à l'heure du plus grand échange de prisonniers de la guerre entre Moscou et Kiev.
Un millier d'hommes, civils ou militaires, ont été libérés de chaque côté. L'Ukraine et la Russie viennent de procéder, fin mai 2025, au plus grand échange de prisonniers depuis le début de l'invasion, il y a trois ans et demi. Des scènes de joie et une émotion qu'a connues, avant eux, l'Ukrainien Maksym Butkevytch. Libre depuis quelques mois, ce militant des droits de l'homme avait été détenu par les Russes pendant deux ans.
"C'est un moment vraiment réjouissant, cet échange de prisonniers !", s'enthousiasme l'ancien détenu. Il se félicite face à ces centaines d'hommes enfin revenus des prisons russes, lui qui a vécu la même chose, il y a six mois désormais. "Quand je vois ces gens libérés qui pleurent, qui s'embrassent, se tombent dans les bras et ceux de leurs proches, je connais ce sentiment. C'est incroyable", confie-t-il.
Capturé en juin 2022
Maksym Butkevytch est un militant pacifiste de longue date. Mais il s'engage dans l'armée ukrainienne, comme volontaire, lorsque Moscou envahit son pays. Il est capturé dans le Donbass, avec son peloton, en juin 2022. Détenu à Louhansk pendant deux années, il grave des bâtonnets dans le mur pour compter les jours. "Ça marche toujours", dit-il, dans un sourire. Il n'est pas surpris aujourd'hui de voir les visages creusés, les corps fatigués des prisonniers tout juste libérés. "Personne ne gagne en santé là-bas. Personne ne prend de poids ! Moi-même, j'avais perdu 30 kilos. Ça m'allait plutôt bien, cela dit !", rigole-t-il.
Transformé, mais sans jamais perdre son sens de l'humour, Maksym s'était aussi remis au français, en cellule, sans livre ni professeur : "J'essayais de me rappeler un mot après un autre, puis de faire des phrases, et ça marchait, j'étais très content." Il s'estime chanceux de ne pas avoir été torturé mais "seulement" frappé, plusieurs fois, "dont une fois avec un bâton de bois, j'ai encore cette marque sur l'épaule".
Il poursuit : "Et puis on me menaçait : d'électrocution, d'exécution, de viol… Ce genre de choses. Mais c'était plutôt psychologique. Le plus difficile ? C'était de ressentir la peur. C'était pire que la douleur. Car avoir mal et tenter de survivre, c'est une chose, mais la peur, c'est l'anticipation de la douleur, et elle vous paralyse."
"Je repense encore beaucoup à mon expérience de captivité"
Il raconte que certains gardiens étaient "de véritables sadiques, prenant plaisir à humilier et à faire souffrir les autres". Lui ne parvenait pas à comprendre comment ces Russes pouvaient ainsi consacrer leur vie à agir de cette manière "au service d'un dictateur fou". Ses geôliers lui inspirent de la pitié : "Je les regardais en me disant 'mais vous pourriez faire tellement mieux de votre vie, vous êtes en train de la gâcher'", raconte l'Ukrainien.
Ce qui l'a aidé à tenir ? Ce sont ses proches, notamment ses parents, avec qui il a pu échanger lors d'une occasion inespérée, en prison, fin 2022. "On m'a donné trente secondes au téléphone pour leur parler, et c'était l'un des jours les plus heureux de l'année", décrit l'Ukrainien.
"J'ai tenu le coup en pensant à ma famille, à mes amis, à mes collègues. Je leur faisais entièrement confiance. Je savais qu'ils pensaient à moi, qu'ils faisaient quelque chose pour moi."
Maksym Butkevytchà franceinfo
Maintenant qu'il les revoit librement, qu'ils repassent du temps ensemble en Ukraine, son père lui dit toujours, au moindre désaccord entre eux : "Tout va bien, fiston, ça n'a pas d'importance. La seule chose qui compte, c'est que tu sois libre." Passée l'euphorie de la libération, et la possibilité de tout choisir : un thé ou un café, pouvoir aller à droite ou à gauche, il comprend que le chemin reste long : "Presque sept mois que je suis libéré : c'est déjà beaucoup, mais en même temps, les psychologues me disent aussi que c'est une période très courte. Je repense encore beaucoup à mon expérience de captivité. Je dois apprendre à vivre avec. Et j'y arrive."
Peu optimiste sur la suite de la guerre
Mais il ne parvient pas à se dire qu'il est revenu à "la vie normale" : "Car le pays que je retrouve est différent de celui que j'ai quitté. Et parce que certains ne sont plus là." Lui qui a consacré sa vie aux droits humains reprend son combat. Il voyage en Europe pour raconter la guerre et décrire ce qu'il a vu du monde russe durant ces deux années emprisonné parmi des dizaines d'hommes, civils et militaires.
"Je suis heureux de constater, avec cet échange record entre Kiev et Moscou, que ce ne sont pas seulement des soldats mais aussi des détenus civils qui sont libérés, car leur situation est encore pire que celle des prisonniers de guerre, explique Maksym Butkevytch. Pour ces derniers, il existe des mécanismes d'échange, c'est lent et complexe, mais cela existe. Alors que les détenus civils ne peuvent généralement pas être libérés ou échangés. Nous assistons aujourd'hui à une exception." Il a regardé très attentivement, ce week-end, les visages sur les photos, guettant les noms sur la liste car la plupart des hommes de la section qu'il commandait sont toujours aujourd'hui en captivité.
Comment voit-il maintenant les prochaines semaines et les prochains mois ? Y a-t-il un mince espoir de sortir du conflit ? Il n'est pas optimiste. "Nous avons donc besoin de pourparlers de paix, mais la façon dont les choses se passent aujourd'hui rend la paix impossible, explique Maksym Butkevytch. Car tout couvre-feu, toute pause sera utilisé par la Russie pour se réarmer et relancer de nouvelles attaques. Quand on nous dit : 'Renoncez à vos territoires et vous vivrez en paix', c'est non. La Russie ne sait pas quoi faire de son propre territoire, il est trop vaste."
"La Russie ne s'intéresse pas au cinquième du territoire ukrainien qu'elle a occupé jusqu'à présent, tout ce qu'elle fait, c'est y raser la plupart des villages et des villes."
Maksym Butkevytchà franceinfo
Maksym Butkevytch assure que la Russie ne souhaite que la destruction de l'Ukraine, en imposant ses propres valeurs. "Et cela ne concerne pas que notre pays, mais toutes les sociétés qui croient aussi à l'action humaine, à la dignité humaine, à la coopération, à la liberté et aux droits de l'homme. Les Russes détestent cela, et je l'ai constaté de l'intérieur."
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