: Reportage "On s'adapte très vite, on n'a pas beaucoup de temps" : les Ukrainiens tentent de rattraper l'avance prise par les Russes sur les drones filaires

C'est l'une des innovations tactiques majeures de ces derniers mois dans la guerre en Ukraine : des drones à fibre optique, également appelés drones filaires. Plus stables que les drones d’attaque classiques et surtout insensibles aux tentatives de brouillage, ces appareils de petite taille ont été introduits par les Russes pour faire de la reconnaissance ou pour attaquer. Les Ukrainiens tentent de rattraper leur retard. Ils ont notamment développé des unités chargées de vérifier le bon fonctionnement de ces engins.

L'une de ces unités se trouve à Kharkiv. Dans ce petit atelier, caché du regard de la rue, Anton est penché sur un drone à quatre hélices. "Je vérifie sa configuration, explique-t-il. Je vois s'il m’envoie les vidéos, leur qualité. Ensuite je vérifie les paramètres de changement de régime du moteur et si tous ses capteurs fonctionnent correctement." Le drone est ensuite équipé d’une grosse bobine d'un fil transparent presque aussi fin qu'un cheveu. "Le fil a une épaisseur d'un quart de millimètre, 250 microns, et malgré ça, il est assez solide sauf si on le plie en boucle, là il se casse", détaille Anton.

Une fibre de 20 km de long

Ce fil de 20 kilomètres se déroule progressivement quand le drone avance. Son avantage : rendre les appareils invisibles jusqu'à ce qu'ils larguent leur charge explosive. "Comme ils n'émettent aucune onde radio, ils ne sont pas repérables et on ne peut pas les brouiller", affirme Anton. Impossibles donc à neutraliser par l'ennemi, dans cette guerre électronique permanente que se livrent Russes et Ukrainiens.

Les drones filaires demandent toutefois un pilotage spécifique : alourdis par la bobine de fibre optique, les appareils sont moins facilement manoeuvrables que des drones commandés par radio. Si elle se prend dans de la végétation ou rencontre des obstacles, la fibre peut par ailleurs s’emmêler ou se casser... et le drone est perdu. Il y a aujourd'hui tellement de drones à fibre optique sur le front qu'on peut tomber sur des endroits boisés entièrement recouverts de longs filaments transparents, comme une toile d'araignée géante : c'est ce qui reste des fibres qui se sont brisées. Mais l'avantage de ces drones, c'est qu'ils peuvent voler à basse altitude ou dans des forêts dégagées sans craindre de perdre le signal, contrairement aux appareils classiques.

Autre avantage, leur transmission à haut débit : elle fournit une image vidéo d'excellente qualité, qui permet à l'opérateur de mener des frappes très précises - l'image ne disparaît pas non plus après l'impact et l'explosion.

La guerre industrielle

L'Ukraine, qui cherche à rattraper son retard sur les Russes, devrait bientôt lancer une fabrication en série. Elle a 80% des composants sous la main sauf la fibre optique. "En Ukraine on ne la produit pas. On doit la commander en Chine. Mais les Russes, eux, ils achètent carrément des usines entières", raconte Anton.

La course à l’innovation technologique est intense et le temps presse. "On s'adapte très vite, on n'a pas beaucoup de temps et quand on s'adresse à nos partenaires européens, ils nous donnent des délais de six mois, un an, mais nous, on a une semaine", assène Vlad, qui a monté cette entreprise pour répondre à la demande. Depuis le début de l'année, l'Ukraine a renforcé ses capacités en matière de drones filaires, avec la mise en service de plus de 20 nouveaux modèles, que ce soit pour la reconnaissance, la surveillance ou les frappes. Onze entreprises nationales sont désormais engagées dans leur production, récemment désignée comme une "priorité stratégique" pour le pays."C’est pour ça qu’on est obligés de tout faire très vite, plus vite que n’importe quel laboratoire de recherche d’université en Europe, aux Etats-Unis ou n’importe où dans le monde", poursuit-il.

Aujourd’hui, l'Ukraine fabrique environ 2 000 drones filaires par mois. Elle ambitionne de passer rapidement à 10 000.