"J’ai vu quatre personnes mourir en prison tellement elles avaient été tabassées" : le lourd héritage des prisonniers ukrainiens après leur captivité

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Article rédigé par France 2 - M. de Chalvron, F. Le Moal, L. Lavieille, I. Olyniik - Édité par l'agence 6Medias
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Plus de 200 prisonniers ukrainiens retrouvent la liberté après des années de captivité en Russie. Derrière les retrouvailles émouvantes, se cachent des corps meurtris et des esprits brisés. Pour ces anciens détenus, commence désormais un long chemin de reconstruction, entre douleur, espoir et cicatrices indélébiles.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


L’attente est insoutenable. Un groupe de plus de 200 prisonniers ukrainiens est sur le point d’être libéré. Une Ukrainienne a été mise au courant que son mari, le père de la petite Anna, se trouve parmi eux. "Je n’en peux plus de l’attendre. Il me manque tellement", confie-t-elle. Après trois heures d’attente, le convoi finit par arriver. La petite fille retrouve enfin son père. Il est méconnaissable : il a perdu plus de 30 fg. Le moment est aussi fugace qu'intense. Son père doit repartir pour passer des tests médicaux. La mère, bouleversée et inquiète, raconte : "Je ne sais pas ce qui a pu changer en lui pendant ces trois années et demie de captivité, ni quel homme il est devenu."

Des cicatrices physiques et morales

Pour les anciens prisonniers ukrainiens, c’est un long chemin qui commence désormais, chargé de leur histoire douloureuse dans les prisons russes. Andrii Pereverzev a été libéré en mai dernier. Il porte ses quinze mois de détention inscrits dans sa chair. Ses geôliers ont gravé cette inscription sur son ventre : "Gloire à la Russie."

Il témoigne : "Une femme est arrivée, une infirmière je crois. Elle m'a dit : ne t’inquiète pas, quand tu seras chez toi, tu pourras l’effacer. Je ne comprenais pas de quoi elle parlait. J’ai vu ça au bout d’une semaine. Comment peut-on réagir quand on découvre ça sur sa peau ? J’étais sous le choc. J’étais paniqué."

Dès sa libération, Andrii Pereverzev a demandé à faire disparaître cette scarification, située juste à côté de la cicatrice de sa blessure. "Les docteurs ont commencé à faire des injections, ensuite il y aura du laser et après ils lisseront la peau. Je suis un être humain. Je veux aller à la plage l’été, je ne veux pas me baigner avec un t-shirt. Les gens normaux ne peuvent pas comprendre. Il n’y a que les militaires et les ex-prisonniers qui savent ce que c’est. Je connais un autre gars, ils lui ont fait une croix nazie sur la tête avec un couteau."

Rien de plus humiliant pour un soldat ukrainien que de vivre avec une telle inscription. Andrii Pereverzev n’est pas une exception. D’autres prisonniers ont été mutilés comme lui. Il y a ceux qui souffrent dans leur corps et ceux qui ont du mal à retrouver une vie normale. "J’ai vu quatre personnes mourir en prison tellement elles avaient été tabassées", se souvient Oleksander Rybka.

La lente reconstruction des âmes brisées

Ce jeune homme de 25 ans a passé plus de trois années dans des prisons russes. Il en est sorti il y a six mois et prend encore des médicaments pour surmonter sa dépression. "La captivité, c’était comme un jour sans fin pour moi. C’est comme si ces trois années n’avaient pas existé. C’est très dur pour moi à comprendre."

Des pensées suicidaires le traversent régulièrement. Alors, pour chasser ses idées noires, le jeune homme, de retour chez lui, s’adonne à sa nouvelle passion : assembler des maquettes à longueur de journée. "J’ai fait ma première maquette quand j’avais un moment de dépression. Ça aide à se concentrer. Il y a plein de petites pièces. On n’assemble pas seulement un robot ou autre chose. C’est un peu comme si on s’assemblait soi-même."

Oleksander Rybka rêve un jour de retourner sur le front pour aider son pays. Une perspective encore lointaine. Au total, 6 235 prisonniers ukrainiens ont été libérés depuis le début de la guerre.

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