Geste à destination de Washington, usure dans l'opinion publique… Pourquoi Volodymyr Zelensky change-t-il de Premier ministre ?
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a annoncé vouloir remanier son gouvernement pour remplacer notamment le Premier ministre et le ministre de la Défense, avec l'ambition affichée d'insuffler un nouvel élan après trois ans et demi d'invasion russe.
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Un moment charnière pour l'Ukraine. Alors que les frappes aériennes russes s'intensifient sur le pays, notamment par drones et missiles, Volodymyr Zelensky a annoncé, le lundi 14 juillet 2025, un remaniement gouvernemental, présenté comme le plus important depuis le début de l'invasion russe en février 2022. Ioulia Svyrydenko, ministre de l'Economie depuis 2021, a été désignée pour succéder au Premier ministre sortant Denys Chmygal.
A charge pour elle et son nouveau gouvernement d'"augmenter la production nationale d'armes en Ukraine", ou encore "libérer le potentiel économique interne de notre pays, et garantir la mise en œuvre complète des programmes d'aide sociale destinés à notre population", a annoncé mardi le président ukrainien sur X. Mais derrière cette feuille de route, se joue davantage, tant sur la scène intérieure qu'internationale. Les nouvelles nominations symbolisent "la volonté pour l'Ukraine de faire un pas vers les Etats-Unis", confirme à franceinfo Oksana Mitrofanova, politiste et enseignante-chercheuse à l'université Jean Moulin Lyon 3.
Un remaniement dicté par l'usure intérieure
Le remaniement intervient alors que l'armée ukrainienne a récemment perdu du terrain dans la région de Kharkiv, et la situation militaire reste critique sur le front après trois ans et demi de guerre. Dans ce contexte, l'espoir des Ukraniens de voir leur pays l'emporter contre la Russie s'effrite, selon un sondage de l'Institut international de sociologie de Kiev (KIIS) publié en juillet. Face à cette usure, Volodymyr Zelensky cherche à redonner de la vigueur à un appareil démocratique affaibli par l'impossibilité d'organiser de nouvelles élections, suite à la loi martiale promulguée en février 2022. "Le gouvernement a besoin de changement, car les gens sont fatigués", reconnaît Tymofiy Mylovanov, ancien ministre de l'Economie, interrogé par l'AFP. Un remaniement pourrait "apporter une forme de fraîcheur".
L'image d'un certain renouvellement du gouvernement peut donner l'espoir d'une transformation à l'intérieur du pays.
Oksana Mitrofanova, enseignante-chercheuse à l'université Lyon 3à franceinfo
Pour autant, l'ancien Premier ministre ukrainien ne quitte pas la scène. Volodymyr Zelensky a souligné que son "immense expérience" serait précieuse au ministère de la Défense, secoué par plusieurs scandales de corruption liés aux achats d'équipements militaires.
Envoyer un message à l'allié américain
Ce remaniement dépasse les enjeux strictement intérieurs et s'inscrit aussi dans une recomposition diplomatique, tournée vers les Etats-Unis. "L'objectif principal de Volodymyr Zelensky, c'est tout simplement la survie de l'Ukraine. Et cette survie dépend très fortement de l'aide militaire américaine. Si elle s'arrête, c'est la catastrophe", soutient Oksana Mitrofanova.
Dans ce contexte, nommer Ioulia Svyrydenko, connue pour avoir négocié en mai un accord stratégique sur les terres rares avec l'administration de Donald Trump, "doit être vu comme une tentative d'améliorer les relations" avec Washington, explique la chercheuse ukrainienne. "Les Etats-Unis ont insisté sur la signature de cet accord." De son côté, l'ancien ministre de l'Economie ukrainien Tymofiy Mylovanov rappelle à l'AFP qu'"elle a été le personnage-clé, menant les négociations seule. Elle a réussi à empêcher qu'elles échouent". Pour Mykola Davydiuk, politologue interrogé par le Washington Post, cette nomination est un message clair adressé à la Maison Blanche : elle "est maintenant notre Première ministre, grâce à cet accord".
La nomination de Ioulia Svyrydenko, deuxième femme ukrainienne à occuper ce poste, revêt une portée symbolique en pleine guerre. Pour Oksana Mitrofanova, ce choix pourrait ainsi améliorer la perception du pays auprès de ses partenaires, notamment en Occident. "On peut parler de féminisme, mais aussi de nouveautés dans la politique ukrainienne", souligne la spécialiste qui y voit une réponse aux attentes internationales, dans un contexte où l'Ukraine cherche à préserver ses alliances et à projeter une image de modernité démocratique.
Au-delà du gouvernement, la recomposition s'étend sur les nominations diplomatiques. Volodymyr Zelensky a par exemple proposé que Roustem Oumerov, actuel ministre de la Défense, devienne ambassadeur à Washington, en remplacement d'Oksana Markarova, critiquée par les Républicains pour ses liens jugés trop étroits avec les Démocrates, selon l'enseignante-chercheuse. "C'est un signal fort sur l'aide militaire", explique cette dernière qui rappelle que ce poste est un élément central de la politique ukrainienne. Et pour cause, Kiev craint notamment un possible désengagement américain en cas de revirement politique à Washington.
Un renforcement du cabinet présidentiel
Si la proposition de Ioulia Svyrydenko à la tête du gouvernement a été qualifiée par Volodymyr Zelensky de renouvellement, elle ne marque pas une rupture politique profonde. "On assiste à un jeu de chaises musicales. Ce sont toujours les mêmes personnes qui changent de poste", souligne Oksana Mitrofanova. "La ministre de l'Economie devient Première ministre, le Premier ministre devient ministre de la Défense, le ministre de la Défense devient ambassadeur… Ce ne sont pas de nouvelles personnalités."
Plusieurs analystes et membres de l'opposition y voient aussi une consolidation du pouvoir présidentiel, orchestrée depuis le bureau d'Andriy Yermak, chef de cabinet de Volodymyr Zelensky. "Ioulia Svyrydenko est une personne qui a eu une forte coopération avec Yermak", rappelle la politiste. "Il est évident que l'influence du cabinet présidentiel va croître", dénonce de son côté Mykola Kniajytsky, député d'opposition, auprès de l'AFP.
Une inquiétude renforcée par les récentes mesures du gouvernement de Volodymyr Zelensky, qui a notamment imposé des restrictions financières et interdit les déplacements à son principal opposant, l'ex-président Petro Porochenko. Le maire de Kiev, Vitali Klitschko, a pour sa part mis en garde contre une Ukraine qui "glisse vers un autoritarisme corrompu", à l'image du système russe, selon des propos rapportés par le New York Times.
Enfin, la question démocratique reste en suspens. "Le Parlement commence à réfléchir sérieusement à la manière d'organiser des élections en temps de guerre", confie Oksana Mitrofanova, qui souligne l'enjeu de garantir le droit de vote aux réfugiés, aux déplacés internes, aux combattants sur le front et aux populations en temps de guerre. "C'est un dilemme, car on ne peut pas exclure que la guerre dure encore des années. Mais il est impossible pour l'Ukraine de rester durablement sans élections", conclut-elle.
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