Programme nucléaire iranien : quatre questions qui se posent après les frappes américaines sur les sites de Natanz, Fordo et Ispahan

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Donald Trump, accompagné du vice-président J.D. Vance, du secrétaire d'Etat Marco Rubio et du ministre de la Défense Pete Hegseth, s'exprime au sujet des frappes américaines en Iran, le 21 juin 2025, à la Maison Blanche (Washington). (CARLOS BARRIA / AFP)
Donald Trump, accompagné du vice-président J.D. Vance, du secrétaire d'Etat Marco Rubio et du ministre de la Défense Pete Hegseth, s'exprime au sujet des frappes américaines en Iran, le 21 juin 2025, à la Maison Blanche (Washington). (CARLOS BARRIA / AFP)

Israël et les Etats-Unis disent avoir atteint leur objectif d'anéantir le programme iranien. Mais plusieurs observateurs s'interrogent sur la réalité de ces affirmations.

Que reste-t-il du programme nucléaire iranien ? La question se pose, mardi 24 juin, alors que Donald Trump a annoncé une trêve de vingt-quatre heures entre Israël et la République islamique. En menant des frappes contre plusieurs sites nucléaires, Tel-Aviv et Washington ont dit vouloir empêcher Téhéran d'obtenir la bombe atomique. Une menace que l'Etat hébreu affirme désormais avoir "éliminée".

Qu'en est-il réellement ? Si Donald Trump a assuré avoir "oblitéré" trois sites clés du programme iranien lors de bombardements menés dimanche, son administration s'est montrée un peu moins affirmative. "Les dommages définitifs prendront un certain temps à être analysés", a reconnu le chef d'état-major Dan Caine lors d'une conférence de presse.

Franceinfo fait le point sur les questions qui demeurent après ces frappes, alors que certains observateurs espèrent que le cessez-le-feu – que Tel-Aviv accuse déjà Téhéran d'avoir violé – laisse entrevoir de possibles nouvelles négociations sur ce dossier hautement sensible.

1Les sites nucléaires iraniens ont-ils été détruits ?

C'est la principale question qui se pose depuis que les Etats-Unis sont intervenus aux côtés d'Israël. Les deux pays disent vouloir empêcher l'Iran de se doter de l'arme atomique – officiellement, Téhéran dit enrichir de l'uranium à des fins civiles. Dans la nuit de samedi à dimanche, l'armée américaine a largué une douzaine d'ogives GBU-57 sur deux sites : Natanz, plus grand centre d'enrichissement d'uranium du pays, et Fordo, autre complexe clé enfoui à plus de 80 m sous terre. Seul Washington dispose dans son arsenal de cette bombe anti-bunker, capable de frapper des installations profondément enterrées.

Le complexe d'Ispahan, qui abrite plusieurs laboratoires de recherche et une usine de conversion d'uranium, a également été visé par une trentaine de missiles. Donald Trump a d'abord affirmé, peu après ces frappes, que les trois sites nucléaires iraniens avaient été "oblitérés". L'analyse d'images satellites a en effet révélé des dégâts sur les bâtiments en surface et à l'entrée de certains souterrains, rapporte CNN.

Le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, a estimé que de nombreuses centrifugeuses avaient été endommagées à Natanz, qui en compterait 10 000 unités. Les frappes ont aussi probablement causé des "dégâts très importants" à Fordo, "compte tenu de la charge explosive utilisée et de l'extrême sensibilité aux vibrations" des machines qui s'y trouvent.

On ignore toutefois l'étendue exacte de ces dégâts. Si la GBU-57 peut atteindre des cibles à 60 m sous terre, Fordo est enterré à plus de 80 m. Détruire le complexe nécessiterait donc de frapper au même endroit avec plusieurs bombes antibunker. Cette puissante ogive n'a par ailleurs pas été utilisée à Ispahan, où les frappes semblent avoir principalement touché les bâtiments en surface, affirme un expert cité par CNN.

Les images satellites ne permettent pas de confirmer la destruction totale des parties souterraines des trois sites. "Les seuls à pouvoir actuellement se rendre sur place sont les autorités iraniennes", explique Kevan Gafaïti, enseignant à Sciences Po Paris et chercheur au Centre Thucydide de l'université Panthéon-Assas. "Dans la mesure où l'AIEA ne peut pas y envoyer ses inspecteurs, elle ne peut ni confirmer ni infirmer l'ampleur des dégâts sur ces trois sites."

2 Où se trouve l'uranium enrichi de l'Iran ?

L'autre interrogation majeure après ces frappes est la localisation des 408,6 kg d'uranium enrichi à 60% – un taux proche des 90% est nécessaire pour une bombe atomique – de l'Iran. D'après l'AFP, la dernière fois que l'AIEA a vu ces stocks remonte au 10 juin. Mais trois jours plus tard, au premier jour de l'offensive israélienne, le ministre des Affaires étrangères iranien a annoncé à l'agence la mise en place "de mesures spéciales pour protéger les équipements et la matière nucléaire".

Ces réserves, qui permettraient théoriquement de fabriquer neuf bombes, ont "très probablement été déplacées vers des lieux inconnus et renforcés, hors de portée de potentielles frappes israéliennes ou américaines", juge Darya Dolzikova​, spécialiste de la prolifération nucléaire, sur le site du think-tank britannique RUSI. Dimanche, l'Agence iranienne de l'énergie atomique a ainsi assuré que les matières fissiles avaient été évacuées en amont de l'attaque ordonnée par Donald Trump, rapporte l'agence Associated Press.

Si ces affirmations ne peuvent être vérifiées de manière indépendante, des images satellites capturées jeudi et vendredi montrent des mouvements de camions près de Fordo, révèle NBC News. Selon l'AFP, l'uranium enrichi, qui prend la forme de poudre stockée dans des conteneurs, peut être aisément transporté en voiture. "Un autre indice semblant aller dans ce sens est que l'AIEA a déclaré, dans son premier rapport après les frappes, qu'aucune radiation nucléaire n'avait été enregistrée près de ces trois sites", avance Kevan Gafaïti.

Des images satellites capturées par Maxar Technologies montrent des camions près d'une entrée souterraine du complexe de Fordo, en Iran, le 19 juin 2025. (SATELLITE IMAGE 2025 MAXAR TECH / AFP)
Des images satellites capturées par Maxar Technologies montrent des camions près d'une entrée souterraine du complexe de Fordo, en Iran, le 19 juin 2025. (SATELLITE IMAGE 2025 MAXAR TECH / AFP)

Pour sa part, le secrétaire d'Etat américain, Marco Rubio, "doute [que les Iraniens] aient déplacé" ces réserves. "Les Israéliens l'auraient vu", a assuré le responsable américain dans un entretien à la chaîne CBS. "Nous supposons qu'une large partie de l'uranium enrichi à 60% est enterrée profondément à Ispahan", a-t-il insisté. Face à ces incertitudes, "nous devons permettre aux inspecteurs de retourner [sur place] et de faire le point sur les stocks", a plaidé Rafael Grossi, le patron de l'AIEA, à l'ouverture d'une réunion d'urgence à Vienne.

3La guerre peut-elle faire cesser le programme nucléaire iranien ?

Le vice-président américain J.D. Vance a affirmé dimanche que l'Iran n'avait "plus la capacité de transformer [ses stocks] en un uranium de qualité militaire" après les frappes à Natanz et Fordo. "C'était l'objectif recherché", a assuré le vice-président américain. "Si Fordo a effectivement été fortement endommagé (...), cela porterait un coup important à la capacité iranienne de produire de la matière fissile pour une arme atomique", confirme Darya Dolzikova​.

Cela ne ferait toutefois que ralentir le programme nucléaire iranien, estime Kevan Gafaïti. "Depuis les années 2000, Téhéran a réparti ses activités nucléaires dans le pays, rappelle le spécialiste. Si ses trois sites principaux ont été visés – et on ignore encore l'ampleur des dégâts – d'autres installations essentielles ont été épargnées, par exemple l'usine de production d'eau lourde d'Arak."

Les observateurs soupçonnent par ailleurs Téhéran d'avoir dissimulé à l'AIEA une partie de ses centrifugeuses, installées dans des sites inconnus. D'autres affirment que l'Iran a construit un nouveau centre d'enrichissement d'uranium sous la "montagne de la pioche", à côté de Natanz, note BFMTV.

"Depuis 20 ans, l'Iran développe son programme nucléaire et se prépare à un scénario de conflit. Ces frappes peuvent causer un retard majeur à ses projets, mais cela se comptera en mois, pas en années."

Kevan Gafaïti, spécialiste de l'Iran

à franceinfo

"Le programme nucléaire, ce n'est pas seulement le matériel, mais aussi l'humain", soulève Kevan Gafaïti. Dès le premier jour de son offensive, vendredi 13 juin, Israël a tué six scientifiques iraniens dans des frappes. Un autre est mort dans une frappe de l'Etat hébreu, lundi, à quelques heures du cessez-le-feu.

Ce ne sera "pas suffisant pour détruire le savoir acquis" par la République islamique, avance Darya Dolzikova. "En 2020, le chef du nucléaire iranien, Mohsen Fakhrizadeh, avait été assassiné dans une attaque à Téhéran", attribuée au Mossad, rappelle Kevan Gafaïti. "Le programme ne s'est pas arrêté pour autant." "Les experts tués ces derniers jours avaient déjà transmis leur savoir à une nouvelle génération", ajoute le spécialiste. "L'Iran conserve une vaste expertise qui lui permettra, à terme, de reconstituer les éléments de son programme qui ont été endommagés ou détruits", abonde Darya Dolzikova.

4 Reste-t-il une chance de parvenir à un accord avec Téhéran ?

Lorsque Israël a lancé son opération "Lion dressé", vendredi 13 juin, la République islamique s'apprêtait à mener un sixième round de discussions sur son programme nucléaire avec Washington. La rencontre a finalement été annulée et l'espoir de trouver un nouvel accord s'est éloigné. "Nous n'oublierons pas que l'Iran était en plein processus diplomatique avec un pays [les Etats-Unis] désormais en guerre contre nous", a déclaré le ministère des Affaires étrangères iranien, dénonçant "une trahison de la diplomatie".

Le cessez-le-feu de vingt-quatre heures annoncé par Donald Trump laisserait-il entrevoir une possible reprise des négociations ? Pour Kevan Gafaïti, l'espoir est d'autant plus ténu que Washington dispose aujourd'hui de "beaucoup moins de leviers diplomatiques et politiques" pour faire pression sur la République islamique. "Quel intérêt aurait l'Iran à coopérer avec le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et l'AIEA ? Qu'ont-ils encore à perdre, alors qu'Israël et les Etats-Unis les attaquent déjà ?" s'interroge le chercheur.

En frappant ses principaux sites nucléaires, Tel-Aviv et Washington espèrent avoir sapé toute intention iranienne d'y parvenir. Mais certains observateurs estiment que l'offensive pourrait avoir l'effet inverse. "Le fait que les Etats-Unis aient, pour la première fois, mené des attaques directes sur le territoire iranien pourraient très bien pousser Téhéran à conclure que sa seule option pour dissuader une attaque nucléaire est d'obtenir l'arme nucléaire", souligne Darya Dolzikova. 

"Les frappes américaines ont poussé l'Iran dans ses derniers retranchements. Sur le plan matériel, elles ont ralenti le programme, mais du point de vue de la doctrine, elles l'ont peut-être encouragé à accélérer sa recherche du nucléaire."

Kevan Gafaïti, spécialiste de l'Iran

à franceinfo

"Après cette attaque sur son sol, la quête du nucléaire est devenue symboliquement existentielle pour l'Iran, c'est une question de souveraineté nationale", résume Kevan Gafaïti. "Sous le régime actuel, je ne les vois pas renoncer à leur programme."

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