Témoignage "J'ai survécu, mais des milliers d'autres restent piégés en Birmanie" : un acteur chinois retenu par un réseau de trafiquants d'êtres humains se livre

Xu Bochun pensait répondre à une petite annonce pour un second rôle d'acteur quand il est tombé dans les griffes d'un groupe mafieux.

Article rédigé par Sébastien Berriot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Xu Bochun, un acteur chinois tombé dans un réseau de trafiquants d'êtres humains en Birmanie. (SEBASTIEN BERRIOT / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Xu Bochun, un acteur chinois tombé dans un réseau de trafiquants d'êtres humains en Birmanie. (SEBASTIEN BERRIOT / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Un témoignage rare. Celui d'un Chinois qui s'est retrouvé pris au piège des trafiquants d'êtres humains en Birmanie. Des groupes mafieux contraignent, encore aujourd'hui, des dizaines de milliers de personnes à participer à des arnaques en ligne. Les victimes se retrouvent en situation de quasi-esclavage, battues et forcées à travailler dans des zones de non-droit en territoire birman. Xu Bochun a vécu cet enfer pendant plusieurs mois, avant de réussir à s'enfuir.

Pour rencontrer Xu Bochun, un rendez-vous discret est donné dans un grand parc de Shanghai. Malgré les pressions de la police chinoise, l'homme de 39 ans éprouve un incroyable besoin de raconter cet épisode douloureux de sa vie qui continue de hanter ses nuits.

Tout a commencé en 2023, Botchun est alors un petit acteur, qui gagne difficilement sa vie. Juste avant l'été, un inconnu se rapproche de lui sur le réseau social WeChat pour lui proposer un second rôle dans une grosse production. Tout va très vite, le tournage est annoncé dans la provinve du Yunnan, les billets de train sont réservés, Bochun arrive à Xishuangbanna, une ville chinoise située juste avant la frontière birmane. L'acteur se retrouve alors dans un groupe avec d'autres Chinois et il comprend que la petite annonce était un piège.

"Il y avait une odeur de sang"

"Nos pièces d'identité et nos téléphones portables ont été confisqués, se souvient-il. Nous avons roulé jusqu'au pied d'une montagne. Il n'y avait aucune lumière, seulement la lune. A ce moment là, nous n'étions plus libres de nos mouvements." Bochun raconte aussi qu'une douzaine d'hommes, en tenues de camouflage et avec des couteaux accrochés à leurs ceintures, les ont encerclés.

"J'ai commencé à avoir peur et à paniquer. Ils nous ont obligé à gravir une montagne à pied pendant toute une nuit. Ensuite, après deux jours de route, on s'est retrouvés dans une maison au nord de la Birmanie où il y avait déjà 70 à 80 Chinois, tous menottés, indique Bochun. La surveillance était assurée par quarante mercenaires birmans armés de fusils à leur main droite et de barres électriques à leur main gauche."

L'homme se rend alors compte qu'il entre dans une sorte de "centre de tri humain" pour des trafiquants. "Chaque jour, les représentants des réseaux d'arnaques en ligne venaient dans la maison pour choisir leur main d'oeuvre. Ils portaient des masques parce qu'il y avait une odeur de sang, en raison des coups que subissaient de nombreuses personnes." Bochun raconte avoir porté des menottes pendant trente jours, comme les hommes autour de lui. "Ils nous frappaient avec des bâtons aux fesses et aux jambes, au moins dix coups chaque jour. "

"Si on résistait, les coups étaient encore plus forts. Je les ai même vu tirer sur des personnes qui résistaient."

Xu Bochun, survivant d'un trafic d'êtres humains

à franceinfo

L'acteur chinois est ensuite transféré dans un grand immeuble et contraint à travailler. "Je vivais au quatrième étage et travaillais au septième. On avait chacun quatre iPhones sur lesquels on devait gérer 20 comptes Instagram afin d'arnaquer les gens avec de faux investissements dans les cryptomonnaies. Quasiment sans pauses, de 10h du matin jusqu'à 2h du matin, le lendemain."

"Les employés qui ne s'acquittaient pas de leurs tache avaient droit à des punitions corporelles. La première semaine, il devaient s'accroupir, la deuxième semaine, s'accroupir en portant un seau et la troisième semaine, ils étaient frappés", se souvient Bochun.

"Ceux qui tentaient de s'échapper, on leur enlevait un rein"

Xu Bochun a bien pensé à s'échapper, mais ça lui a été impossible et, surtout, c'était trop risqué. "Ceux qui tentaient de s'échapper étaient vite rattrapés et j'ai vu la punition. On leur enlevait un rein. Les mercenaires montraient ensuite les cicatrices aux autres pour les dissuader, décrit-il. Ceux qui réussissaient à rapporter de l'argent avaient le droit de manger du pangolin, des pattes d'ours et pouvaient aussi profiter de services sexuels. Mais si l'employé n'était pas performant, il était revendu pour un prélèvement d'organes."

Un matin, le comédien a réussi à transmettre son adresse à un ami d'enfance. Le sauvetage durera plusieurs mois au prix d'énormes sacrifices pour sa famille qui doit payer une rançon de 140 000 euros. Aujourd'hui, Bochun s'en est sorti, même s'il préfère ne pas s'étendre sur les conditions du retour dans son pays, où il a passé dix jours en détention. Au vu de l'implication de nombreux ressortissants chinois dans ces trafics, le sujet est considéré comme tabou par le régime de Pékin.

Bochun garde des séquelles. "Avec cette peur de la mort, cette torture mentale toute la journée et la nuit, tous mes organes semblaient atteints, mes cheveux sont tombés en grande quantité, et je fais des cauchemars", explique-t-il. "C'est terrible. J'ai survécu, mais des milliers d'autres restent piégés en Birmanie."

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