Où est passé Mikola Statkevitch, cet opposant biélorusse libéré qui a sauté d'un bus pour refuser son exil en Lituanie ?
Le sort de cet ancien candidat à la présidentielle est encore incertain. Il aurait été renvoyé en prison après avoir refusé la grâce obtenue dans le cadre d'un accord entre Washington et Minsk, selon un média d'opposition.
Sa trace a été perdue quelque part entre la Biélorussie et la Lituanie. Mikola Statkevitch, opposant biélorusse historique, ancien candidat à la présidentielle, n'a plus donné de nouvelles de lui depuis le rocambolesque transfert dont il s'est extirpé, jeudi 11 septembre. Ce jour-là, la Biélorussie avait libéré 52 prisonniers politiques – dont 14 étrangers – dans le cadre d'un accord conclu avec les Etats-Unis. Parmi eux se trouvait une figure historique, symbole des espoirs déchus de l'opposition : l'ancien candidat à la présidentielle Mikola Statkevitch, condamné à quatorze ans de prison en 2020. Il était prévu de le conduire en Lituanie, pays voisin, comme tous les autres bénéficiaires de la grâce. En exil forcé, certes, mais en sécurité.
Mais l'opposant de 69 ans ne l'entendait pas de cette oreille. Quand son autobus est arrivé au poste-frontière, le sexagénaire a d'abord forcé la portière pour s'enfuir vers son propre pays. Mikola Statkevitch a été stoppé et sa tentative a été rapidement avortée, selon le récit d'un membre de l'opposition en exil, Denis Koutchinsky, cité par Radio Svoboda. Une fois en zone neutre, un peu plus tard, l'opposant a ensuite refusé ostensiblement de rejoindre le pays voisin. Le journal Nacha Niva, l'un des rares médias d'opposition biélorusses, a diffusé plusieurs images de vidéosurveillance où il apparaît assis sur un muret, désœuvré, avec une barrière de douanes au second plan.
Evgueni Vilsky, leader du parti Narodnaïa Hramada (sociodémocrate) et conseiller de l'opposant, a livré son témoignage au média biélorusse Nexta, après avoir pu rencontrer le prisonnier politique grâcié. L'épouse de Statkevitch et des diplomates américains, dit-il, ont d'abord tenté à plusieurs reprises de le convaincre de passer en Lituanie, où de nombreux Biélorusses ont trouvé refuge depuis la répression des manifestations de 2020. En vain. Puis "on m'a accordé cinq minutes, c'était la dernière tentative, et on m'a conduit au poste-frontière", poursuit Evgueni Vilsky. "J'ai dit [à Mikola Statkevitch] qu'ils avaient besoin d'un leader. Mais il a répondu qu'il avait déjà fait son choix, et qu'[Alexandre] Loukachenko ne pouvait pas lui dicter où il devait être et ce qu'il devait faire."
Reconduit en Biélorussie, selon un témoin
Mikola Statkevitch a ensuite été conduit vers un lieu inconnu par des hommes masqués qui se trouvaient à proximité pendant toute la séquence, poursuit son conseiller. "Personne ne lui a rien dit. Ni où il allait être conduit, ni rien. Le temps était écoulé, et nous sommes partis. Ils l'ont emmené dans l'autre direction, et c'est tout." L'état de santé de Mikola Statkevitch suscite par ailleurs l'inquiétude. Il est "épuisé, aminci et chauve" après cinq années en prison, a décrit Evgueni Vilsky, tout en le jugeant combatif.
Le propagandiste Grigori Azarenok a d'abord affirmé à la télévision, jeudi, que l'opposant avait gagné la Lituanie par ses propres moyens. Mais les autorités ont ensuite précisé qu'elles ne savaient pas où se trouvait Mikola Statkevitch. "D'un point de vue humanitaire, on ne peut pas le laisser dans la forêt", a toutefois déclaré au média d'opposition Zerkalo le responsable d'une commission sur les Biélorusses vivant à l'étranger, proche du pouvoir. En citant, pêle-mêle, le danger supposé lié à la présence d'animaux sauvages, de "mines lituaniennes" et de migrants illégaux. "S'il se dirige vers la Lituanie, il sera interpellé par les gardes-frontières lituaniens, et s'il se dirige vers nous, nos gardes-frontières le prendront et il purgera le reste de sa peine" de prison. En réalité, Mikola Statkevitch serait déjà de retour derrière les barreaux dans sa prison de Hlybokaïe, écrit Nacha Niva, citant des sources anonymes.
Son choix de rester en Biélorussie est largement discuté, car le pays soumet ses opposants politiques à des conditions carcérales extrêmement pénibles. Les premiers témoignages des détenus récemment libérés viennent encore documenter les violences commises dans les colonies pénitentiaires. L'ancien leader du Parti vert, Dzmitri Kouchouk, dit avoir été la cible de violences sexuelles car il avait été placé en "statut inférieur", ce qui implique également de manger et de vivre à l'écart. Ilia Doubski, un autre opposant également libéré dans le cadre de l'accord, a été contraint par le personnel d'effacer lui-même, au rasoir, un tatouage qui représentait les armoiries de l'éphémère République populaire de Biélorussie – honnie des autorités.
Déjà plus de onze années derrière les barreaux
La vie de Mikola Statkevitch est émaillée de passages en prison, conséquences de l'engagement politique de cet ancien dirigeant du Parti social-démocrate. Candidat à la présidentielle de 2010, il avait été mis en prison à la fin de la même année pour avoir participé à des manifestations, avant d'être libéré en 2015. Cinq ans plus tard, il avait de nouveau été interpellé et mis derrière les barreaux. Mikola Statkevitch avait alors écopé de quatorze ans de détention dans une colonie pénitentiaire, pour sa responsabilité alléguée dans l'"organisation d'émeutes de masse" – les grandes manifestations contre la fraude à la présidentielle. Cet opposant a déjà, au total, passé onze ans et demi derrière les barreaux, selon un décompte de Radio Svoboda.
En refusant de quitter la Biélorussie, Mikola Statkevitch s'inscrit dans la lignée de l'opposante Maria Kolesnikova, qui, en 2020, avait déchiré son passeport alors que les services de sécurité la conduisaient à la frontière pour la contraindre à s'exiler en Ukraine. Elle se trouve depuis en prison, actuellement dans la colonie pénitentiaire de Gomel. Ces transferts à l'étranger offrent une porte de sortie bienvenue aux opposants persécutés, même si certains dénoncent le caractère imposé de ces exils. "Nous avons été embarqués et expulsés de notre pays sans explication", a commenté un autre prisonnier grâcié, Zmitser Kozlov, cité par le Centre Viasna des droits de l'homme. "Au moins, j'aurais aimé faire mes bagages. Je serais resté en Biélorussie si les autorités m'avaient donné des garanties de sécurité."
La diaspora insiste toutefois sur la sécurité. Mikola "Statkevitch est une personne très forte et très belle, a commenté, depuis Berlin, la Prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch. Mais il est sans doute impossible d'exiger une telle force de tous les prisonniers."
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