Chamanisme, Viagra et corruption : la vie mystérieuse de Park Geun-hye, présidente sud-coréenne dans la tourmente
La présidente sud-coréenne, engluée dans un retentissant scandale de corruption, s'est dite prête, mardi, à quitter le pouvoir avant la fin de son mandat, prévue en 2018.
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"Si Hillary est élue, les Américains auront leur première femme présidente. Si Trump est élu, ils auront leur premier président fou. La Corée du Sud a les deux depuis 2012." La blague, postée sur Twitter à quelques jours des élections américaines par le chanteur pop Lee Seung-chul (en coréen), traduit un sentiment de plus en plus partagé par les Coréens. Alors que des manifestations monstres se succèdent depuis plusieurs semaines pour exiger le départ de la présidente, Park Geun-hye, cette dernière s'est dite prête, mardi 29 novembre, à quitter le pouvoir avant la fin de son mandat, prévue en 2018.
Engluée dans un scandale de corruption sur fond de chamanisme, cette fille de dictateur devenue la première cheffe d'Etat – conservatrice – d'un pays très patriarcal va remettre son destin entre les mains du Parlement et tenter d'échapper à l'humiliation d'une destitution, d'ores et déjà souhaitée par l'opposition. Pour comprendre pourquoi un million de Coréens exaspérés manifestent contre elle, il faut revenir sur le parcours rocambolesque de la dirigeante. Une vie au cœur du jeu politique, faite de drames et de curiosités.
Un destin scellé par le sang (dans tous les sens du terme)
Park Geun-hye entre à la Maison bleue, le nom donnée à la présidence, en 1963. Elle n'a alors que 11 ans et son père, le général Park Chung-hee, prend la tête du pays, deux ans après avoir renversé le président Yun, démocratiquement élu. Aînée d'une fratrie de trois enfants, Geun-hye fait des études d'ingénieur avant de s'envoler pour Grenoble en 1974, où elle doit poursuivre sa formation. Mais un premier drame vient bouleverser son destin. En décembre, un Coréen du Sud né au Japon et partisan de la Corée du Nord projette d'assassiner le président à l'occasion d'un discours. Mal placé dans la salle, il rate son coup, se blesse lui-même, avant de tirer à l'aveuglette en direction du pupitre. Il rate encore sa cible, mais loge une balle dans la tête de la Première dame.
Rentrée en urgence, Park Geun-hye, qui n'a que 22 ans, remplace immédiatement sa mère dans les missions protocolaires, pendant que son père mène le pays vers la prospérité, au détriment des droits de l'homme. Elle apprend les rouages du pouvoir. Mais, en 1979, une nouvelle tragédie frappe sa famille : son père est assassiné par l'un de ses plus proches conseillers, un fidèle qu'il a installé à la tête des puissants services secrets, raconte alors Time (article en anglais, réservé aux abonnés). Invité à dîner à la Maison bleue, l'homme ouvre le feu à table et abat le président ainsi que sa garde rapprochée.
Des années plus tard, cette existence marquée par les drames contribue à donner de Park une image de dévotion. Alors que sa carrière de parlementaire démarre en 1998, ses aînés voient en elle une femme qui a tout sacrifié pour le pays, expliquait le New York Times (en anglais) en 2012. Célibataire et sans enfant, elle entretient l'héritage politique du patriarche. Avec le parti qu'il a fondé, elle enchaîne les victoires, mais s'expose à son tour à la violence. En 2006, un homme de 50 ans hostile au mouvement – alors dans l'opposition – se jette sur elle lors d'un meeting, armé d'un couteau, et lui lacère le visage. Soixante points de suture et deux heures d'opération plus tard, Park Geun-hye se réveille avec une longue cicatrice qui s'étend sur son profil droit, de l'oreille à la mâchoire. Ses premiers mots, devenus célèbres, servent encore sa réputation : "Comment va Daejeon ?", demande-t-elle, s'enquérant de la situation de son parti dans cette ville convoitée.
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En 2012, elle est élue démocratiquement à la tête du pays. Une performance dans une Corée du Sud où les inégalités hommes-femmes demeurent criantes. Mais ce n'est pas son genre qui la porte au pouvoir, poursuit le New York Times (en anglais). Très conservatrice et populaire chez un électorat âgé, celle qu'on appelle "la dame de fer" ou "la princesse de glace" est avant tout la fille de son père.
Une existence guidée par un culte mystérieux
Dans sa jeunesse, Park Geun-hye a vécu auprès d'un père influent, mais aussi d'un mentor plutôt hors norme. A la mort de sa mère, la jeune femme est en effet approchée par un certain Choi Tae-min, de 40 ans son aîné. Il lui assure être entré en contact, en rêve, avec la défunte, raconte The Korea Times (en anglais). Car le monsieur est plutôt du genre spirituel : il a été moine bouddhiste puis s'est converti au catholicisme avant de fonder une religion hybride justement nommée "Eglise de la vie éternelle", dans les années 1970. Ce rapprochement va même séparer la fratrie : le frère et la sœur de la future présidente accusent le gourou de manipuler leur aînée à des fins personnelles. D’après un câble diplomatique de l’ambassade américaine datant de 2007, révélé par WikiLeaks et cité par le quotidien anglophone, Choi Tae-min aurait même eu à l’époque "le contrôle total du corps et de l’esprit" de Park Geun-hye.
Après la mort du gourou en 1994, la femme politique débutante fait de la fille de son guide spirituel, Choi Soon-sil, prétendue héritière de ses pouvoirs "chamaniques", sa plus proche confidente. Elle est à ses côtés lorsqu'elle décroche la présidence en 2012. Plus préoccupant, elle fait la pluie et le beau temps sur son entourage, explique Le Monde (article abonnés). Bien que dépourvue de mission officielle, "madame Choi recevait fréquemment les comptes rendus des discussions de la présidence, y compris sur les sujets sensibles, écrit le quotidien. Invoquant les esprits, elle aurait affirmé que la Corée du Nord allait s’effondrer en 2017. La ligne dure tenue par Séoul contre Pyongyang se fonderait sur cette prédiction." Par ailleurs, "madame Choi aurait formé un groupe, 'les huit fées', réunissant huit femmes ayant un accès exclusif à la présidente".
La proximité des deux femmes et le mystère qui entoure cette relation alimentent les rumeurs les plus folles. Ainsi, quand 300 personnes, en majorité des lycéens, périssent dans le naufrage du ferry Sewol, en avril 2014, d'étranges bruits circulent pour expliquer la lente réaction de l'exécutif. La présidente était-elle en rendez-vous avec l'ex-mari de madame Choi ? A moins qu'elle n'ait été en pleine opération de chirurgie esthétique ? Et si elle se trouvait au beau milieu d'un rite chamanique sacrificiel ? Autant de pistes citées par Slate (en anglais). Le Korea Times se fait quant à lui l'écho d'une rumeur encore plus sordide, selon laquelle les passagers "étaient" le sacrifice en question.
Des affaires qui ont attisé la colère des Coréens
Rebaptisée "Raspoutine" par la presse locale, la conseillère Choi Soon-sil aurait gardé un pied dans les affaires. Selon les enquêteurs, elle se serait servie de ses liens d'amitié avec la présidente pour contraindre des groupes comme Samsung ou Hyundai à verser de grosses sommes d'argent – jusqu'à 70 millions de dollars – à deux fondations qu'elle a créées en 2015 et 2016. Soupçonnée d'avoir détourné cet argent, Choi Soon-sil a été placée en garde à vue le 21 octobre, après son retour d'Allemagne, où elle avait fui en septembre. Elle fait l'objet d'une demande d'arrestation formelle pour fraude et abus de pouvoir, tandis que le scandale menace directement la présidente.
Outre ces soupçons, la presse a récemment révélé une série de casseroles : des traitements esthétiques reçus gratuitement et sous pseudonyme dans une clinique privée, ou encore l'achat étonnant de centaines de pilules de Viagra par la présidence. Officiellement, il s'agissait de traiter le mal des montagnes – le Viagra fait ça, aussi – des assistants de la présidente pendant un voyage dans plusieurs villes de haute altitude, en Afrique de l'Est, raconte le New York Times (en anglais). Face aux révélations de la presse et aux avancées de l'enquête sur Choi Soon-sil, Park Geun-hye a vu sa popularité dégringoler, jusqu'à trouver sa photo (et celle de madame Choi) placardée sur des urinoirs.
Point d'orgue de cette mobilisation longue de cinq semaines, plus d'un million de personnes ont défilé dans le pays samedi 26 novembre. Selon les organisateurs, 1,3 million de Coréens ont marché dans le froid, à Séoul, en direction de la Maison bleue, protégée par des milliers de policiers, pour demander la démission de la présidente. "Je laisserai la question de mon départ, et d'une réduction de la durée de mon mandat, à la décision de l'Assemblée nationale", leur a-t-elle répondu mardi. Avec une promesse : "Quand les parlementaires auront déterminé les conditions d'une passation qui minimise la vacance du pouvoir et le chaos dans la conduite des affaires, je partirai."
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