Vrai ou faux Un nouvel océan est-il en cours de formation en Afrique ?

Le phénomène concerne le rift est-africain, de l'Ethiopie au Mozambique. Le processus d'océanisation risque toutefois de prendre plusieurs millions d'années.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Vue satellite de la Terre prise le 23 mars 2022 par un satellite météo européen de seconde génération. (ESA)
Vue satellite de la Terre prise le 23 mars 2022 par un satellite météo européen de seconde génération. (ESA)

On pourrait croire à un scénario d'un film catastrophe hollywoodien. "Une énorme faille se creuse en Afrique, annonçant la formation d'un nouvel océan plus vite que prévu", a écrit Ouest-France, dans un article daté du vendredi 27 décembre, mais déjà publié l'année précédente. De fait, une partie du continent est en cours de fractionnement, et l'information, en soi, n'a rien de nouveau. Comme l'expliquait en 2022 l'Institut national des sciences de l'univers, le phénomène, qui a débuté il y a environ 25 millions d'années, concerne le rift est-africain, un fossé d'effondrement décrit comme "un océan en formation unique en son genre".

Le rift s'étend sur environ 4 000 km du nord au sud, soit "de l'Afar au golfe du Mozambique". "On peut y aller à pied, ce n'est pas sous l'eau (...) Là où on est tout proche de la rupture, c'est en Ethiopie et à Djibouti, dans la région de l'Afar", confirmait en janvier dans la "Terre au carré" sur France Inter Christel Tiberi, géophysicienne et directrice de recherche CNRS. La tectonique des plaques est en cause. Cette région se trouve au carrefour de trois d'entre elles, comme le montre le site Geology.com : la plaque nubienne, qui concerne une grande partie de l'Afrique, la plaque somalienne, qui inclut l'ouest de l'océan Indien (mais aussi Madagascar, les Comores et les Seychelles), et enfin, au nord, la plaque arabique.

Une image satellite prise en 2011 montrant la partie nord du rift est-africain. (ESA)
Une image satellite prise en 2011 montrant la partie nord du rift est-africain. (ESA)

La surface de la Terre est composée d'une "douzaine de grands morceaux appelés plaques tectoniques, souligne le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives dans une vidéo sur YouTube. Elles s'encastrent les unes dans les autres comme les pièces d'un puzzle et forment l'enveloppe superficielle de la Terre." Ces pièces bougent en raison de l'activité géologique interne de la planète. A certains endroits, les plaques glissent les unes sous les autres, causant des séismes. A d'autres, elles s'écartent, créant des rifts puis des dorsales océaniques.

L'Atlantique s'est "créé" ainsi il y a 200 millions d'années

"Les océans sur Terre naissent de la fracturation d'un continent, qui se sépare en deux, résume auprès de franceinfo Gilles Chazot, géologue et professeur à l'université de Bretagne occidentale. C'est ce qu'il s'est passé il y a 200 millions d'années entre l'Europe et l'Amérique du Nord", alors que ces deux continents ne formaient qu'un ensemble. Lentement mais sûrement, le bloc s'est écarté. Au rythme d'environ trois centimètres par an en moyenne, l'écart a permis la "création" de l'océan Atlantique tel que nous le connaissons aujourd'hui. Un mécanisme analogue se joue dans la région de l'Afar.

"Le rift est-africain montre comment naissent les océans."

Gilles Chazot, géologue

à franceinfo

Comme pour l'océan Atlantique, il faut se replacer dans le temps géologique, le temps long. "L'ouverture de ce rift s’avère particulièrement difficile et se fait à une vitesse estimée d’environ 7 mm/an, quatre fois plus lentement que pour l’Atlantique", notait d'ailleurs en 2022 l'Institut national des sciences de l'univers. De quoi encore patienter plusieurs millions d'années. "Nous avons réduit le temps à environ 1 million d'années, peut-être même la moitié", assurait pourtant, fin décembre 2023 la chercheuse Cynthia Ebinger, coauteure d'une étude parue dans la revue Tectonophysics, comme le rappelle Ouest-France dans son article. La scientifique évoquait notamment la faible épaisseur de la croûte terrestre dans la partie nord du rift pour expliquer ce temps gagné.

 "Nous n'en sommes encore qu'au stade du fractionnement", nuance Gilles Chazot. Il précise que l'"océanisation" complète de l'Afar surviendra dans environ "cinq millions d'années". Une estimation que le scientifique avance avec prudence tant les incertitudes sont grandes. 

"Il ne faut pas imaginer un tsunami"

Quoi qu'il en soit, le mécanisme est enclenché et la croûte terrestre s'amincit bel et bel dans l'Afar. Selon Gilles Chazot, elle tend ainsi à perdre les caractéristiques d'une croûte continentale (une trentaine de kilomètres d'épaisseur et une densité faible) pour prendre celle d'une croûte océanique (plus fine, avec une dizaine de kilomètres d'épaisseur, mais d'une densité plus importante car constituée de roches magmatiques). "A Djibouti et en Afar, le plancher est beaucoup plus bas qu'ailleurs. Il y a beaucoup de volcans. Le volcanisme qui se met en place est très proche de ce que l'on voit sur les rides océaniques à 2 000 m de profondeur", a précisé sur France Inter Christel Tiberi. La situation se trouve à un stade moins avancé plus au sud, vers la Tanzanie et le Malawi.

Le site hydrothermal de Dallol (Ethiopie), dans la région de l'Afar. Ce système se trouve à quelque 130 mètres sous le niveau de la mer. (MICHELE SPATARI / AFP)
Le site hydrothermal de Dallol (Ethiopie), dans la région de l'Afar. Ce système se trouve à quelque 130 mètres sous le niveau de la mer. (MICHELE SPATARI / AFP)

L'eau est déjà présente dans certaines parties du rift et continue d'arriver très progressivement. "Il ne faut pas imaginer un tsunami qui va se déverser" dans la faille, avertit Gilles Chazot. L'eau s'infiltre de façon lente et arrive généralement par en bas, via les nappes phréatiques. La faible vitesse du phénomène, difficile à percevoir pour les humains, est extrêmement loin de certaines fausses images d'appel racoleuses montrant des personnes au bord d'un vaste plan d'eau agité par de gigantesques vagues avec un texte en anglais affirmant : "Incroyable ! Un nouvel océan est en train de séparer l'Afrique".

Incertitudes sur la future carte du monde

La façon dont le futur océan redessinera la carte du monde demeure extrêmement floue. Le mouvement des plaques tectoniques est complexe, souligne Gilles Chazot. Voilà pourquoi les diverses simulations montrant les recompositions des continents dans des millions d'années doivent être prises avec des pincettes.

Si l'ensemble de l'Afrique se déplace vers le nord-est, il s'avère difficile d'anticiper les réactions des différentes zones concernées. La mer Rouge semble plutôt vouée à disparaître, mais le golfe d'Aden pourrait subsister, expose encore le géologue, toujours avec précaution. La "déchirure dans la plaque africaine annonce à terme l'ouverture d'un futur océan et la dislocation progressive de la Corne de l'Afrique du reste du continent", a pour sa part déclaré au site CNRS Le journal la paléoanthropologue Sandrine Prat, codirectrice de l'ouvrage collectif Le Grand Rift africain, à la confluence des temps

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