On vous explique les manifestations de la jeunesse qui embrasent le Maroc, à l'initiative du mouvement Gen Z 212

Depuis samedi, des rassemblements ont lieu dans plusieurs villes du pays, pour dénoncer, entre autres, l'état des services publics et le manque de perspectives. La contestation est partie d'un collectif anonyme sur la plateforme Discord.

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des manifestants défilent dans un quartier commerçant de Rabat (Maroc), le 29 septembre 2025, appelant notamment à de meilleurs services publics en matière de santé et d'éducation. (ABDEL MAJID BZIOUAT / AFP)
Des manifestants défilent dans un quartier commerçant de Rabat (Maroc), le 29 septembre 2025, appelant notamment à de meilleurs services publics en matière de santé et d'éducation. (ABDEL MAJID BZIOUAT / AFP)

Des manifestants scandant des slogans devant le Parlement, défilant au cœur d'un quartier commerçant de la capitale Rabat, se frottant aux forces de l'ordre à Inezgane... Pour la cinquième journée consécutive, les jeunes Marocains étaient appelés à manifester, mercredi 1er octobre, pour dénoncer l'état des services publics de la santé ou de l'éducation, et réclamer un meilleur accès au travail. Cette mobilisation, lancée par le collectif en ligne Gen Z 212, avait donné lieu à des rassemblements dans 17 villes mardi, selon le décompte communiqué par l'Association marocaine des droits humains (ADMH) à franceinfo.

Des heurts entre des manifestants et des membres des forces de l'ordre ont par ailleurs éclaté en marge de certains rassemblements. Deux personnes, notamment, ont été abattues mercredi soir alors qu'elles tentaient, en groupe, "de prendre d'assaut" un poste de gendarmerie dans le sud du Maroc, ont annoncé les autorités locales citées par l'agence MAP. Origines sur la plateforme Discord, revendications économiques et sociales... Franceinfo vous explique ce mouvement de la jeunesse marocaine. 

Une mobilisation née sur la plateforme Discord

Mardi marquait la quatrième journée consécutive de rassemblements dans plusieurs villes du Maroc, à l'image de Tanger, Rabat ou encore Meknès, d'après l'ADMH. Pour Omar Arbib, un vice-président de l'association, la plupart des manifestants interpellés sont des jeunes âgés de 18 à 22 ans, "des étudiants dans les universités, dans les écoles supérieures d'ingénieurs", dépeint-il. 

Les manifestations ont émergé à l'appel d'un collectif anonyme baptisé Gen Z 212, particulièrement actif sur la plateforme de discussion Discord. Un groupe "apparu très récemment" sur plusieurs sites, explique à franceinfo l'un de ses membres, souhaitant rester anonyme. Mercredi après-midi, ses fondateurs et organisateurs n'avaient pas encore été identifiés. 

Mais ce mouvement anonyme est de plus en plus suivi : sur Discord, le serveur Gen Z 212 comptait plus de 125 000 membres mercredi après-midi. "Le nom Gen Z fait référence à la génération Z [née entre la fin des années 1990 et le début des années 2010], le '212' correspond à l'indicatif téléphonique international du Maroc", précise l'un des membres du collectif.

Ce nom rappelle d'autres mouvements portés par la jeunesse ces dernières semaines, au Népal, en Indonésie ou encore à Madagascar. "Ces jeunes, qui se réunissent de manière régulière sur Discord, sont inspirés par ce qui se déroule dans le monde", analyse Omar Arbib. "Leur objectif [celui des autres mouvements à l'étranger] n'est pas comme le nôtre", tempère le membre du collectif contacté par franceinfo, évoquant néanmoins la mobilisation des jeunes Népalais.

Une défense du "droit à la santé" et "au travail" 

Sur Discord, le serveur Gen Z 212 se présente comme un "espace de discussion", portant sur "des questions qui concernent tous les citoyens, comme la santé, l'éducation et la lutte contre la corruption". Le collectif assure rejeter "la violence" et mener cette mobilisation par "amour de la patrie et du roi", Mohammed VI. Ses principales revendications, selon le membre du groupe interrogé par franceinfo, sont "une forte insatisfaction concernant les services publics essentiels, la santé et l'éducation", "la lutte contre la corruption" et pour une "meilleure gouvernance, la transparence dans l'utilisation des fonds", développe-t-il − évoquant également "l'emploi des jeunes". 

"Leurs revendications sociales sont très simples : le droit à la santé, au travail, à la dignité et à l'éducation."

Omar Arbib, vice-président de l'Association marocaine des droits humains

à franceinfo

Un élément déclencheur, d'après Omar Arbib, a été "la situation dramatique à l'hôpital [public] d'Agadir". Huit femmes enceintes y sont mortes en l'espace de quelques jours, à la fin de l'été, après des césariennes. Un épisode également mentionné par le sociologue Mehdi Alioua, interrogé par France 24. La mort dramatique de ces patientes a révélé "un système d'alerte et d'action complètement grippé, entre une médecine publique en crise face à un secteur privé réservé aux plus aisés", expose à la chaîne ce chercheur de l'Institut d’études politiques de l’Université internationale de Rabat. 

"Ce parallèle a touché beaucoup de jeunes, d'autant qu'ils voient l'État injecter des milliards dans les stades, alors qu'eux-mêmes, même diplômés, n'ont aucune perspective de vivre dignement."  

Mehdi Alioua, sociologue

à France 24

En effet, la préparation de la Coupe d'Afrique des nations de football, à la fin de l'année, et d'une partie des matchs de la Coupe du monde en 2030, est au cœur des revendications. "Les stades sont prêts, mais où est l'hôpital ?", "Le stade de la Fédération internationale de football aura un kit de premier secours ! Nos hôpitaux, non !", sont quelques-uns des slogans des manifestants.

Une personne manifeste avec une pancarte "Le stade de la Fédération internationale de football aura un kit de premier secours ! Nos hôpitaux, non !", le 29 septembre 2025 à Rabat (Maroc). (ABDEL MAJID BZIOUAT / AFP)
Une personne manifeste avec une pancarte "Le stade de la Fédération internationale de football aura un kit de premier secours ! Nos hôpitaux, non !", le 29 septembre 2025 à Rabat (Maroc). (ABDEL MAJID BZIOUAT / AFP)

Comme le relève France 24, la rénovation de six stades doit coûter près de 900 millions d'euros, et la construction du futur Grand Stade de Casablanca, 470 millions d'euros, selon la presse marocaine. Des investissements massifs vécus par certains comme une injustice, à l'heure où près de 36% des moins de 24 ans et 19% des diplômés sont au chômage, d'après le Haut-Commissariat au plan marocain. La coalition gouvernementale a réagi, mardi. Elle assure "être à l'écoute et comprendre les revendications sociales" des manifestants, et se dit "prête à y répondre de manière positive et responsable".

Des heurts et de nombreuses arrestations

Plusieurs heurts ont émaillé la mobilisation naissante. D'après des vidéos diffusées par des médias locaux, des violences se sont produites à Béni Mellal, à Aït Amira ou encore à Oujda. Selon Le Monde, plusieurs dizaines de jeunes ont lancé des projectiles vers les forces de l'ordre à Inezgane, près d'Agadir, certains incendiant une pharmacie ainsi qu'une poste. A Marrakech, "des jeunes lançant des pierres sont montés sur des motos", décrit également Omar Arbib, tout en assurant "ne pas penser" qu'ils appartiennent réellement au mouvement initié par Gen Z 212. Le collectif a exprimé son "regret" au regard de ces violences, appelant les manifestants "à respecter le caractère pacifique" de la mobilisation.

Des personnes "ont utilisé des armes blanches, des cocktails Molotov et des pierres", et "pris d'assaut des administrations, des agences bancaires et commerces, qu'ils ont pillés et saccagés", a accusé un porte-parole du ministère de l'Intérieur marocain mercredi, faisant état de 263 blessés "à des degrés divers" dans les rangs des forces de l'ordre, et 23 du côté des protestataires, dont une personne hospitalisée à Oujda.

Selon Le Monde, un jeune Marocain a été grièvement blessé par un fourgon des forces de l'ordre dans cette ville mardi soir. La vidéo de la scène est devenue virale sur les réseaux sociaux, précise le quotidien. L'ADMH, qui suit la réponse des forces de l'ordre à la mobilisation, fait état de plus de 1 400 arrestations de manifestants, précise Omar Arbib. Parmi eux, 409 "ont été placés en garde à vue", précise le ministère de l'Intérieur. Omar Arbib craint de voir l'Etat marocain "passer à une autre vitesse", celle de "la poursuite judiciaire". Contacté par franceinfo, le ministère des Affaires étrangères français n'a pas commenté à ce stade la mobilisation.

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