A Madagascar, le parcours du combattant des élèves en zone rurale
Dans les zones rurales de Madagascar, l’enseignement dans le second degré se fait encore en partie en français. Mais pour les élèves, suivre les cours n’est pas forcément facile. Surtout quand il s’agit d’apprendre la philosophie. Reportage à la campagne ("à la brousse", comme disent les Malgaches), à deux heures de route d’Antananarivo, la capitale.
La route étroite et cahoteuse, recouverte alternativement de bitume troué et de pavés, grimpe au milieu des rizières d'un vert profond. Des files de piétons se hâtent sur les bords de la chaussée : paysans tirant leur charrette, enfants en uniforme partant pour l’école, femmes portant de lourdes charges, dames tout de rose vêtues, la tête recouverte d’un chapeau pour aller à la messe… "Cette année, le rendement de la récole de riz est bon. Il n’y a pas eu de catastrophes naturelles ou d'éboulements", murmure Georges, jeune enseignant en philosophie et français.
En ce jeudi de mars, son établissement, qui regroupe quelque 800 élèves de la maternelle à la terminale, est en effervescence : on prépare la fête de l’école. Nombreux parmi les jeunes et les professeurs sont ceux qui viennent et doivent marcher plusieurs heures par jour.
"Bonjour, nos éducateurs !"
"Les hommes font leur histoire", explique une citation de matérialisme dialectique, attribuée à Marx et Engels, dans l’escalier qui monte à la classe de Georges… Lorsque l’enseignant et ses visiteurs entrent dans la salle, la quarantaine d’élèves, filles et garçons, se lèvent et crient d’une seule voix dans la langue de Molière : "Bonjour, nos éducateurs !" Des élèves dont certains sont âgés de 23 ans.
"Leur grosse difficulté, c’est de s’exprimer en français", explique leur professeur. "Ces enfants d’agriculteurs comprennent ce qu’on leur dit, ils ont des idées, mais ils n’ont pas la pratique de la langue, ils éprouvent des difficultés à s’exprimer. Ils ont parfois du mal à suivre les cours. Je suis souvent obligé de reprendre les éléments en malgache, langue qu’ils parlent chez eux."
Dans la voix de cet enseignant, lui-même originaire de la région et qui a pu suivre ses études grâce au parrainage d’une association française, on sent un certain complexe par rapport à ceux de la ville. Pourtant, au vu des chiffres, l’établissement local n’a pas à rougir de ses résultats au baccalauréat : 67% de reçus, contre 42% à Antananarivo.
En terminale, en français, les élèves révisent les notions apprises les années antérieures : grammaire, méthodologie, dissertation... Sans forcément étudier d’auteurs. Quant au programme de philosophie, il est composé de quatre grandes parties : philosophie générale, philosophie des sciences, philosophie morale, philosophie politique. "Nous regardons les idées. Mais les élèves doivent souvent apprendre par cœur", constate Georges.
"Histoires romantiques"
Lors d’un récent examen, les élèves pouvaient choisir entre deux textes : l’un intitulé Un déséquilibre vital et signé par Fawziah Abou-Baker; l’autre titré Cinéma, radio et culture, écrit par Georges Duhamel, de l’Académie française.
Les élèves sont intimidés par la présence des visiteurs français. Mais ils s’enhardissent au fur et à mesure, contredisant ainsi leur enseignant pour qui ils manquent de pratique.
"A quoi sert le français dans la vie?", demande une élève. Dans leur réponse, les adultes tentent de mettre en avant le caractère international de la langue de Molière… "Nous manquons de moyens. Nous n’avons pas suffisamment de livres, ils sont chers. Nous avons besoin d’ouvrages de vocabulaire, de dictionnaires. Nous avons besoin d’aide à l’apprentissage", explique un autre jeune.
Quand on leur demande s’ils aiment lire, ils expliquent qu’ils aimeraient "avoir des histoires en français". Quel type d’histoire ? "Des histoires romantiques". Romantiques, comme des auteurs de l’époque romantique ou des histoires d’amour ? Réponse des élèves en chœur et avec un grand éclat de rire : "des histoires d’amour !"
"Nous avons un problème de mode de vie"
Puis la discussion prend un tournant grave. "Nous avons un problème de mode de vie", dit une élève avec une petite voix. Sous-entendu, ici, en zone rurale. "Chez eux, ils n’ont pas d’électricité, ils étudient à la bougie. A la campagne, il faut toujours lutter !", précise Georges, dont la mère vit de la vente de son riz et de ses poulets. "Ici, il n’y pas de travail, il y a la pauvreté", poursuit un autre.
"Je les pousse à avoir le bac pour trouver un bon travail", reprend l’enseignant. "S’ils échouent à l’examen, ils restent souvent chez eux et se marient". En clair, ils restent paysans.
"S’ils réussissent, ils veulent souvent partir faire des études. Mais ils n’en ont pas forcément les moyens car celles-ci sont payantes", observe le professeur. Dans cette école confessionnelle, les élèves doivent payer 15 000 ariary par mois (3,75 euros). Un gros budget, quand on est pauvre. "Leur avenir dépend de la situation de leurs familles. Dans ce contexte, beaucoup doivent se mettre à chercher un travail", conclut Georges.
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