Jeux de Los Angeles 2028 : comment expliquer l'ouverture historique de contrats de "naming" des sites olympiques et paralympiques

Le comité d'organisation des Jeux de Los Angeles 2028 a annoncé l'ouverture de ses sites de compétition à des contrats de nommage de ces enceintes sportives. Une première.

Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
Les rappeurs américains Dr. Dre et Snoop Dogg ont participé à la cérémonie de passation entre les Jeux olympiques de Paris 2024 et ceux de Los Angeles 2028, le 11 août 2024. (EMMA MCINTYRE / AFP)
Les rappeurs américains Dr. Dre et Snoop Dogg ont participé à la cérémonie de passation entre les Jeux olympiques de Paris 2024 et ceux de Los Angeles 2028, le 11 août 2024. (EMMA MCINTYRE / AFP)

C'est une petite révolution dans le monde de l'olympisme et du paralympisme. Le comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Los Angeles 2028 a annoncé, jeudi 14 août, l'ouverture de ses sites de compétition à des contrats de naming, ou nommage, ce qui était auparavant proscrit par le Comité international olympique (CIO). Lors des Jeux de Paris 2024, l’Accor Arena, situé dans le 12e arrondissement de Paris, avait notamment laissé place à l'Arena Bercy, tout comme le Orange Vélodrome, rebaptisé pour l'occasion Stade de Marseille.

Avec cette nouvelle règle, qui rappelle les standards du financement du sport aux Etats-Unis, plus indépendant de l'Etat et déjà porté sur le naming, des entreprises ou des marques pourront ainsi donner leur nom à ces enceintes sportives moyennant finances. Deux sites ont d'ailleurs déjà dévoilé leur nom pour l'occasion : le Comcast Squash Center des Universal Studios, et le Honda Center à Anaheim (au sud de Los Angeles et qui porte déjà le nom de la marque japonaise à l'année), qui accueilleront respectivement les épreuves de squash, l'un des cinq sports additionnels, et le volley.

Une nouvelle pratique "au bénéfice de l'ensemble du mouvement"

"Dès le dépôt de notre candidature, LA28 s'est engagé à réinventer le potentiel des Jeux, a déclaré Casey Wasserman, patron de Los Angeles 2028, dans un communiqué dans lequel les montants n'ont pas été dévoilés. L'annonce historique d'aujourd'hui [le 14 août] tient cette promesse en créant le tout premier programme de droits de dénomination de sites de l'histoire olympique et paralympique, tout en concrétisant la mission de LA28 : des Jeux entièrement financés par des fonds privés et sans nouvelle construction." 

"Ces partenariats révolutionnaires (…) ne vont pas seulement générer des revenus importants pour LA28, mais aussi introduire une nouvelle pratique commerciale au bénéfice de l’ensemble du mouvement [olympique]."

Casey Wasserman, président de Los Angeles 2028

dans un communiqué

La raison d'un tel revirement est bien financière, "afin d'offrir une source de revenus supplémentaire pour LA28 et U.S.olympic and paralympic properties (USOPP), la co-entreprise commerciale entre LA28 et le Comité olympique et paralympique américain (USOPC)", écrit encore le communiqué.

Une annonce qui ne surprend pas Eric Monnin, sociologue, historien du sport, ambassadeur de l'Université Marie et Louis Pasteur (Besançon) puis directeur du Centre d'études et de recherches olympiques universitaires (CÉROU). "L'ouverture du naming fait partie d'un plan enclenché par l'ancien président Thomas Bach dès son arrivée en 2013, dans son 'agenda olympique 2020', afin de repenser tout le système olympique, pour qu'il rentre dans une nouvelle ère, qui a commencé avec Paris 2024 et qui se poursuit avec LA 2028", commence-t-il. Et à en croire ce spécialiste des questions olympiques, nous n'en sommes même qu'au début.

"On se dirige vers des Jeux révolutionnaires du point de vue économique et financier. Paris 2024 a offert un triptyque touristique, culturel et de performance. LA 2028 va être marqué par un nouveau triptyque, qui est l'ère économique, financière et du nouveau marketing", estime Eric Monnin.

Rassurer les villes hôtes

Ces nouveaux financements externes sont d'abord un moyen de rassurer les futures villes hôtes, qui sont de plus en plus frileuses à se porter candidates, dans un contexte mondial de baisse de financements publics. "Il y a une raison structurelle à cette annonce, de comment aller chercher des financements qui vont sécuriser les Jeux, et les villes qui s'y engagent, développe Nicolas Bancel, historien du sport et directeur de l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne. Les dépenses publiques qui sont liées aux Jeux sont toujours extrêmement sous-évaluées dans les dossiers de candidature et elles dépassent systématiquement de deux, trois, voire quatre, les estimations initiales. Et qui règle la note ? Ce sont les villes, les États, et au final, les citoyens." 

"Avoir des sponsors qui peuvent afficher leur nom sur des stades olympiques et qui payent le CIO pour avoir ce droit en lieu et place de la représentation olympique, cela fait évidemment une sécurité financière en plus, c'est évident."

Nicolas Bancel, historien du sport

à franceinfo: sport

Par ce choix, le CIO accepte également "la configuration mondiale, de l'investissement des multinationales dans le sport, qui pèsent aujourd'hui plus dans l'économie sportive que les États", souligne encore l'historien du sport, Nicolas Bancel.

Los Angeles, ville pionnière dans la financiarisation des Jeux

Il n'est d'ailleurs pas surprenant que ce changement intervienne à Los Angeles, ville hôte des Jeux pour la troisième fois et qui a déjà fait bouger les lignes de l'olympisme sur le sujet. L'ouverture des sites au contrat de naming fait même écho à Los Angeles 1932. À l’époque, les Etats-Unis sont plongés dans la Grande Dépression des années 1930. "Personne n'avait vu arriver le krach boursier de 1929 et le gouvernement fédéral va complètement se retirer de l'organisation et du financement d'organisation des Jeux, ainsi que la plupart des institutions publiques", rappelle Nicolas Bancel.

Les Jeux de 1932 sont ainsi les premiers à être organisés par un consortium d'hommes d'affaires, présidents notamment de multinationales. "Ces Jeux seront d'ailleurs appelés les Jeux Coca-Cola, parce qu'il va y avoir une sorte de publicité pour les marques qui ont investi, ce qui marque les prémices de la financiarisation des Jeux. Los Angeles 1932 sont les premiers Jeux autonomes du point de vue financier, et parviennent à être bénéficiaires malgré la crise économique", poursuit l'historien du sport. Cette financiarisation a ensuite connu un tournant dans les années 1980 avec l'arrivée du professionnalisme des athlètes, voulu par l'ancien président du CIO Juan Antonio Samaranch, qui a accru l'intérêt des marques.

Sous cette nouvelle ère des années 1980, portée par l'économie et l'arrivée du business dans le sport, avec notamment les sponsors, les grandes multinationales américaines investissent dans les Jeux de Los Angeles en 1984. "Les JO de LA en 84 se sont autofinancés et ont été les premiers Jeux rentables de l'ère moderne. Paris 2024 ont été les deuxièmes", relève Eric Monnin.

"Ainsi, le Comité olympique américain, qui est totalement indépendant de l'État, veut que ces Jeux 2028 soient totalement rentables. C'est leur leitmotiv. Et cette ouverture du naming rentre totalement dans cette logique américaine."

Eric Monnin, directeur du Centre d'études et de recherches olympiques universitaires

à franceinfo: sport

À trois ans des Jeux de 2028, seuls deux sponsors ont été annoncés, en attendant les prochains qui, à n'en pas douter, seront nombreux à se positionner. Le SoFi Stadium de Los Angeles, pour l'heure rebaptisé "2028 Stadium", devrait être l'un des sites les plus convoités, puisqu'il recevra la natation et les cérémonies. "Ces partenaires commerciaux olympiques sont en fait la quintessence même du système olympique pour qu'il tienne", estime Eric Monnin. Des Jeux rentables et un avenir olympique solide, autant de critères que veut pérenniser le CIO.

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