Enquête France 2 Réseaux sociaux : comment des agents russes s'en sont pris à Brigitte Macron avec un faux témoignage

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Temps de lecture : 5min - vidéo : 6min
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures - L. Poupon, M. Petitjean, L. Pekez, X. Lepetit, Y. Blombou
France Télévisions

Dans une vidéo relayée sur les réseaux sociaux, un homme se présentant comme un ancien élève de Brigitte Macron affirme avoir été agressé sexuellement par la Première dame. Les équipes de "L'Œil du 20 heures" ont enquêté sur cette campagne montée de toutes pièces par des agents russes.

C'est une vidéo qui cherchait à déstabiliser jusqu'au sommet de l'Etat. Un prétendu ancien élève de Brigitte Macron l'aurait accusée d'agression sexuelle. Face caméra, on y voit un homme avec un accent accuser la Première dame de l'avoir embrassé sur la bouche. Un témoignage d'autant plus grave qu'il est totalement faux.

A l'origine de cette campagne de désinformation nommée "Storm1516", des agents russes. La vidéo a été postée par un certain Lionel T., que nous avons recherché en ligne. Cela correspond bien au nom d'un ancien élève de l'épouse d'Emmanuel Macron, qui a bien été scolarisé dans l'établissement dans lequel elle enseignait dans les années 1980, en Alsace. Mais l'homme que nous avons retrouvé n'est pas celui de la vidéo. Il a accepté de témoigner, anonymement.

La désinformation russe dans le viseur du gouvernement français

"Je vois une représentation de moi assez mal faite. J'ai été scolarisé à l'établissement où Madame Macron était enseignante. Elle a été ma professeure. Il y a également mon nom, mon prénom qui sont cités. C'est vraiment une histoire où on se fait passer pour moi". Mais il insiste : les accusations d'agression sexuelle sont fausses.

Car la vidéo a été modifiée par intelligence artificielle. Des photos de lui ont été animées, de façon assez grossière, sur le visage d'un acteur. L'accent de la personne qui parle, quant à lui, est robotique et ne sonne pas authentique. Cela n'empêche pas de nombreux comptes de relayer la vidéo sur les réseaux sociaux, jusqu'à lui faire atteindre plus de 10 millions de vues.

Cette opération ciblant Brigitte Macron fait en réalité partie d'un vaste projet de désinformation lancé par la Russie et identifié dans un rapport d'une agence du gouvernement, Viginum, que nous avons pu consulter en exclusivité avant sa sortie.

"Viginum est en mesure de confirmer l’existence de liens entre le dispositif et des individus ainsi que des organisations proches du gouvernement russe."

Le service gouvernemental Viginum

dans le rapport "Analyse du mode opératoire informationnel russe Storm-1516"

Le rapport comptabilise 77 opérations lancées depuis août 2023 contre l'Ukraine, les États-Unis, l'Allemagne et, bien sûr, la France. 

"Les activités de Storm-1516 représentent une menace importante pour le débat public numérique français et européen, et semblent avoir privilégié des thématiques clivantes ou anxiogènes, liées à l’immigration et au terrorisme."

Le service gouvernemental Viginum

dans le rapport "Analyse du mode opératoire informationnel russe Storm-1516"

Un mode opératoire sophistiqué

Le nom Storm-1516 désigne un mode opératoire complexe et sophistiqué, en trois étapes. D'abord, une fausse information est fabriquée à partir d'une vidéo modifiée par intelligence artificielle. Pour chaque pays-cible, une thématique clivante est choisie : menace d'attaque sur Notre Dame, achat de voitures de luxe par des dirigeants, ou encore amant inventé d'Emmanuel Macron... En tout, treize opérations ont ciblé la France en un an. 

Ensuite, chacune de ces histoires fabriquées est relayée sur X, pour être diffusée au plus grand nombre, par des centaines de comptes, dont certains qui ont été rémunérés. Nous entrons en contact avec l'un d'entre eux sur une messagerie chiffrée. Suivi par 700 000 abonnés, il aurait touché 100 dollars par post, sans savoir à quoi il participait, d'après lui.

"D'abord, ils ont gagné ma confiance en me faisant poster des choses sans importance. Puis ils m'ont demandé de poster des choses que je croyais vraies. Quand j’ai compris qu’elles étaient fausses, j’ai tout effacé et je les ai bloqués."

AlphaFox78

à "L'Œil du 20 heures"

Une stratégie payante en termes d'audience : sur l'ensemble des campagnes ciblant la France, nous avons comptabilisé plus de 150 millions de vues. 

Enfin, dernière étape : donner un semblant de crédibilité journalistique. Et c'est là qu'entre en scène un maillon essentiel de Storm-1516. "Infos indépendantes", "Le Quotidien français", ou encore "Les Echos de la France" : autant de noms de faux médias. Et derrière, ce n'est pas un Russe, mais un Américain pro-Kremlin, John Mark Dougan. Un ancien shérif de Floride, glorifié dans un portrait diffusé par Russia Today en 2018. Depuis, il s'est réfugié à Moscou et revendique haut et fort ses méthodes comme lors d'une conférence en janvier. 

"J’utilise l'intelligence artificielle pour amplifier certains sujets. Et ces sujets ont été vus par près de 40 millions de personnes en Occident. Que les journalistes occidentaux l’acceptent ou non, avec un unique serveur depuis mon domicile, je peux générer 90 000 articles par mois."

John Mark Dougan

lors d'une conférence

Le Quai d'Orsay réclame des sanctions

Face à la menace, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, n'hésite plus à accuser la Russie, actant un changement de doctrine dans les rapports de la France avec la Russie : "Nous disons, depuis de longs mois maintenant, que l'agressivité de la Russie ne se limite pas à sa guerre d'agression contre l'Ukraine et que nous, Français, Européens, sommes d'ores et déjà la cible de manœuvres en tout genre de la Russie".

"Sur les fondements de ce rapport de Viginium, nous allons proposer que des individus ainsi identifiés soient sanctionnés par l'Union européenne : gel de leurs avoirs, interdiction de circulation sur le territoire européen..."

Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères

à "L'Œil du 20 heures"

En retour, l'ambassade de Russie nie en bloc.

"La Fédération de Russie ne s'est pas ingérée et ne s'ingère pas dans les affaires intérieures d'États souverains, y compris d'États inamicaux comme la France. Notre pays a d’autres priorités plus importantes."

L'ambassade de la Fédération de Russie en France

à "L'Œil du 20 heures"

Brigitte Macron, quant à elle, n'a pas souhaité réagir à cette campagne de désinformation qui la vise.

Retrouvez l'intégralité du reportage dans la vidéo ci-dessus

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