Milliards d'euros d'investissements, appel à une IA plus "ouverte"… Ce qu'il faut retenir du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle à Paris

La France accueillait de nombreux chefs d'Etat, chercheurs et patrons des entreprises les plus célèbres du secteur de l'intelligence artificielle. L'occasion d'annoncer une pluie d'investissements et faire des déclarations d'intention pour une IA plus durable et inclusive.

Article rédigé par Luc Chagnon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Emmanuel Macron prend la parole lors de la session plénière du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle, à Paris, le 11 février 2025. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Emmanuel Macron prend la parole lors de la session plénière du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle, à Paris, le 11 février 2025. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Des milliards, des milliards et encore des milliards. Le "Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle" (IA), qui a réuni à Paris de nombreux chefs d'Etat et d'entreprises de ce domaine en plein essor, lundi 10 et mardi 11 février, a été le théâtre de nombreuses annonces censées accélérer le développement de ce secteur technologique.

Plus de 300 milliards d'euros d'investissements prévus dans les prochaines années, nouveaux centres de données un peu partout en France, déclarations pour encourager à créer des IA plus "ouvertes" et "inclusives"… Franceinfo vous résume ce qu'il faut retenir de ce grand raout de la tech.

Près de 110 milliards d'euros d'investissements privés en France, notamment dans des data centers

L'Elysée martèle qu'il s'agit d'"un montant colossal, jamais vu". Des investisseurs privés vont injecter 109 milliards d'euros dans les entreprises et infrastructures numériques de la France au cours des prochaines années, ce qui devrait notamment servir à y développer le secteur de l'IA. Un montant comparable au colossal projet Stargate américain et ses 500 milliards de dollars, si on rapporte chaque projet au PIB de son pays, assure Emmanuel Macron.

Près de la moitié de ce montant (50 milliards) sera investi par les Emirats arabes unis dans la création d'un "campus" axé sur l'IA, dont la localisation est encore inconnue et qui sera le plus grand d'Europe dans le domaine, promet l'Elysée. Il hébergera notamment un data center géant, un centre de données d'une puissance pouvant aller jusqu'à un gigawatt. Il sera développé par "un consortium de champions franco-émiratis", à commencer par le fonds d'investissement MGX, adossé aux Emirats arabes unis.

Une grande partie des 59 milliards restants sera aussi consacrée à faire éclore des data centers. L'Elysée a annoncé que 35 sites étaient "prêts à l'emploi", occupant une surface cumulée de 1 200 hectares, et doivent pouvoir être raccordés au réseau "pour une capacité électrique élevée dans un délai raisonnable (à partir de 2027)", selon un communiqué du gouvernement (document PDF).

Sur les quelques milliards restants, on trouve également des fonds pour fabriquer des "infrastructures associées" aux data centers, par exemple pour financer la fabrication de puces électroniques utiles au développement de l'IA. Ou encore "nouveaux programmes énergétiques", qui pourront servir à alimenter ces centres de données énergivores.

Quelque 200 milliards d'euros publics et privés pour l'IA européenne… sous conditions

Elle évoque "le plus grand partenariat public-privé dans le monde pour le développement d'une IA fiable". La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a annoncé un plan d'investissement massif dans le secteur de l'IA européenne, avec 200 milliards d'euros prévus sur les prochaines années. Une initiative "coconstruite avec Emmanuel Macron", vante l'Elysée.

L'Union européenne (UE) devrait abonder ce programme à hauteur de 50 milliards, selon Ursula Von der Leyen, sans qu'on sache pour le moment d'où proviendra cet argent. Cette somme ne se confond pas avec les 109 milliards en France, confirme l'Elysée – il n'y a donc, en principe, pas de doublon qui ferait grossir artificiellement les chiffres.

Comme pour les investissements en France, il s'agira surtout de fonds privés. Pas moins de 150 milliards sont promis par une vingtaine de grands acteurs financiers internationaux, notamment des fonds d'investissement américains (Blackstone, KKR…) et européens (Balderton Capital...), explique un communiqué de presse (document PDF) de l'alliance d'entreprises européennes EU Champions Initiative.

Ce collectif rassemble les grands groupes industriels (Airbus, L'Oréal, Mercedes, Siemens…) et technologiques (Spotify, Mistral AI…) impliqués dans ce branle-bas de combat européen, et qui bénéficieraient donc des investissements promis par l'UE et les géants financiers. Ce groupe de géants économiques européens "veut coopérer avec la Commission européenne et les Etats membres pour créer un cadre réglementaire de l'IA drastiquement simplifié, afin de débloquer l'innovation", selon le communiqué.

Les 150 milliards d'euros privés devraient être dépensés dans les cinq ans, mais attention : les fonds d'investissement posent leurs conditions. Cette somme sera versée seulement lorsque "l'Europe aura réussi à créer une feuille de route en matière d'IA axée sur la concurrence, transparente et ciblée, avec des opportunités viables d'investissement". En clair : si et seulement si l'UE donne des gages pour montrer qu'elle accepte d'alléger sa réglementation.

Une déclaration internationale pour une IA "ouverte", "inclusive" et "éthique"... sans certains pays leaders

Une soixantaine de pays du monde entier, ainsi que l'UE et l'Union africaine, ont signé une déclaration pour défendre la création d'intelligences artificielles "ouvertes", "inclusives" et "éthiques". Les signataires, qui incluent notamment la Chine, la France et l'Inde, se sont aussi prononcés pour éviter "une concentration du marché" afin que cette technologie soit plus accessible.

Le texte appelle plus généralement à étudier davantage les effets du développement des IA, qu'il s'agisse de leur impact environnemental ou leurs conséquences pour l'économie et le marché de l'emploi. Les signataires appellent aussi à créer un "dialogue mondial" et renforcer la coopération internationale, de préférence "en veillant à [la] complémentarité" des différentes initiatives "et en évitant les doublons".

Mais plusieurs leaders du secteur n'ont pas paraphé le document, notamment les Etats-Unis de Donald Trump. Pas vraiment une surprise, vu l'opposition notoire aux politiques de lutte contre le changement climatique, les discriminations ou de coopération multilatérale internationale. "Nous pensons que le biais idéologique n'a pas sa place dans l'IA", a martelé son vice-président J.D. Vance, attaquant en creux les mesures mises en place par les concepteurs d'IA pour réduire les biais racistes, sexistes… qui peuvent émerger chez ces IA à cause de leurs données d'entraînement, et que le camp républicain a critiquées à plusieurs reprises.

Le Royaume-Uni et Israël, autres pays leaders en matière d'IA, n'ont pas non plus signé la déclaration. "Vous ne vous attendriez pas à ce que nous adhérions à des initiatives que nous ne jugeons pas être dans notre intérêt national", a dit un porte-parole du Premier ministre Keir Starmer. "Nous n'avons pas pu nous mettre d'accord sur toutes les parties de la déclaration, mais nous allons continuer à travailler avec la France sur d'autres initiatives", a-t-il ajouté.

La création d'un partenariat pour une IA "d'intérêt général"

Ce partenariat, appelé Current AI, rassemble neuf pays (la France, l'Allemagne, la Finlande, la Slovénie, la Suisse, le Chili, le Maroc, le Kenya, et le Nigeria), des associations et des entreprises. Il vise à favoriser la création d'IA "d'intérêt général", en finançant la création de bases de données privées et publiques dans des domaines comme la santé et l'éducation, mais aussi des outils et des infrastructures publiées en sources ouvertes, pour rendre l'IA plus "transparente et sécurisée".

L'initiative, notamment portée par l'envoyé spécial de l'Elysée Martin Tisné, est abondée à hauteur de 400 millions d'euros et espère lever 2,5 milliards dans les 5 ans. Côté entreprises, Google, l'éditeur de logiciel Salesforce ou encore le groupe AI Collaborative du fondateur d'eBay Pierre Omidyar participent à l'initiative.

"Current AI va contribuer au développement de nos propres systèmes d'intelligence artificielle en France et en Europe pour diversifier le marché et promouvoir l'innovation à travers le monde", affirme le président français Emmanuel Macron, cité dans le communiqué évoquant ce projet.

Des coalitions pour défendre des IA "soutenables" et le "bien-être" des enfants

D'autres alliances entre Etats, entreprises et associations ont été lancées à l'occasion du sommet. Parmi elles, la "Coalition pour une IA soutenable", qui doit fédérer les initiatives permettant de réduire l'impact environnemental des intelligences artificielles. Selon son site, cette coalition a été "initiée par la France en collaboration avec le Programme des Nations unies pour l'environnement et l'Agence internationale des télécommunications", deux agences de l'ONU.

La liste de ses membres comprend également des centres de recherche, des associations et des entreprises sur toute la chaîne de production de l'IA, françaises comme mondiales, comme le porte-étendard français de l'IA générative Mistral AI, des gérants de data centers (Equinix), des fabricants de matériel électroniques (NVIDIA et AMD) ou encore des énergéticiens (EDF)... Mais pas les géants de l'IA : ni OpenAI, ni Google, ni Meta n'ont intégré ce groupe.

Enfin, le Forum de Paris sur la paix et Everyone.AI ont lancé une coalition internationale "pour protéger le développement des enfants à l'ère de l'IA" afin de travailler à ce que les IA n'exposent pas les enfants à des contenus violents ou n'entravent leur développement cognitif ou émotionnel. Elle est soutenue par dix pays, mais aucune grande puissance de l'IA à part la France. Ont également signé huit grandes entreprises, dont OpenAI ou Google (mais pas Meta), ainsi qu'une vingtaine d'ONG.

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