On vous raconte la polémique autour de The Velvet Sundown, groupe de musique généré par l'intelligence artificielle et qui cartonne sur Spotify

Avec plus d'un million d'écoutes en un mois, le groupe qui reconnaît une utilisation de l'IA pour sa production artistique interroge les spécialistes du secteur. Pour certains, la plateforme Spotify favoriserait ce type de contenus afin de ne pas payer de droits d'auteurs.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
L'image utilisée par Spotify pour présenter le groupe The Velvet Sundown. (THE VELVET SUNDOWN / SPOTIFY)
L'image utilisée par Spotify pour présenter le groupe The Velvet Sundown. (THE VELVET SUNDOWN / SPOTIFY)

Difficile de faire la sourde oreille. Inconnu il y a encore quelques semaines, le groupe The Velvet Sundown cartonne avec plus d'un million d'écoutes en un mois sur la plateforme Spotify. Quelque 30 000 personnes se sont même abonnées à leur page. Derrière ce phénomène se cache pourtant une musique 100% produite par l'intelligence artificielle (IA), estiment plusieurs observateurs avisés. "On voit tout de suite en l'écoutant que c'est un faux groupe, de la fausse musique, ça n'a aucun intérêt artistique", s'agace ainsi le journaliste et animateur Philippe Manœuvre.

"Nous avons identifié que la musique de The Velvet Sundown avait été 100% générée par l'IA grâce à notre propre outil de détection déployé au début de l'année", ajoute un porte-parole de la plateforme française Deezer, rivale de Spotify. La recette paraît simple : des airs planants venus du rock indépendant, des photos brillantes et lisses typiques de l'IA ou encore des paroles qui semblent parfois avoir été écrites en alignant des mots choisis au hasard dans un dictionnaire. "Bottes dans la boue, ciel rougeoyant / Voix de la raison perdues dans nos têtes / La radio fredonne tandis que le silence hurle / La vérité se dérobe dans les rêves américains", philosophe le premier couplet de la chanson Rebel Shout, issue du premier album du groupe. 

En moins de six semaines, The Velvet Sundown s'apprête à "offrir" au public son troisième album. Cette hyperactivité interroge tout autant que l'absence totale de présence en ligne du groupe et de ses membres. Quelques noms ont été un temps diffusés dans la biographie sur Spotify, mais ils ne renvoyaient à aucun artiste ayant une quelconque activité musicale connue. 

"Une provocation artistique permanente"

De leur côté, les comptes officiels du groupe paraissent s'amuser de ces accusations. La formation a nié dans un premier temps le recours à l'IA et même démenti les propos d'un faux porte-parole qui évoquait une opération "marketing" et le recours à la plateforme d'IA générative Suno. Mais dans une mise à jour de la bio du groupe samedi sur Spotify, le groupe a finalement reconnu un "soutien de l'intelligence artificielle". "Il s'agit d'une provocation artistique permanente destinée à remettre en question les limites de la paternité, de l'identité et de l'avenir de la musique elle-même à l'ère de l'IA", affirme cette courte bio. 

"Pas tout à fait humain. Pas tout à fait machine. The Velvet Sundown vit quelque part entre les deux."

The Velvet Sundown

dans sa biographie sur Spotify

"Ils ont dit que nous n'étions pas réels. Peut-être que vous ne l'êtes pas non plus", s'amuse encore le mystérieux groupe sur le réseau social X. Mais l'affaire n'amuse pas le milieu, alors que la musique produite par l'IA envahit chaque jour un peu plus les plateformes d'écoute. Selon Deezer, "18% des nouvelles musiques publiées chaque jour sur sa plateforme sont entièrement générées par l'intelligence artificielle". Dans le même temps, de nombreux artistes peinent à trouver une juste rémunération dans ce nouvel écosystème numérique.

Le Québécois Etienne Tremblay, technicien du son, musicien et animateur de la chaîne YouTube La Machine à mixer, se montre d'autant plus inquiet qu'il juge plutôt positivement certains des morceaux produits par The Velvet Sundown. "Je trouve ça quand même assez surprenant, observe-t-il dans une vidéo. Il y a quand même des structures relativement complexes (...) une certaine recherche, entre guillemets, au niveau des arrangements."

"C'est juste mercantile"

Mais qui se cache derrière The Velvet Sundown ? Pour Philippe Manœuvre, "c'est Spotify qui fabrique de la musique pour éviter de reverser des droits d'auteurs. C'est juste mercantile". "Beaucoup de gens pensent que l'algorithme de Spotify les pousse, les encourage", complète Etienne Tremblay. Dans son livre-enquête Mood Machine, la journaliste Liz Pelly expliquait que la plateforme n'hésitait pas à glisser des musiques générées par de faux artistes générés par l'IA dans des playlists populaires. "J'évoque notamment une start-up qui prétend créer des 'paysages sonores personnalisés' à l'aide de l'IA et dont les morceaux se sont retrouvés dans des playlists pour 'se concentrer'", expliquait-elle en janvier au journal Le Monde.

La plateforme suédoise n'a pas répondu sans l'immédiat aux questions de franceinfo ni aux sollicitations des autres médias, mais s'était défendue plus tôt cette année de telles pratiques auprès de franceinfo culture. "Spotify ne télécharge, crée ou met en ligne aucun contenu, qu'il soit généré par l'intelligence artificielle ou autre", assurait l'entreprise en février. Une défense qui ne convainc pas de nombreux internautes appelant au boycott de la plateforme.

De son côté, Deezer ne manque pas l'occasion de rappeler ses engagements en la matière. "Afin de préserver la rémunération des artistes et garantir une expérience utilisateur optimale, Deezer exclut actuellement les morceaux 100% IA de ses recommandations algorithmiques et éditoriales", assure la plateforme dans un communiqué. Deezer ne se dit pas contre le recours à l'IA comme aide à la création, mais refuse les contenus intégralement générés par un ordinateur. "Et depuis quelques semaines, nous avons mis en place un système de tag (ou d'étiquetage) pour informer les utilisateurs que l'album qu'ils écoutent peut contenir des chansons entièrement générées par IA", ajoute un porte-parole. C'est effectivement le cas pour les albums du groupe The Velvet Sundown.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.