Données privées : "Ce qui se dessine, c'est une surveillance généralisée des citoyens français"
Après l'adoption de la loi de programmation militaire et de son controversé article 13, francetv info a interrogé Jérémie Zimmermann, porte-parole et cofondateur de l'association La Quadrature du net.
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Les sénateurs ont définitivement adopté, mardi 10 décembre, la loi de programmation militaire pour la période 2014-2019 et son controversé article 13 (devenu entre-temps l'article 20, comme l'indique le site du Sénat). Grâce à lui, l'Etat pourra avoir accès à beaucoup plus de données numériques, dès le 1er janvier 2015.
Le texte assouplit les modalités qui permettent de consulter ces informations. En plus de la lutte antiterroriste, les autorités pourront invoquer "la prévention contre la criminalité, la délinquance organisée ou la reconstitution de groupements dissous ou encore la préservation du potentiel scientifique et économique de la France". Surtout, l'article litigieux ouvre cette surveillance des données à des membres du ministère de l'Economie et des Finances, sans contrôle judiciaire.
Au lendemain de l'adoption de la loi, Jean-Jacques Urvoas, président (PS) de la commission des Lois de l'Assemblée nationale a fait une mise au point sur son blog pour "combattre la rumeur". Il balaye les accusations d'"espionnage massif" et estime que le texte "comporte des avancées évidentes pour l'Etat de droit". Francetv info a interrogé Jérémie Zimmerman, porte-parole et cofondateur de l'association La Quadrature du net, aux avant-postes de la protestation contre cette loi.
Francetv info : Que pensez-vous du vote de l'article 13 de la loi de programmation militaire ?
Jérémie Zimmermann : C'est scandaleux que le gouvernement n'ait pas enlevé cet article. Mais on a eu du retard à l'allumage notamment parce que la Cnil [la Commission nationale de l'informatique et des libertés] n'a pas fait son travail de sentinelle et d'alerte.
Ce qui se dessine avec ce texte, c'est une surveillance généralisée des citoyens français. Un dispositif d'exception [les mesures adoptées dans la loi antiterroriste du 23 janvier 2006] devient la norme. Comment peut-on accepter ça à l'heure des révélations d'Edward Snowden sur l'espionnage des Etats-Unis alors qu'il n'y a pas d'urgence à légiférer sur ce sujet ?
Avec l'article 13, il n'y a plus de séparation des pouvoirs comme cela devrait être le cas dans un Etat de droit. L'exécutif va remplacer le judiciaire. Aucun juge ne contrôlera qui et pourquoi : c'est le Premier ministre qui donnera son accord. Des fonctionnaires du ministère de l'Economie et des Finances, des policiers et des militaires pourront décider de vous espionner pour à peu près tout et n'importe quoi. C'est comme si les écoutes de François Mitterrand ou l'affaire des fadettes [où les factures téléphoniques d'un journaliste du Monde ont été espionnées] étaient légales. C'est une dérive totalitaire gravissime.
Face aux critiques, Jean-Jacques Urvoas, président (PS) de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, dénonce "une désinformation orchestrée" et "une interprétation déformée".
Il se fout de notre gueule ! Les critiques viennent d'acteurs différents. Cela va du Medef à La Quadrature du net en passant par des groupements de professionnels du secteur ou des associations de protection des droits de l'homme. Ce sont des personnes qui connaissent leurs dossiers.
L'interprétation n'est pas déformée. La loi justifie des surveillances par "la prévention contre la criminalité ou encore la préservation du potentiel scientifique et économique de la France" : c'est totalement flou. Quand les parlementaires affirment que les contenus des échanges ne seront pas observés, et que seules les données de connexion seront relevées, ils se moquent de nous. Autre exemple avec la géolocalisation : pour la rendre possible, il faut mettre un boîtier sur des antennes relais. Et cela signifie que toutes les données doivent être enregistrées et que le tri est fait ensuite. C'est de la surveillance massive.
Et c'est risible quand les parlementaires affirment qu'il y aura un contrôle de la CNCIS [Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, le gendarme des écoutes]. Avec la nouvelle loi, le Premier ministre va signer une autorisation de mise sous surveillance. Elle doit être ensuite examinée par la CNCIS. Cette commission qui compte trois membres est censée être indépendante. Mais son président est nommé par le président de la République.
Selon vous, qu'aurait-il fallu faire pour mieux légiférer à ce sujet ?
Il aurait fallu mettre en place un moratoire et voter une loi dédiée. On aurait dû organiser un débat public car il s'agit de la vie privée des citoyens. Il aurait fallu mettre toutes les pratiques sur la table, même celles qui déjà en cours et celles qui sont à la limite du légal. La bonne procédure aurait été de débattre de ce qu'il faut faire ou pas sur ces questions.
Le Conseil constitutionnel peut encore être saisi. En 2009, il avait retoqué la loi Hadopi. Il avait estimé que seul un juge pouvait prononcer la sanction et non une autorité administrative. Il va peut-être se souvenir de cet épisode et censurer la loi de programmation militaire, mais je n'y crois pas trop.
Que conseillez-vous aux Français qui s'inquiètent pour la protection de leur vie privée ?
Ils doivent apprendre à manier les technologies de chiffrages qui permettent de crypter leurs données. Il faut qu'ils se tournent vers des services décentralisés. Autrement dit, il faut qu'ils stockent leurs documents et leurs e-mails chez eux et non pas en ligne, comme chez Google par exemple.
Il faut qu'ils s'équipent technologiquement contre le gouvernement, qu'ils utilisent des proxy pour ne plus être identifiable ou bien qu'ils se tournent vers des navigateurs comme Tor [un logiciel qui permet de surfer sur internet en restant anonyme, comme l'a expliqué un reportage diffusé dans l'émission "Envoyé Spécial" de France 2].
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