Le programme Evars d'éducation à la vie affective et sexuelle fait sa première rentrée scolaire, mais des doutes persistent sur sa mise en œuvre
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Si le projet a survécu aux pressions des milieux conservateurs, des acteurs de l'éducation restent vigilants quant à une contre-offensive. Ils espèrent également que son application s'accompagnera de formations et de moyens suffisants.
L'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) attendait son programme depuis vingt-quatre ans. Lundi 1er septembre, il entre officiellement en vigueur dans l'ensemble des écoles, collèges et lycées. Ce texte de cadrage vise à appliquer les trois séances annuelles imposées par une loi de 2001, mais jusqu'alors peu effectives dans les faits – moins de 15% des élèves en bénéficiaient selon le Conseil économique, social et environnemental (Cese). "Enfin, les professeurs vont avoir un support, souligne David Boudeau, président de l'Association des professeurs de biologie et de géologie (APBG). Certains collègues étaient jusqu'alors un peu frileux pour assurer les séances, se sentaient en manque de connaissances."
Le programme se veut progressif : les questions liées à la sexualité ne sont pas abordées dans le premier degré. A l'école, maternelle puis élémentaire, les élèves apprendront à connaître leur corps et leurs émotions, mais aussi à exprimer un consentement. Au collège et au lycée, ils travailleront sur les questions de genre, seront informés de ce qu'est la santé sexuelle et sensibilisés aux violences sexuelles.
"Ce programme, c'est une excellente nouvelle et un soulagement, surtout quand on retrace son histoire", retrace Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. Après que le ministre d'alors, Pap Ndiaye, a missionné le Conseil supérieur des programmes pour qu'il élabore un projet éducatif, en juin 2023, "il y a eu beaucoup de retards, avec une valse de ministres à l'Education nationale et une forte offensive de groupes réactionnaires", rappelle Sophie Vénétitay.
Avant d'arriver à une publication au Bulletin officiel de l'Education nationale, le 6 février, la pression des milieux conservateurs a été maximale pour faire reculer le ministère sur des termes. Des associations familiales, des médias, des élus de droite ou d'extrême droite ont notamment fait campagne contre les mentions relatives au genre, jugeant dès les premières versions du programme qu'il était empreint de "militantisme woke". L'ex-ministre délégué en charge de la Réussite scolaire, Alexandre Portier (gouvernement Barnier), avait lui-même accusé le programme d'être influencé par une supposée "théorie du genre", avant d'être recadré par sa ministre de tutelle, Anne Genetet.
Si le ministère n'a pas reculé sur la philosophie globale du texte, la notion de "transphobie", qui devait être abordée en classe de troisième, a été supprimée. La dernière copie du programme est, malgré tout, jugée à la hauteur des enjeux par l'ensemble des syndicats d'enseignants et les associations de prévention. "Il reste solide. On a su faire bloc dans l'intérêt" des élèves, estime Sophie Vénétitay. "On aurait pu aller plus loin, mais c'est un bon compromis", avance, de son côté, la présidente du Planning familial, Sarah Durocher. Après la théorie, place désormais à la pratique.
La crainte des "tracts mensongers" et des "menaces"
Si le texte a survécu aux pressions, les professeurs appréhendent maintenant d'être contestés durant cet enseignement. "On a vu à quel point certains parents ont été utilisés avec la diffusion de 'fake news'", glisse Sophie Vénétitay. Un mois après la publication du programme, la FSU s'inquiétait de la multiplication de "tracts mensongers" et de "menaces" contre le personnel enseignant, ainsi que de parents menaçant de "retirer leurs enfants" de l'établissement les jours concernés.
Parmi les prospectus distribués devant les écoles et déposés dans les boîtes aux lettres, "on a pu lire que l'école allait enseigner la masturbation aux élèves", rapporte Audrey Chanonat, secrétaire nationale au SNPDEN-Unsa, syndicat représentant des chefs d'établissement. Si ces tracts propageant de la désinformation ne sont pas toujours signés, des associations comme SOS Education n'hésitent pas, sur leur propre site internet, à afficher la même couleur. "A l'école, enseignez-moi les divisions, pas l'éjaculation", peut-on notamment lire sur une pétition qui totalisait fin août plus de 18 500 signatures.
Malgré le rejet par le Conseil d'Etat, fin juin, du recours d'opposants au programme d'Evars, le Syndicat de la famille (ex-Manif pour tous), l'une des associations à l'origine de cette requête, espère toujours un revirement de situation. "Rien n'empêche un nouvel arrêté" pour réviser le texte, juge sa présidente, Ludovine de La Rochère, selon qui il "serait grave de s'habituer à ce programme et de laisser courir". En cette rentrée, le Syndicat de la famille compte distribuer un nouveau tract comprenant une liste de règles pour "protéger" les enfants du "wokisme" et un "mode d'emploi" pour permettre aux familles de protester contre un cours d'Evars. "Il n'est pas question de mettre en doute la bonne volonté des enseignants", tempère Ludovine de La Rochère.
Lors de sa conférence de presse de rentrée, la ministre de l'Education, Elisabeth Borne, en sursis jusqu'au 8 septembre avec le vote de confiance au gouvernement sollicité par le Premier ministre, a très peu parlé du programme Evars. Dans un propos sur la sécurité des enseignants, elle a toutefois martelé qu'elle n'accepterait "aucune contestation d'enseignement, aucune menace, aucune violence".
"On a besoin d'un soutien sans faille de la hiérarchie, le ministère comme celle de proximité [les rectorats]. S'il y a un gros blocage, il faudra une certaine fermeté ; ce programme ne doit pas être négocié."
Aurélie Gagnier, co-secrétaire générale et porte-parole de la FSU-SNUipp, syndicat du premier degréà franceinfo
Dans la foulée de l'adoption du programme, le ministère de l'Education nationale avait rappelé qu'en fonction de la gravité des éventuels incidents, des leviers pourraient être activés, comme la tenue d'une procédure disciplinaire pour l'élève, un signalement au procureur de la République ou encore la protection fonctionnelle de l'enseignant. Ailleurs qu'en France, l'adoption d'un programme scolaire sur l'éducation à la sexualité a déjà pu provoquer de lourdes représailles. En Belgique, des écoles ont été vandalisées par des opposants, avec des incendies et des tags hostiles, comme le racontait en septembre 2023 France 3 Hauts-de-France.
David Boudeau, familier des cours d'Evars, souhaite malgré tout rester optimiste. "Je ne pense pas que le programme va exacerber la situation", estime le président de l'APBG, selon qui les situations de conflit direct avec les familles étaient jusqu'à présent rares. La version définitive du programme prévoit par ailleurs que les parents soient "informés des objectifs d'apprentissage annuels de cette éducation".
Un programme "ambitieux, peut-être trop parfois" pour l'enseignement catholique
Dans l'enseignement privé catholique, Marie Troadec et Pascale Picol, responsables syndicales à la CGT, redoutent le non-respect du programme Evars. "Il faut faire le ménage dans certaines associations, qui bien qu'elles soient agréées, ne sont pas claires" sur ces sujets, pointe la première. En plus des personnels sociaux et de santé, comme les infirmiers, des intervenants extérieurs peuvent en effet venir en appui de l'enseignant lors des séances. "Sur l'IVG par exemple, on sait que des idées comme 'Dieu va vous punir' ont déjà circulé", illustre Pascale Picol.
Ces derniers mois, le Secrétariat général de l'enseignement catholique (Sgec) a plusieurs fois été ambigu quant au programme Evars. Fin février, Philippe Delorme, encore à la tête du Sgec, a notamment exprimé des réserves sur le contenu prévu au collège et au lycée. Face à la commission d'enquête parlementaire sur le contrôle des établissements scolaires par l'Etat, lancée dans la foulée de l'affaire Bétharram, il a toutefois assuré début avril vouloir "combattre" les associations qui s'opposeraient à cet enseignement en pratiquant "la désinformation".
Son successeur, Guillaume Prévost, a qualifié vendredi le programme Evars de "riche, ambitieux, peut-être trop parfois". "Ces enjeux relevant de l'intimité sont importants. Mais ne cédons pas à la tentation de vouloir tout rendre conforme", a-t-il également déclaré dans un entretien accordé à Ouest-France. Cette position "ouvre la porte aux chefs d'établissement les plus conservateurs, ou aux parents, qui rechigneraient à appliquer pleinement le programme Evars en y opposant des réticences et en modulant le contenu à la sauce 'anthropologie chrétienne'", craint Marie Troadec. Lors de la rentrée des enseignants, "on a bien observé localement des demandes des chefs d'établissement d'enseigner l'Evars en classe", note toutefois cette responsable CGT de l'enseignement privé.
"Ce n'est pas avec un budget constant qu'on arrivera à faire ça bien"
Pour mettre en musique le programme, les enseignants espèrent aussi bénéficier rapidement d'une formation. "Si ce n'est pas fait, ce sera un coup d'épée dans l'eau. C'est le 'package' programme + formation qui va permettre d'avancer", expose David Boudeau. En février, le ministère de l'Education nationale s'était fixé pour objectif de former deux à trois professeurs des écoles par circonscription, et un professeur par collège et lycée d'ici septembre. Pour l'année scolaire 2025-2026, il est prévu d'organiser, pour les volontaires, une formation renforcée de deux journées en présentiel dans chaque académie. Un parcours d'autoformation est également en ligne sur la plateforme Magistère, destiné à tous les agents.
Contacté par franceinfo, le ministère de l'Education nationale n'est pas en mesure, à ce stade, de faire le bilan sur le nombre d'enseignants formés avant la rentrée. Mais d'après Aurélie Gagnier, "cela est très disparate selon les académies", ce que confirme également Audrey Chanonat. "Il est possible de se former en ligne sur Eduscol, mais le sujet est tellement important et sensible, il serait insuffisant de se contenter de ça", prévient la porte-parole de la FSU-SNUipp. Elle alerte aussi sur "le manque de personnels en médecine scolaire", alors que leur aide est jugée nécessaire par les enseignants.
Sophie Vénétitay regrette également que les moyens ne soient pas abondés en conséquence. Pour l'heure, les séances d'Evars ne bénéficient d'aucune heure fléchée. Charge aux enseignants de se concerter et de s'organiser pour libérer du temps dans des plannings déjà chargés. "L'Education nationale est à l'os. Ce n'est pas avec un budget constant qu'on arrivera à faire ça bien", expose la secrétaire générale du Snes-FSU, en référence aux propositions de François Bayrou pour le budget 2026 et à la maigre rallonge de 200 millions d'euros accordée à l'enseignement scolaire.
Le Planning familial, dont l'agrément a été renouvelé en juin, s'interroge aussi sur sa capacité à aider les enseignants à déployer le programme Evars. "Jusqu'à présent, on intervenait auprès de 3 600 établissements, et on en refusait tout autant par manque de moyens", rapporte Sarah Durocher. Elle rappelle que les baisses budgétaires se font sentir dans le milieu associatif. Dans les Deux-Sèvres par exemple, l'Agence régionale de santé a mis fin à une subvention de 52 000 euros pour le Planning familial, relate Ouest-France. Conséquence : à la rentrée, ses intervenants ne pourront plus se rendre dans les collèges et lycées du département.
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