ENQUÊTE PFAS : des terres aux betteraves, le géant du sucre Cristal Union dans l'engrenage de la pollution éternelle

Le groupe aubois, propriétaire des sucres Daddy, se retrouve confronté aux "polluants éternels", révèle France 3 Champagne-Ardenne, en partenariat avec Disclose. Des champs de betteraves aux usines, les PFAS se sont immiscés dans la chaîne de production de Cristal Union et touchent les produits destinés à la consommation animale. Une contamination qui pourrait être liée à l’utilisation des pesticides.

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Dans la plaine auboise d’Arcis, les arracheuses à betteraves ont sorti les griffes en ce début octobre 2025 et, dans un nuage de poussière, elles n’hésitent pas à gratter la terre en profondeur. Pendant plus de quatre mois, les machines devraient récolter jusqu’à 3 millions de tonnes de racines blanchâtres. Mais aussi de molécules chimiques : des PFAS, ces polluants éternels, ultra-persistantes dans l’environnement et toxiques pour la santé humaine. 

Toutes convergent chez Cristal Union, premier fournisseur de sucre à l’industrie agroalimentaire française : 2,65 milliards de chiffre d’affaires l’an dernier. Sur son site d’Arcis-sur-Aube, chaque jour, 900 bennes de légumes sucriers sont recrachés à la chaîne, avant d’être lavés, hachés, centrifugés et cristallisés pour finir, entre autres exemples, dans une canette de Coca-cola. Les PFAS, eux, sont lessivés par les eaux de lavages avant de retourner dans les champs, épandues sur des milliers d’hectares. 

Un engrenage de “re-pollution”, révélé aujourd’hui par France 3 Champagne-Ardenne, en collaboration avec le média indépendant Disclose, qui éclaire une nouvelle facette de la contamination généralisée aux PFAS. Des terres agricoles aux betteraves, c’est la première fois en France que les “polluants éternels” s’immiscent chez un géant de l’agro-alimentaire. 

La campagne betteravière a débuté à Arcis-sur-Aube et Bazancourt le 11 septembre 2025. © France Télévisions

La “spirale PFAS”  

Cristal Union n’utilise aucun PFAS dans ses processus” préfère poser d'emblée la coopérative agricole, l’une des plus importantes du pays. Comme de nombreux autres industriels, elle subit le phénomène PFAS : en juin 2023, le gouvernement impose à plusieurs milliers d’installations la recherche de ces molécules dans les rejets aqueux. Trois des treize usines que possède le groupe en France sont concernées par ce plan de surveillance national parce qu’elles font de la distillerie. Et sur chacune d’entre elles, on détecte des PFAS. 

En pleine campagne betteravière, d’après les analyses réalisées en 2023, jusqu’à 2,7 grammes de PFBA (l’acide perfluorobutanoïque) sortent de l’usine d’Arcis en une seule journée. Une molécule ultra-persistante qui “a probablement des effets sur le développement, la thyroïde et le foie”, d’après une revue de la littérature scientifique publiée en 2022 par l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA). Le site fait même partie des 5% d’installations françaises responsables de 99% des émissions de PFAS au niveau national. 

Mais ce qui a retenu l’attention des pouvoirs publics, ce sont les 125 kilos de fluor organique absorbable (AOF) d’émissions journalières relevés en 2023. A Buchères (Aube) et à Bazancourt, dans la Marne, la même année, les rejets oscillent entre 73 et 125 grammes d’AOF sur une journée. Utilisée par les autorités pour estimer la quantité totale de PFAS dans les rejets quand le détail des molécules n’est pas disponible, la mesure AOF peut être imprécise. “Les valeurs d’AOF mesurées par Cristal Union présentent une forte variabilité qu’il est difficile d’interpréter”, précise la Direction de l’environnement du Grand-Est (Dreal). Face à de telles concentrations, les autorités ont tout de même pris un arrêté préfectoral “d’urgenceen mai 2024 et réclamé des analyses supplémentaires, les quelques substances recherchées sur la plateforme d’Arcis ne permettant pas d’expliquer un total fluor aussi élevé. 

On n’a pas le choix : si personne ne débouche la sortie de l'usine, demain, elle ne tourne plus, il faut bien évacuer ces rejets d’une manière ou d’une autre.

Laurent

betteravier dans l'Aube

A Banzancourt, dans la Marne, 25 000 tonnes de betteraves convergent sur le site chaque jour © France Télévisions

Car dans la conjoncture auboise, davantage que les concentrations, c’est le caractère circulaire de cette contamination qui interpelle. De septembre à janvier, les eaux de lavage polluées ne sont pas rejetées dans les canalisations ou les fleuves, elles sont épandues sur quelques 22 000 hectares, dans une trentaine de communes alentour, et contaminent donc à nouveau les sols. “On n’a pas le choix : si personne ne débouche la sortie de l'usine, demain, elle ne tourne plus, il faut bien évacuer ces rejets d’une manière ou d’une autre”, explique Laurent, un betteravier qui épand ces eaux terreuses chaque année sans savoir qu’elles contiennent des PFAS. 

550 analyses encore “confidentielles” 

Comme lui, dans la zone d’épandage, aucun des agriculteurs contactés par nos rédactions n’avait entendu parler de cette pollution. “Vous savez, nous, les process, on n’est pas dedans”, justifie l'agriculteur. Cristal Union a pourtant lancé une étude d’ampleur sur le sujet au printemps 2024. Près de 550 analyses réalisées sur les eaux, les terres et même les betteraves par l'Université de Champagne-Ardennes (URCA), un établissement qui a par ailleurs multiplié les partenariats avec le fleuron local du sucre ces dernières années. 

Impossible, cependant, d’avoir accès au détail de cette étude. Selon Cristal Union, qui a refusé de nous les partager, tout comme l’URCA et la préfecture, le rapport complet doit être “publié en fin d’année”. Les premiers résultats, ajoute simplement l’industriel, confirment que les PFAS proviendraient “de la terre accrochée aux betteraves acheminée sur les sites industriels en même temps que les plantes”.  De son côté, l’université assure que les résultats seront publiés “dans une revue scientifique à comité de lecture” et affirme toujours “se réserver le droit de mettre fin à un partenariat si le comportement d’un partenaire venait à compromettre l’indépendance ou la transparence du travail scientifique”. 

Le rapport d'une inspection réalisée par la Direction de l’environnement (DREAL) en mai 2025, repéré par France 3 Champagne-Ardennes et Disclose, permet cependant d’appréhender les principaux enseignements de ces centaines d’analyses. Si l’industriel assure ne pas avoir trouvé de PFAS dans le sucre et les alcools qu’il produit, les résultats mettent en évidence “la détection de PFAS de façon récurrente (...) dans les pulpes, drêches de blé, mélasse, vinasses” ainsi que des “traces de PFAS dans les pellets” de betterave.

Des PFAS dans la chaîne alimentaire   

Le sucre n’est en effet qu’un produit parmi d’autres pour Cristal Union. Dans l’industrie de la betterave, “rien ne se perd”, nous précise un autre agriculteur de l’Aube. Les vinasses, par exemple, co-produites pendant la distillation, servent d’engrais naturel à de nombreux agriculteurs locaux. L’usine de Villette-sur-Aube en fournit jusqu’à 55 000 tonnes par an aux exploitants du territoire. “Ça booste les plants de betteraves”, ajoute Laurent, sans savoir qu’elles “concentrent” les PFAS.  

Même diagnostic pour la mélasse, un autre sous-produit récupéré à l’issue du raffinage du sucre, revendu notamment aux fabricants d’aliments pour animaux ou à l'industrie de la fermentation. Les pulpes de betteraves, obtenues après l’extraction du sucre, servent également à compléter les rations de nourriture du bétail. Elles sont parfois déshydratées et utilisées dans la fabrication de pellets alimentaires qui contiennent, eux aussi, “des traces” de PFAS. 

Dans l'industrie de la betterave, "rien ne se perd", de nombreux co-produits sont utilisés pour la nutrition animale © France Télévisions

Autant de produits commercialisés par Cristalco, la filiale commerciale de Cristal Union, à une échelle industrielle :500 000 tonnesétaient annoncées à la vente en 2023.  “Il faudrait pousser les études sur les animaux qui consomment ces produits pour savoir s’il y a une exposition des consommateurs”, estime François Veillerette, porte-parole de l’association  Générations Futures, qui a notamment réalisé un rapport sur la contamination de nombreux aliments en Europe. “Il faut aller au bout, le but ce n’est pas d’affoler, mais de vérifier”.  

Les éleveurs locaux que nous avons contactés affirment pourtant ne pas avoir été informés de la présence de PFAS dans les co-produits de la sucrerie.  Interrogé, le groupe sucrier explique que “les points d’étapes [de ses analyses PFAS] n’ont pas vocation à être rendus publics et que ses " clients, partenaires et agriculteurs utilisant [ses] eaux d’épandage seront les premiers à être informés des résultats”. Dans un communiqué suivant la parution de notre enquête, le groupe fait également savoir que le rapport d’inspection publié en mai 2025 n’a constaté aucun écart de ses sites industriels au regard des obligations réglementaires en matière de PFAS. Il a conclu à l’absence de toute suite administrative. Concrètement, Cristal Union a l’autorisation de poursuivre son activité, sans action particulière à mener”.   

Les PFAS, on ne les utilise pas dans le process industriel, ils ont présents dans la terre que l’on ramène à l’usine et il y en a aussi sur vos ongles, dans le papier toilette, il y en a partout sur vous.  

Cristal Union

Si votre but, c’est de détruire les emplois, on est un peu sur la défensive”, réagit un membre de Cristal Union et président d'une coopérative fabricant des pellets alimentaires. “Les PFAS, on ne les utilise pas dans le process industriel, ils sont présents dans la terre que l’on ramène à l’usine et il y en a aussi sur vos ongles, dans le papier toilette, il y en a partout sur vous”.  

PFAS et pesticides 

Une rhétorique à peu près similaire à celle de la communicante de Cristal Union, chargée de répondre à nos questions. “La présence de ces PFAS dans les terres agricoles peut résulter de certaines pratiques agricoles mais aussi de l’épandage des eaux usées urbaines traitées en stations d'épuration”, affirme par mail l’ancienne lobbyiste de Thomas Marko & Associés, une agence d’influence qui a pu représenter 3M et Solvay, deux industriels des PFAS attaqués en justice pour avoir rejeté ces polluants dans l’environnement en Europe. “80% des papiers toilette contiennent encore des PFAS”, rappelle l’attachée-presse en conclusion. 

Le papier hygiénique n’est pourtant pas la source de pollution privilégiée par les pouvoirs publics. Sollicitée, la préfecture de région évoque plutôt une “origine de la présence de PFAS et d’AOF en lien avec l’activité agricole”. “Ça pourrait venir des matières actives qu’on met sur les cultures, ça ne vient pas de nulle part”, avance également, à demi-mot, un autre membre de la coopérative.

Certains produits phytosanitaires sont en effet eux-mêmes des “polluants éternels”. En croisant les listes des substances autorisées dans la culture betteravière en France et celles des pesticides-PFAS, France 3 Champagne-Ardenne et Disclose ont identifié onze substances actives actuellement ou historiquement utilisées dans l’Aube. Mais le département ne produit pas que des betteraves et, d’une année sur l’autre, les champs peuvent être semés en culture céréalières utilisant d’autres pesticides. En tout, selon nos calculs, 59,5 tonnes de pesticides PFAS ont été achetés dans l’Aube en 2023.  

Le TFA, “oublié” des analyses 

Il est possible qu'ils utilisent tellement de pesticides, depuis tellement longtemps, que l'eau finit par concentrer tous ces résidus”, suggère Helmut Burtscher-Schaden, chercheur en chimie environnementale pour l’ONG autrichienne Global 2000 et membre du réseau européen Pesticides Action Network. “Comme l’eau tourne en boucle, ces résidus ne peuvent plus être dégradés”. Le scientifique autrichien relève aussi que certains pesticides se dégradent en PFAS, notamment en TFA, la plus petite molécule de cette grande famille de composés chimiques, toxique pour le foie et la reproduction. “Il serait très pertinent de rechercher le TFA dans ces rejets industriels”, complète Helmut Burtscher-Schaden.

Le TFA ne fait pourtant pas partie des substances recherchées par Cristal Union. “Trop cher et trop compliqué”, reconnaît une source au sein de l’Université Reims Champagne-Ardenne. La molécule “n’est pas recensée dans la liste des 20 PFAS réglementaires issus de l’arrêté du 20 juin 2023 qui fixe le périmètre de l’étude en cours”, ajoute Cristal Union. L’arrêté précise pourtant qu’une usine concernée par des rejets de PFAS doit établir “la liste des substances PFAS utilisées, produites, traitées ou rejetées par son installation, ainsi que des substances PFAS produites par dégradation”, comme le TFA donc. 

Quand on sait que des pesticides PFAS sont utilisés à un endroit et qu’on ne cherche pas le TFA, c’est qu’on ne veut pas le trouver”, s’agace François Veillerette, porte-parole de l’ONG Générations Futures. En attendant les conclusions de ces analyses, dans les plaines de l’Aube, Cristal Union se félicite des “conditions climatiques favorables”. Promesses d’une belle récolte de betteraves. Et de PFAS.

* Cette enquête a été réalisée en collaboration avec Nicolas Cossic (Disclose).

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