"Dans deux ans, tout le monde en fera" : les spectacles de drones vont-ils voler la vedette aux feux d'artifice du 14-Juillet ?

L'incontournable spectacle pyrotechnique de la fête nationale est désormais concurrencé par des shows de drones lumineux de plus en plus abordables et impressionnants. Mais chaque formule a ses avantages et inconvénients.

Article rédigé par Luc Chagnon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Des drones forment une effigie de Marianne lors d'un spectacle de la Fête nationale, mêlant ces appareils et des feux d'artifice, devant la tour Eiffel à Paris, le 14 juillet 2024. (DIMITAR DILKOFF / AFP)
Des drones forment une effigie de Marianne lors d'un spectacle de la Fête nationale, mêlant ces appareils et des feux d'artifice, devant la tour Eiffel à Paris, le 14 juillet 2024. (DIMITAR DILKOFF / AFP)

Le ciel brillera encore de mille feux, dimanche 13 et lundi 14 juillet, illuminé par les spectacles pyrotechniques de la Fête nationale. Mais les feux d'artifice du 14-Juillet sont-ils en voie d'extinction ? Certaines communes délaissent désormais cette tradition pour une alternative plus "technologique" : les spectacles de drones lumineux.

Cette année, il n'y aura donc pas de grand "boum" dans les cieux étoilés de Tours, Strasbourg, Toulon, Aigues-Mortes (Gard) ou encore Voiron (Isère). A la place, le ballet en musique de plusieurs centaines d'engins volants, qui décriront une chorégraphie calculée à l'avance pour enchaîner formes et motifs lumineux millimétrés. Les versions les plus pharaoniques de ces spectacles, notamment en Chine, donnent régulièrement lieu à des vidéos virales, et la recette a séduit de nombreux événements, comme la conférence des Nations unies sur l'océan organisée à Nice en juin.

"Ça n'arrête pas !", jubile Chloé Lorentz. La directrice de vol de l'entreprise française Alpha Drones reçoit en ce moment "deux à trois appels par jour" de clients qui souhaiteraient faire appel à ses services pour organiser un spectacle de drones lumineux. "Notre pic d'activité est en juin-juillet, avec tous les festivals et les fêtes", explique de son côté Camille Beaumont, directrice générale de Dronisos, un des leaders français du secteur. "Et pour le 14-Juillet, on sent que les moyens sont mis pour faire des spectacles encore plus costauds."

Protection de l'environnement et "effet wahou"

Pourquoi ces communes choisissent-elles les drones ? Pour certaines, c'est l'aspect écologique qui prime. Ainsi de Tours, qui depuis 2022 a laissé tomber les explosifs afin de ne pas effrayer les sternes pierregarins et naines, oiseaux emblématiques de la Loire et espèces protégées depuis 2009, rapporte France 3 Centre-Val de Loire. Les drones n'émettent pas non plus directement de CO2 ou de particules fines ou métalliques, contrairement à un feu d'artifice classique, qui peuvent provoquer "des taux horaires de particules PM10 supérieurs à 1 000 µg/m3", expliquait en 2019 l'observatoire de la qualité de l'air Atmo Auvergne-Rhône-Alpes.

"On ne laisse aucune trace de notre passage : on vient, on performe et on rentre chez nous !"

Camille Beaumont, directrice générale de Dronisos

à franceinfo

D'autres collectivités n'ont pas le choix, car les risques d'incendies, amplifiés par le réchauffement climatique, conduisent les préfets à prendre des arrêtés pour interdire les spectacles pyrotechniques, comme à Strasbourg en 2023. Et même sans arrêté, certains élus ne veulent plus prendre de risque, comme à la Teste-de-Buch (Gironde) en 2023, un an après des feux de forêt dévastateurs, ou cette année à Aigues-Mortes (Gard). "Avec la sécheresse, on risque toujours que le feu d'artifice soit interdit par la préfecture jusqu'au dernier moment", raconte à franceinfo le maire centriste de la commune, Pierre Mauméjean, qui a préféré un spectacle de 200 drones.

Mais une autre justification revient toujours : la recherche de la nouveauté et d'un "effet waouh". "C'est toujours au moins en arrière-plan" du choix, assure Chloé Lorentz d'Alpha Drones. "On veut innover, ajouter un effet de surprise et se donner une image avant-gardiste", avec des formes et des mouvements impossibles à réaliser avec des feux traditionnels, explique la directrice de vol.

"Avec le passage de la flamme olympique en mai 2024, on s'est dit que c'était le moment où jamais pour tester autre chose que les feux habituels", raconte à franceinfo Christophe Moreno, adjoint au maire de Toulon chargé de l'événementiel. "Et ça a été une véritable réussite !" Cette année, la ville prévoit donc pas moins de 1 200 drones lors de la fête nationale, pour un coût d'environ 100 000 euros. "Des collectivités se disent aussi que le spectacle de drones va attirer plus de monde qu'un feu d'artifice", ajoute Chloé Lorentz. "Et c'est vrai", assure-t-elle.

"Strasbourg attire normalement près de 15 000 personnes pour son feu d'artifice, et lors de notre spectacle de drones, c'était presque trois fois plus !"

Chloé Lorentz, directrice de vol chez Alpha Drones

à franceinfo

La mairie de Cavalaire-sur-Mer (Var) ne dit pas autre chose. "On s'efforce toujours d'innover pour nos événements, et on sera la première commune du golfe de Saint-Tropez à proposer un spectacle de drones", assure à franceinfo le responsable du pôle événementiel de la ville. Même chose à Muret (Haute-Garonne), qui prévoit un spectacle de 300 drones dimanche soir. "On fête cette année le centenaire de la mort du grand inventeur Clément Ader, natif de la ville, et c'était l'occasion de rendre hommage à son esprit visionnaire", explique à franceinfo le maire PS, André Mandement.

"Quand on donne le prix, souvent, ça tousse"

Ces drones pourraient-ils, à terme, remplacer les feux d'artifice ? "Je suis sûr que dans deux ans, tout le monde fera ce genre de spectacles", ose le responsable du pôle événementiel de Cavalaire-sur-Mer. Mais "notre motivation n'est pas du tout de remplacer les spectacles pyrotechniques", assure Camille Beaumont de Dronisos. D'autant que les drones font face à plusieurs vents contraires.

Même s'il a baissé dernièrement, le prix des shows de drones reste conséquent. "C'est moins long [qu'un feu classique] et c'est plus cher !", pique André Mandement, le maire de Muret, dont la ville a déboursé un peu plus de 30 000 euros pour son spectacle de 300 drones. "Quand on donne le prix, souvent, ça tousse", concède Chloé Lorentz. "Surtout si on compare à un petit spectacle pyrotechnique d'une petite commune, qui peut utiliser des feux automatiques pouvant coûter 5 000 ou 6 000 euros. Pour chaque 100 drones, c'est environ 10 000 euros."

"Quand on fait voler 400 drones, il y a presque un demi-million d'euros de matériel mobilisé, donc forcément, ça a un coût."

Chloé Lorentz, directrice de vol chez Alpha Drones

à franceinfo

Et si une ville veut se limiter à une centaine de drones pour faire des économies, elle risque d'être déçue. "Pour un mariage ou un baptême, c'est très bien, mais pour un événement comme la Fête nationale, ça ne correspondra pas aux attentes du public", avertit Chloé Lorentz. "Chaque drone est un peu comme un pixel sur écran, donc s'il y en a trop peu, c'est compliqué de faire quelque chose d'élaboré artistiquement", justifie Camille Beaumont. "On sera plus proche d'un jeu vidéo rétro !"

La réglementation stricte ralentit également les procédures. "Il faut obtenir tout un tas d'autorisations auprès de la Direction de la sécurité de l'aviation civile et de la préfecture, ça prend au moins un mois", soupire Chloé Lorentz, pour qui cette compétence technique participera à séparer le bon grain de l'ivraie dans le secteur. Les procédures sont encore plus complexes autour de certains sites sensibles, à l'image de la base navale militaire de Toulon : "Heureusement, on avait déjà essuyé les plâtres avec le premier spectacle, donc je ne dirais pas que c'est facile, mais ça s'est bien passé !", affirme Christophe Moreno.

Et après avoir obtenu les autorisations, il faut garantir la sécurité du site : personne sous la zone de vol des drones, ni dans une zone de sécurité supplémentaire qui entoure la première. "De mon ressenti, c'est plus compliqué que pour un feu classique", résume le responsable du pôle événementiel de Cavalaire-sur-Mer. Dans cette commune du Var, la zone de vol des drones sera en partie au-dessus de la mer. Il faut donc "passer énormément d'arrêtés municipaux pour interdire la circulation sur les quais, déployer des agents de police municipale autour de la zone et sur l'eau…"

"Un feu classique, ça garde quand même toute sa magie"

Surtout, aux yeux des mairies comme du public, les feux d'artifice restent un incontournable du 14-Juillet. "Je ne pense pas que les drones puissent remplacer un feu classique, ça garde quand même toute sa magie", juge le maire de Muret, André Mandement. Sa municipalité et celle de Cavalaire-sur-Mer ont d'ailleurs programmé leur spectacle de drones avant ou pendant un feu d'artifice classique. Certaines communes qui ont proposé des drones seuls n'ont pas retenté l'expérience, après des spectacles parfois jugés insuffisants, comme à Nîmes ou à Lourdes en 2023.

"Le droniste lui-même nous a dit que c'était important : sans pyrotechnie, il y aurait sûrement des remarques et des déceptions."

Le responsable du pôle événementiel de la mairie de Cavalaire-sur-Mer

à franceinfo

C'est pourquoi, plutôt que de choisir l'un ou l'autre, les spectacles de la ville de Paris, de Versailles ou encore celui de Disneyland Paris associent drones et pyrotechnie pour combiner les points forts de chacun. Succès garanti ? "C'est très aléatoire", assume André Mandement, qui rappelle que "beaucoup dépend de la météo : s'il pleut, il n'y a pas de feu, et s'il y a plus de 40 km/h de vent, il n'y a pas de drones." Que vous préfériez les explosions éblouissantes ou les ballets millimétrés, les cieux sont assez grands (et capricieux) pour les unes comme pour les autres.

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