"Toute la scène a été numérisée" : deux ans après la mort de Thomas à Crépol, une reconstitution virtuelle en 3D pour tenter d'élucider l'affaire

Article rédigé par Pierre de Cossette
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La reconstitution de la mort de Thomas ne se fera pas à Crépol, mais dans cette salle du tribunal de Valence. (PIERRE DE COSSETTE / RADIO FRANCE)
La reconstitution de la mort de Thomas ne se fera pas à Crépol, mais dans cette salle du tribunal de Valence. (PIERRE DE COSSETTE / RADIO FRANCE)

Une reconstitution inédite débute lundi au tribunal de Valence, dans la Drôme. Elle doit durer deux semaines, avec plusieurs dizaines de participants, mis en examen et parties civiles. Les parents de Thomas ont renoncé à y assister.

Trop douloureux. Insurmontable. Deux ans après la mort de Thomas, ses parents n'ont, pour l'heure, pas la force de croiser le regard de ceux que la justice soupçonne d'avoir tué leur fils. "Ce qu'ils veulent, plus que tout, c'est remonter le temps, témoigne leur avocat, Alexandre Farelly. Ne plus pouvoir serrer dans leurs bras Thomas, le voir mourir plusieurs fois par jour, le voir prendre des coups de couteau plusieurs fois par jour, et rêver de pouvoir le sauver : c'est ça leur état d'esprit."

L'avocat, lui, se rendra à cette reconstitution aux allures de confrontation. Non pas à Crépol, mais au tribunal de Valence. Les deux juges d'instruction auraient pu choisir de réunir les suspects, de nuit, à côté de la salle des fêtes du village. Mais ils ont préféré la solution d'une reconstitution virtuelle, en 3D, au tribunal, à 30 kilomètres de Crépol, où Thomas a perdu la vie, dans la nuit du 18 au 19 novembre 2023, après un coup de couteau reçu en plein cœur. Trois autres personnes avaient été gravement blessées lors de ce bal qui réunissait plus de 400 participants.

C'est donc la plus grande salle du tribunal qui va être sanctuarisée, pour deux semaines : la salle A, celle de la cour d'assises, qui pourra accueillir la douzaine de suspects convoqués – neuf d'entre eux sont incarcérés, en détention provisoire –, ainsi que leurs avocats, mais aussi les victimes et parties civiles qui le souhaiteront – plus de cinquante se sont constituées depuis le début de l'enquête.

Le lieu du drame numérisé

Pour préparer cette reconstitution, une société spécialisée a été sollicitée. "L'expert a fait une phase préparatoire qui a consisté à aller sur les lieux des faits, la salle où a eu lieu le bal de Crépol, et il a numérisé la scène, explique à franceinfo le procureur de la République de Valence, Laurent de Caigny. Il a également numérisé tous les objets qui peuvent être utiles pour reconstituer les faits. Par exemple, si l'on veut reconstituer l'arrivée en voiture des protagonistes sur les lieux, il a numérisé une voiture qui correspond au modèle repéré dans le dossier."

L'idée est d'interroger, tour à tour, les suspects, pour qu'ils puissent dire où ils étaient et ce qu'ils faisaient ce soir-là à Crépol. Et à l'issue, de produire un certain nombre de séquences vidéos en 3D, en fonction des versions des uns et des autres. Une solution vantée par le procureur, qu'il a déjà expérimentée dans l'affaire Gabriel Fortin, surnommé "le tueur de DRH: "La reconstitution classique, ça se solde par un album photo, poursuit Laurent de Caigny. C'est très bien les photos, mais les films ça permet de multiplier les points de vue".

"On peut tourner à 360° grâce à la reconstitution virtuelle autour d’une personne, que ce soit un témoin, un mis en cause ; on peut par exemple se mettre exactement dans l’angle de vue d’un témoin."

Laurent de Caigny, procureur de Valence

à franceinfo

Il sera aussi possible d'ajuster la luminosité de la vidéo, pour la faire correspondre au mieux à celle de la nuit des faits. L'option de la reconstitution au tribunal présente aussi l'avantage de plus de souplesse qu'une reconstitution à Crépol, qui aurait nécessité de boucler la zone, afin de mettre les curieux hors de portée, et de se prémunir de la venue de visiteurs hostiles, dans une affaire qui a vu des militants d'ultra-droite "descendre" à Romans-sur-Isère, d'où sont originaires une partie des suspects.

Une reconstitution pour rien ?

Après deux ans d'enquête, l'identité de celui qui a porté le coup de couteau fatal à Thomas reste inconnue. Et dans un dossier où le silence est roi, plusieurs acteurs sollicités par franceinfo doutent, a priori, que cette reconstitution apportera la réponse que les victimes espèrent. "D'expérience, quand les mis en cause ont une position avant la reconstitution, ils ont tendance à vouloir la faire tenir pendant la reconstitution, avance Me Alexandre Farelly. Et je ne pense pas qu'il y ait un renversement de position."

Aurait-il mieux valu organiser la reconstitution sur les lieux du drame, à Crépol, dans l'espoir d'un éventuel "choc psychologique" et d'aveux chez l'un des suspects ? Le procureur de Valence, Laurent de Caigny, n'y croit guère, résumant les choses à sa manière : "Par rapport au positionnement des mis en examen dans ce dossier, ce n'est pas nécessairement ce qu'on espère le plus quand on fait cette reconstitution"Mais il tempère, rappelant que le but d'une reconstitution n'est pas en soi d'obtenir des aveux.

"Bande organisée"

En attendant, du côté de la défense, on s'impatiente. À défaut de meurtrier formellement identité, les suspects ont été mis examen pour meurtre ou tentative de meurtre "en bande organisée". Romaric Château, avocat de 3 mis en examen, s'agace : "On est aujourd'hui près de deux ans après le début de l'enquête et chacun des mis en examen se voit reprocher la totalité des faits. Et on aimerait qu'à la suite de cette reconstitution, on puisse dire de manière individuelle ce qui peut effectivement être reproché à l'un ou à l'autre"

Et l'avocat de poursuivre : "Ce n'est pas parce qu'on n'est pas de Crépol et qu'on a passé la soirée au bal de Crépol qu'on est nécessairement un assassin ou un meurtrier. Celui ou ceux qui ont pu mettre des coups de couteau, qu'on les condamne, mais les autres, qu'on les libère et qu'ils soient écartés de cette affaire". Même posture chez Guillaume Fort, autre avocat de la défense, qui dit n'avoir "aucune sorte de défiance vis-à-vis de la technologie 3D" : "Nous attendons de cette reconstitution  la possibilité d’invidualiser les responsabilités des différents mis en examen".

Ce sera justement la tâche des juges d'instruction de décider qui doit être renvoyé ou non devant une cour d'assises, une fois les investigations terminées. Si aucune date n'est avancée, la reconstitution est traditionnellement l'un des derniers actes avant la clôture d'une enquête.

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