Reportage "Je ne pouvais plus m'arrêter" : à Montpellier, un incendiaire condamné à deux ans de prison avec sursis pour avoir allumé des dizaines de feux

Article rédigé par Raphaël Godet - envoyé spécial à Montpellier (Hérault)
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Un départ de feu dans le département de l'Hérault, le 19 juillet 2025 (photo d'illustration). (GERARD HOUIN / BELPRESS / MAXPPP)
Un départ de feu dans le département de l'Hérault, le 19 juillet 2025 (photo d'illustration). (GERARD HOUIN / BELPRESS / MAXPPP)

Un homme de 30 ans a été jugé, lundi, pour avoir délibérément déclenché des incendies dans l'Hérault. Avec, en écho aux débats, le gigantesque feu qui a dévoré le massif des Corbières, dans le département voisin de l’Aude.

Renaud C. fait machinalement le geste. A au moins deux reprises, le voilà qui plie furtivement son pouce et mime la molette d'un briquet. "J'ouvrais la portière, j'allumais les brindilles, je refermais la portière, et je repartais en voiture." A la barre du tribunal judiciaire de Montpellier, lundi 11 août, le prévenu de 30 ans, bermuda en jean et tee-shirt blanc sur le dos, dévoile le mode opératoire qu'il a utilisé pour déclencher des feux de végétation à répétition dans plusieurs communes de l'Hérault, entre le 25 juin et le 5 juillet.

Vendémian, Le Pouget, Puilacher, puis encore Le Pouget. Au total, 6 000 mètres carrés sont partis en fumée. Certains soirs, il reconnaît en avoir allumé "jusqu'à dix", "tous les 200 mètres". "Je ne pouvais plus m'arrêter", admet-il. Ces actes lui valent d'être jugé en comparution immédiate pour "dégradation ou détérioration du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes commis".

"Vous avez vu les incendies dans l'Aude ?"

A chaque fois, l'homme à la coupe militaire choisissait l'endroit, un bord de fossé, une vigne, un champ. Puis "c'était directement le briquet". Comprendre : pas de bidon d'essence, pas de bouteille de gaz, rien. Un dialogue de sourds s'engage avec Jean-Christophe Tixier, le procureur de la République, bien décidé à sonder ce qu'il pouvait bien se passer dans la tête de cet employé dans les espaces verts.

– Vous n'avez pas la télé ? Pas les réseaux sociaux ? Vous ne savez pas ce que c'est un incendie ?

– Si.

– Vous ne voyez pas les dégâts que ça fait ?

– Certains feux, j'ai essayé de les éteindre moi-même. Mais, parfois, je n'y arrivais pas.

– Mais pourquoi ?

– Au dernier feu, j'ai dit : 'Il faut que j'arrête.'

– Vous arrêtez parce que vous êtes interpellé !

Silence. Puis nouvelle tentative du procureur. "Vous avez vu les incendies dans l'Aude ?" Dans la salle d'audience, difficile en effet de faire fi du contexte : la sécheresse et la canicule exceptionnelles, l'Hérault classé orange en raison d'un risque élevé de feux de forêts. Et il y a ce qu'il vient de se passer chez le voisin audois, ces 16 000 hectares du massif des Corbières dévorés par les flammes. La semaine précédente, près de 150 pompiers de l'Hérault ont parcouru fissa l'heure et demie de route pour prêter main forte à leurs collègues de l'Aude.

Trahi par sa voiture "version tuning"

Au palais de justice de Montpellier, Renaud C. a évité de justesse la soufflante d'un pompier, présent dans la salle d'audience deux heures plus tôt. Venu témoigner en tant que partie civile dans une autre affaire d'incendie volontaire, le soldat du feu s'est dit "en colère". Cet été encore, les dossiers de ce type viennent garnir l'ordre du jour du prétoire. Le 5 août dernier : interpellation d'un adolescent de 16 ans, soupçonné d'être à l'origine d'un départ de feu aux Hauts de Massane, au nord-ouest de la ville. Le 7 août : arrestation d'un homme suspecté d'avoir tenté d'allumer un feu près de Béziers.

En 2023, le ministère de l'Intérieur évaluait à 10% le nombre d'incendies ayant pour origine des actes délibérés. Tout en sachant que l'intention criminelle s'avère difficile à prouver, comme l'expliquent régulièrement les autorités et les pompiers.

Jean-Christophe Tixier, procureur adjoint du tribunal de Montpellier (Hérault), dans une salle d'audience, le 11 août 2025. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)
Jean-Christophe Tixier, procureur adjoint du tribunal de Montpellier (Hérault), dans une salle d'audience, le 11 août 2025. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Pas cette fois. Pour remonter jusqu'à Renaud C., les gendarmes n'ont pas eu besoin de sortir les gros moyens, ni de faire analyser des mégots et des empreintes laissés quelque part. Le trentenaire a été trahi par sa voiture, une Golf 5 de couleur bleu-gris, "décorée avec des autocollants", "une version tuning". Bref, un véhicule "reconnaissable", résume la présidente Alix Fredon.

Des témoins affirment l'avoir repéré à plusieurs reprises à proximité des départs de feu. Une fois, Renaud C. repartait "à fond la caisse, sur des petits chemins". Une nuit, c'est un pompier volontaire qui l'a reconnu, posé près de la caserne, les mains noires de suie.

Placé en garde à vue dans la nuit du 4 au 5 juillet, le prévenu évoque "des pulsions". Mais il ne nie pas les dizaines de mètres carrés brûlés. Affolée, une voisine a fini par appeler les secours. Les flammes, criait-elle au téléphone, étaient à 100 mètres de chez elle. "A 100 mètres", insiste la présidente.

Renaud C. est gêné. Sa mère aussi. Venue l'accompagner, elle décroise d'un coup les bras. Elle dit être "très étonnée", elle ne pensait pas qu'"il pouvait faire ça".

"Vous avez raison, faut que je me soigne"

Les débats glissent sur les problèmes de pyromanie de Renaud C., comme on pourrait parler de soucis avec l'alcool ou les stupéfiants. "Je suis quelqu'un qui ne parle pas, je m'enferme sur moi-même, je préfère fuir", bredouille le prévenu, qui a bien du mal se justifier. 

La cour se penche sur les fragilités d'un homme devenu quelqu'un d'autre en un cliquetis de briquet. Renaud C. est sous curatelle renforcée. "Il a des problèmes de concentration, il a du mal à exprimer ses émotions et à les canaliser, surtout", décrit la femme chargée de l'assister, venue témoigner à la barre. Il compte beaucoup sur ses parents. Le Pouget, d'ailleurs, "c'est chez lui". "C'est un lieu refuge", "là où il recharge ses batteries", développe son avocat, Bachir Belkaïd, qui demande de la clémence.

Bachir Belkaïd, avocat d'un prévenu soupçonné de plusieurs départs volontaires de feu, au tribunal de Montpellier (Hérault), le 11 août 2025. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)
Bachir Belkaïd, avocat d'un prévenu soupçonné de plusieurs départs volontaires de feu, au tribunal de Montpellier (Hérault), le 11 août 2025. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

"Vous vous sentez encore fragile ? Vous pensez que vous pourriez rallumer des feux ?", l'interroge la cour. Le prévenu adresse un non franc de la tête. "Je regrette tellement. C'était vraiment bête de ma part. J'ai honte de moi, j'ai honte pour ma famille."

Il est 20h40, lundi, lorsque le tribunal condamne Renaud C. à deux ans de prison entièrement assortie d'un sursis probatoire. Avec obligation de soins et obligation de travail et de formation. A l'énoncé des peines, l'incendiaire semble apaisé. "Vous avez raison, faut que je me soigne." Il dit avoir rendez-vous chez le psychiatre le 23 août. "Pour ne pas recommencer cette erreur." 

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