Procès Jubillar : "Ces récits réveillent des peurs chez les individus, cela renvoie à ce qui nous effraie le plus", analyse Bérénice Mariau, autrice de "Mécanique du fait divers"

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
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Dans le "11h/13h" du mercredi 24 septembre, Bérénice Mariau, autrice de "Mécanique du fait divers : Histoires singulières, émotions collectives", analyse l'attrait du public pour le procès de Cédric Jubillar, une affaire "à hauteur humaine" qui pourrait jouer sur "ce qui nous effraie le plus".

L'attrait pour le procès de Cédric Jubillar semble dépasser la simple actualité. Le peintre-plaquiste jugé aux assises du Tarn, est confronté pour la première fois publiquement aux soupçons qui pèsent sur lui, alors que son épouse Delphine a disparu dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020 de leur maison de Cagnac-les-Mines. Autrice du livre Mécanique du fait divers : Histoires singulières, émotions collectives, dans lequel elle décortique les effets des faits divers sur le public et la société, Bérénice Mariau revient dans le "11/13" du mercredi 24 septembre, sur l'impact d'une telle affaire et ce qu'on peut en retenir.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Lucie Chaumette : Le monde, les médias, le public s'intéresse au procès de Cédric Jubillar. D'abord, est-ce que ça vous étonne qu'il y ait à la fois autant de public et 300 médias qui soient accrédités au procès ?

Bérénice Mariau : C'est vrai que ça fait toujours beaucoup de médias et de personnes, mais ça ne m'étonne pas tant que ça, puisque, vu les caractéristiques de l'affaire, on peut comprendre l'engouement, déjà de la part du mystère, qui fait qu'on attend quand même beaucoup de ce procès. Pas d'aveu, pas de corps, c'est ça. Et aussi la posture de l'accusé. Et puis, le profil de la victime, qui a beaucoup touché depuis toutes ces années.

Il y a une question d'identification à Delphine Jubillar, vous parliez du profil de la victime. On sait qu'au moment de sa disparition, il y a des centaines de personnes qui se sont déplacées pour participer aux battues. L'identification à la victime est-elle importante dans l'intérêt qu'on porte à ce genre d'affaires ?

Oui, ce sont des affaires qui sont à hauteur humaine. Donc forcément, l'identification, même si la personne ne nous ressemble pas forcément, va faire qu'on la rejoint finalement dans sa propre singularité. Et ce qui touche aussi beaucoup ici, c'est justement l'émotion que cela suscite chez le public. Et donc face à ce drame qui met en avant plutôt quelque chose de dramatique, on a quand même une émotion plus positive quand on voit cette empathie collective et tous les efforts qui ont été menés par des personnes qui ne connaissaient pas forcément la victime pour essayer de la retrouver.

On parle de quoi, si on veut avoir les mots justes : d'intérêt, de fascination, un peu malsaine, ou pas ?

Il peut y avoir plusieurs émotions qui se croisent. Il faut savoir aussi que ces récits réveillent des peurs chez les individus. Ce n'est pas toujours malsain, car parfois, cela renvoie à ce qui nous effraie le plus. Un processus psychologique fait que ce qui nous effraie le plus, que l'on souhaite éviter, nous rend encore plus sensibles à ce type de sujet.

"On a besoin de s'y confronter"

Parce qu'on essaie de le comprendre ?

Oui, sûrement. Et parce que cela nous fait tellement peur qu'on a besoin de s'y confronter, en fait. Et souvent, quand je pose la question aussi à mes étudiants, ils m'expliquent que c'est aussi pour comprendre un petit peu comment être plus vigilant face aux dangers. Comment avoir les avertissements, en fait, sur ce qui pourrait être propice aux dangers.

Aujourd'hui, on parle du procès Jubillar. On pourrait aussi, par exemple, parler du procès des viols de Mazan, de Gisèle Pelicot, qui a aussi attiré beaucoup de monde, fait énormément de bruit, été débattu, réfléchi. Est-ce que c'est la même mécanique qui s'opère pour des affaires qui sont différentes ?

C'est vrai que dans les deux, en tout cas, on est aussi dans le fait de société. Donc, c'est un petit peu différent. Et c'est, à mon avis, ce qui explique aussi l'engouement médiatique, puisqu'on voit que derrière, il y a un problème de violence faite aux femmes. Donc, pour les deux, il y a peut-être une mécanique similaire sur l'idée qu'on essaie de comprendre cette société et les problèmes qui la traversent en matière de violence faite aux femmes. Pour d'autres faits divers qui sont plus des cas isolés, je dirais, c'est encore différent. C'est vraiment la dimension dramatique qui va interpeller. Là, pour l'affaire Jubillar aussi, ce sont les réponses qu'on attend. Le mystère qui, pour le procès Mazan, était quand même présent : comment un mari peut-il faire ça à sa femme ? Mais on avait quand même déjà des aveux, on avait pas mal de réponses aussi sur le côté factuel. Là, on ne les a pas. C'est ça aussi qu'on attend pour les proches de la victime par rapport aux enfants. On aimerait que des réponses soient apportées.

Par ailleurs, on l'a dit, c'est la première fois que Cédric Jubillar va s'exprimer publiquement depuis qu'il a été arrêté et accusé, et va devoir pouvoir s'expliquer. Il a dit aujourd'hui : "Je n'ai pas tué Delphine". Il se dit innocent depuis le début. Ce sont les propos rapportés par nos équipes de franceinfo qui sont sur place. Ce "Je n'ai pas tué Delphine", qui est dit au procès, que nous dit-il aussi de la dramaturgie qui peut se jouer ou de la théâtralisation d'un procès, qui peut également expliquer un certain intérêt ?

Effectivement, on se rend vite compte qu'on ne va pas être au niveau de l'enquête. On ne va pas forcément avoir les réponses. On va avoir un jeu, où chacun va avancer ses pièces entre la défense et l'accusation. Donc là, on est vraiment sur une espèce de scène. Est-ce que justice pourra être faite si chacun garde le rôle à titre ? Mais je pense qu'il y aura une part de frustration à certains moments.

Est-ce que cela nous façonne aussi, de suivre ce genre de procès, le procès Jubillar ou d'autres, mais qui sont en lien avec des faits divers ? Vous disiez tout à l'heure que parfois cela fait référence à des peurs très profondes qu'on peut avoir, mais est-ce que cela nous façonne aussi pour l'avenir, dans notre manière d'agir, de réfléchir sur certaines questions ?

C'est pour ça que je trouve que c'est vraiment important de se questionner sur ces récits de faits divers, sur la manière dont on les raconte, sur la manière dont on les reçoit, puisque ces histoires, même si elles sont isolées, font partie de l'imaginaire collectif. Et après, elles ont un fort impact sur la société, sur la manière dont la population voit la société. Ces récits sont loin d'être anodins et le procès, là aussi, va jouer un rôle énorme sur les décisions à prendre : y aura-t-il des sanctions ? Et cela fera sûrement une sorte de jurisprudence pour la suite. Et, on voit d'ailleurs que dans l'affaire Jubillar, on se réfère souvent à d'autres affaires plus anciennes pour les comparer.

L'affaire Viguier notamment...

Tout à fait. L'affaire Daval aussi, où juste après cette affaire, il y a eu Jubillar et donc le mari éploré qui est finalement l'assassin. Cela a été un schéma qui a été calqué et que d'ailleurs, la défense essaie de mettre en avant que tout de suite, il a été vu comme le coupable.

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