"A aucun moment, on se dit qu'on s'est trompé de scénario !" : l'avocate de Cédric Jubillar, Emmanuelle Franck, livre une plaidoirie rouleau compresseur à la veille du verdict
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Dans la foulée, son confrère, Alexandre Martin, a appelé jeudi à "acquitter" l'homme jugé pour le meurtre de sa femme, Delphine, pour ne pas "dérouler un tapis rouge à l'erreur judiciaire". Le délibéré débutera vendredi matin, et le verdict est attendu dans l'après-midi ou la soirée.
Albi, 8h50, jeudi 16 octobre : Emmanuelle Franck fait les cent pas dans la salle des assises du tribunal judiciaire, qu'elle arpente depuis le 22 septembre. L'avocate de Cédric Jubillar s'apprête à monter sur le ring. Et livre une plaidoirie-fleuve de plus de trois heures, méthodique et précise, qui laisse son auditoire KO debout. Elle termine au bord des larmes, lessivée. "Voici venu le moment de me taire et de me rasseoir, parce que je n'ai plus rien à vous dire et que je suis épuisée. Dans quelques secondes, je ne pourrai plus rien faire. Je me serai battue, à chaque instant, à chaque minute, pendant quatre ans et demi, à chaque semaine d'audience. C'est difficile d'arrêter de parler", explique-t-elle, dans une salle entièrement silencieuse.
"Mais je vais me taire, parce que c'est seuls, dans le silence et le recueillement, que vous pourrez mettre fin à ce cauchemar", conclut l'avocate toulousaine, s'adressant à la cour et aux jurés, qui devront se prononcer vendredi sur la culpabilité de son client, Cédric Jubillar, poursuivi pour le meurtre de son épouse, Delphine Aussaguel.
"Une machine à broyer"
Dans une démonstration redoutablement efficace, Emmanuelle Franck a déroulé la "chronique d'un désastre judiciaire annoncé", "une machine à broyer", dans laquelle le peintre-plaquiste de 38 ans "ne sait plus comment dire qu'il est innocent".
"La justice, la presse avant elle, les gendarmes avant elle, ont passé quatre ans à vous dire que vous ne servez à rien. Mais vous êtes les derniers remparts de ce cirque judiciaire !"
Emmanuelle Franckface à la cour d'assises du Tarn
L'avocate le concède : en l'absence de corps, "on peut condamner sur un faisceau d'indices. Mais pour qu'un faisceau d'indices constitue une preuve, il faut regarder la qualité des indices, sur quoi ils portent, et s'ils sont convergents". Or, considère Emmanuelle Franck, "l'accusation a fait pendant quatre ans et demi ce qu'elle pouvait faire de pire : répondre en premier à la question de 'par qui ?' Et se dire qu'avec un peu de chance, on pourra répondre aux autres".
Pour elle, l'enquête a été menée à charge, dès le départ, avec un coupable tout trouvé. Pourtant, malgré des moyens colossaux – "un demi-million d'euros" – investis pour tenter de retrouver le corps de l'infirmière de 33 ans, "on ne trouve rien". "Et à aucun moment, on se dit que peut-être, on s'est juste trompé de scénario", s'indigne-t-elle, affirmant que "dans toutes les enquêtes, on trouve toujours quelque chose". Elle cite l'affaire de la petite Maëlys : une "microtrace de sang" a été mise au jour dans le coffre de Nordahl Lelandais, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre de la fillette. Ou encore Nicolas Zepeda, condamné à deux reprises pour l'assassinat de son ex-petite amie, Narumi Kurosaki. Dans cette affaire : pas de corps, mais "du sang de la victime nettoyé" et des éléments montrant que l'auteur avait utilisé son véhicule pour se rendre dans un bois. "Là, il y a des indices", tonne-t-elle après l'énumération de ces deux exemples.
Des éléments "friables, peu fiables"
Dans l'affaire Jubillar, les indices avancés par les enquêteurs n'en sont pas, aux yeux de l'avocate, qui parle d'éléments "friables, peu fiables". Les cris entendus par les voisins ? Incompatibles avec l'étranglement de la victime, avancé par l'accusation. Louis, le fils des époux Jubillar, aurait entendu le couple se disputer le soir des faits ? Peut-être, mais ce n'est pas ce qu'il disait dans sa première audition. L'avocate estime que la parole du petit garçon a été manipulée. "On aurait dû le laisser tranquille, ce gamin, mais on en avait bien trop besoin : car si Louis n'entend pas une dispute, Cédric Jubillar dort", pointe-t-elle.
L'expertise des lunettes cassées de Delphine Aussaguel ? "Bidon !", parce qu'elle a été réalisée sur des lunettes neuves, alors que celles de la disparue étaient déjà abîmées. Le sens de la voiture, largement débattu à l'audience ? L'avocate s'emploie à montrer qu'on ne peut pas être certain que la 207 de Delphine Aussaguel a forcément bougé pendant la nuit. Elle s'attaque longuement à un témoignage clé du dossier : celui d'Anne S., proche amie de l'infirmière, qui a affirmé l'avoir vue pour la dernière fois en passant devant sa maison, le 15 décembre 2020 au soir, et qu'elle était alors garée capot vers le haut de la pente. Le 16 décembre au matin, la voiture sera retrouvée capot vers le bas.
Pourtant, relève Emmanuelle Franck, Anne S. a pu certifier pendant quatre auditions qu'elle avait vu sa meilleure amie pour la dernière fois devant l'école des enfants, et non pas à son domicile, un peu plus tard. Avant de changer de version à la cinquième audition, en avril 2021. "Vous savez ce que je pense ? Qu'elle est convaincue que c'est Cédric Jubillar qui a fait le coup, et qu'à un moment donné, ce petit mensonge, elle se dit qu'il n'est pas bien grave", assène Emmanuelle Franck, sans sourciller.
Pour elle, la plus grande faille de l'accusation réside dans le fait que le téléphone de Delphine Aussaguel s'est réactivé à 6h52, le 16 décembre 2020. Les experts ont observé "une action humaine, avec le déverrouillage du téléphone". Or, souligne l'avocate, son client était alors à domicile, avec les gendarmes. L'accusation estime que Cédric Jubillar a pu désactiver le téléphone discrètement. Mais pour Emmanuelle Franck, ce raisonnement est "dégueulasse" : la réactivation du téléphone est "un élément disculpant" à ses yeux.
Des profils suspects selon elle insuffisamment vérifiés
Pour elle, "ce qui tient l'accusation, c'est de se dire : 'En même temps, qui d'autre ?" "Mais ça, ça ne marche que si on a une procédure de gendarmerie béton, qui a fermé toutes les portes. Là, c'est pas le cas", tranche la robe noire.
Pour étayer son propos, elle déroule avec précision les profils de suspects qui ont été laissés de côté par les enquêteurs. L'un d'eux, Anthony C., avait envoyé des textos très inquiétants à son ex-petite amie, affirmant avoir "tué Delphine". L'enquête avait montré que cet homme instable avait envoyé des dizaines de textos incohérents à cette femme, pour tenter de l'impressionner. Emmanuelle Franck considère que son alibi n'a pas été correctement vérifié.
Et Alain A., un homme condamné en 1988 pour viol, torture et actes de barbarie ? Il avait laissé une femme "presque pour morte". De même, les enquêteurs n'ont pas vérifié ce qu'il faisait la nuit de la disparition, affirme-t-elle, alors qu'un procès-verbal dit qu'il n'a pas été géolocalisable pendant toute la nuit.
Et puis, Emmanuelle Franck évoque le profil suspect de Joël S., qui avait dragué lourdement Delphine Aussaguel. Il figure au fichier de Traitement d'antécédents judiciaires (Taj) "pour violences aggravées, deux fois menaces de mort et procédure d'attouchement sur sa fille". "Pile-poil ce soir-là", il n'a pas de carte SIM dans son téléphone : il en reprend une autre le 16 décembre 2020 en journée. Comme pour Alain A., les prélèvements réalisés à son domicile n'ont pas été envoyés en laboratoire. Une rumeur monte sur les bancs du public, visiblement étonné de ce que l'avocate présente comme des manquements.
Pari réussi : le doute s'est installé. L'est-il également dans la tête des jurés ? Dans la foulée, jeudi après-midi, son confrère, Alexandre Martin, a appelé à "acquitter" Cédric Jubillar pour ne pas "dérouler un tapis rouge à l'erreur judiciaire". Le délibéré débutera vendredi matin, et le verdict est attendu dans l'après-midi ou la soirée.
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