"Je me suis trompé, ça arrive" : à son procès pour le meurtre de Delphine Aussaguel, Cédric Jubillar interrogé sur ses contradictions

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Guillaume T., voisin du couple Jubillar, face à la cour d'assises du Tarn, le 7 octobre 2025. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)
Guillaume T., voisin du couple Jubillar, face à la cour d'assises du Tarn, le 7 octobre 2025. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)

L'accusé de 38 ans a été interrogé mardi matin sur plusieurs points fondamentaux de l'enquête : le stationnement de la voiture, une éventuelle sortie pour promener leurs chiens et les lunettes cassées de Delphine Aussaguel-Jubillar. Des contradictions émergent entre sa version et celle de plusieurs témoins et experts.

Trente minutes de questions-réponses tendues. Cédric Jubillar est apparu pour la première fois un peu déstabilisé, mardi 7 octobre, au dixième jour de son procès pour le meurtre de son épouse Delphine Aussaguel. L'accusé de 38 ans a été interrogé en détails sur deux points capitaux du dossier : le stationnement de la voiture de la victime et la possibilité qu'elle soit sortie seule promener leurs deux chiens, la nuit de sa disparition. La présidente souhaitait faire réagir l'accusé sur des déclarations de ses voisins.

La cour d'assises du Tarn a d'abord entendu Guillaume T., voisin du couple Jubillar, apporter un témoignage essentiel, en deux phrases simples. "Quand je suis rentré chez moi [le 15 décembre au soir], je me suis garé face à face avec la voiture de Delphine. Et quand je suis parti à 7h30 [le 16 décembre au matin], la voiture était dans l'autre sens", déclare-t-il simplement à la barre. La Peugeot 207 bleue de Delphine Jubillar aurait donc bougé pendant la nuit. Interrogé par la présidente sur son degré de certitude, il ajoute : "J'ai vu les sièges auto, il y avait un peu de bordel... D'habitude, je ne voyais jamais les sièges auto."

Guillaume T. est d'autant plus formel que la voiture de l'infirmière ce matin-là l'empêche de manœuvrer. "D'habitude, je laisse une place de 90 centimètres à un mètre pour partir tout de suite", précise-t-il, se souvenant avoir dû ce jour-là "faire une marche arrière pour repartir". Olga S., plus proche voisine du couple, assure avoir fait le même constat le 16 décembre 2020 au matin. La retraitée de 74 ans raconte être sortie secouer ses serviettes sur la terrasse et avoir vu "la voiture de Delphine dans le sens de la descente". Elle en aurait même parlé à son mari Michel. "Il a dit comme moi : 'C'est bizarre", se remémore la témoin.

Une trentaine de témoins formels sur les chiens

Ton neutre, factuel, sans affects, Guillaume T. énonce également : "C'était Cédric qui promenait les chiens." "En effet, souligne la présidente, vous aviez même expliqué en audition que Delphine ne promenait jamais les chiens." C'est l'un des autres éléments essentiels de ce procès : les deux Shar-Peï du couple. Cédric Jubillar a toujours assuré que son épouse avait sorti Gnocchi et Oprah le soir de sa disparition. L'avocat général, Pierre Aurignac, a pourtant compté : pas moins de trente personnes "ont répondu 'non' à la question de savoir s'il était crédible que Delphine Aussaguel ait sorti les chiens ce soir-là". Deux autres ont déclaré le contraire pendant l'enquête, relève le représentant du ministère public.

La première, c'est Anne S., qui a toujours maintenu que sa meilleure amie ne sortait pas les chiens le soir, même si elle a d'abord déclaré l'inverse lorsqu'elle a été appelée par les gendarmes le matin de sa disparition. Elle s'en est expliquée à la barre : elle savait que Delphine Jubillar avait un amant et voulait la couvrir. Avant de comprendre la gravité de la situation. L'autre personne ayant pu dire que la disparue sortait les chiens le soir était une voisine du village d'Arthès, où le couple vivait avant Cagnac-les-Mines. "Mais la configuration n'était pas la même : les rues étaient éclairées partout", souligne le magistrat, rappelant que l'infirmière de 33 ans avait une peur terrible du noir.

"Rien ne rend crédible le fait que Delphine Aussaguel sortait les chiens la nuit."

Pierre Aurignac, avocat général

devant la cour d'assises du Tarn

Debout, appuyé de ses deux mains sur le rebord de son box, Cédric Jubillar maintient qu'il a sorti les chiens une première fois vers 22 heures et que son épouse a fait de même plus tard. "Pourquoi aurait-elle eu besoin de les ressortir ?" questionne l'avocat général. "Pour éviter qu'ils fassent leurs besoins dans le sous-sol, parce que c'est moi qui nettoyais", rétorque l'accusé de 38 ans. Mourad Battikh, avocat de plusieurs membres de la famille de la disparue, s'étonne que les chiens aient besoin "d'uriner et déféquer" de manière aussi rapprochée. Il demande à Cédric Jubillar si les deux Shar-Peï n'avaient pas fait leurs besoins avec lui, lors de la balade à 22 heures, qui a duré "trente minutes" selon l'accusé.

L'accusé affirme qu'il ne se souvient pas si les chiens ont fait leurs besoins avec lui. "J'étais sur mon téléphone", justifie-t-il. "D'accord, donc c'est arrivé souvent que vous sortiez les chiens, que vous ne les voyiez pas faire et que vous transmettiez le relais à Delphine en disant : 'J'étais sur mon téléphone, j'ai rien vu' ? C'est une habitude que vous aviez ?" insiste Mourad Battikh, pugnace. "Oui", répond simplement l'accusé. Devant lui, ses conseils semblent tendus : Emmanuelle Franck et Alexandre Martin rangent leurs notes.

Une phrase qui glace la salle d'audience

Le peintre-plaquiste se montre tout aussi catégorique concernant sa voiture. "Elle avait les mêmes habitudes que moi, affirme-t-il. Elle se stationnait dans un sens ou dans l'autre." Il l'assure, sa 207 était bien dans le sens de la descente, le 15 décembre au soir, lorsqu'elle est rentrée de l'école avec les enfants, Louis et Elyah. Nicolas Ruff, l'autre avocat général, observe une contradiction de Cédric Jubillar qui avait déclaré aux enquêteurs ne pas savoir dans quel sens était garé le véhicule. "Ben, je m'en rappelle très bien maintenant", soutient l'accusé. Le magistrat note par ailleurs que Louis a affirmé que sa mère se garait toujours dans le sens de la montée.

La meilleure amie de la disparue avait aussi donné une explication à ce stationnement, qui laissait le côté passager, où était installé le siège auto de sa fille Elyah, accessible depuis la rue plutôt que du côté de la pente herbue où se trouvaient des ronces. Alors que la défense avait affirmé qu'il n'y avait pas de ronces là où Delphine aurait l'habitude de se garer, l'avocat général est revenu à la charge, conduisant Cédric Jubillar à reconnaître que son épouse se garait en fait sur un autre emplacement, où se trouvaient bien des ronces, selon une photo projetée à l'audience et prise le lendemain de la disparition. "Alors je me suis trompé, ça arrive", a lâché l'accusé.

"Si j'ai tué ma femme et transporté le corps, j'aurais fait la bêtise de garer le véhicule dans le mauvais sens ?"

Cédric Jubillar, accusé

devant la cour d'assises du Tarn

Un froid parcourt la salle. Laurent de Caunes, avocat du frère de la disparue, s'arrête sur cette phrase, qu'il juge "terrible". L'accusé tente de se justifier, comme il peut. "Oui, j'aurais fait attention à ce genre de petits détails, si j'avais voulu commettre un tel crime", ose-t-il. "Vous avez donc commis cette erreur", estime l'avocat.

Une expertise qui enfonce la défense

Dans l'après-midi, c'est Christophe Le Faou, enquêteur technique pour la Direction générale de l'armement, qui a mis un peu plus à mal la défense. Il a été chargé de l'expertise des lunettes de Delphine Aussaguel : une monture cassée, aux verres rayés, retrouvée sur la table de la cuisine, une branche derrière le canapé, dans la maison de Cagnac-les-Mines. Méthodique, l'expert présente ses conclusions, diaporama à l'appui, évoquant l'énergie nécessaire pour mettre des lunettes dans cet état. Christophe Le Faou est catégorique. "Les dommages observés ne sont pas compatibles avec le fait de les faire tomber au sol, le fait de s'asseoir ou de marcher dessus. Ni avec l'action d'un enfant, car l'énergie dégagée par un enfant n'est pas suffisante."

A nouveau, Cédric Jubillar, tout en répondant du tac au tac à la présidente de la cour, vacille. Selon lui, sa femme "portait moins" ses lunettes depuis qu'elle les avait cassées et préférait les lentilles. "Je ne saurais pas vous dire" si Delphine portait ses lunettes le 15 au soir ou si elle avait l'habitude de les mettre après avoir pris une douche le soir, affirme-t-il encore. "Je sais que la petite les a fait tomber à plusieurs reprises" tente-t-il encore.

"L'expert dit que les dommages ne peuvent pas résulter d'une chute au sol", coupe la présidente. "Oui, j'entends bien, mais ce ne sont pas mes lunettes !" s'agace Cédric Jubillar. "Une des branches de ces lunettes est retrouvée derrière le canapé... Et trois morceaux sur la table de la cuisine. Comment vous l'expliquez ?", demande encore la présidente. "Je n'ai aucune explication là-dessus non plus", reconnaît Cédric Jubillar.

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