"Ce que j'attends, c'est une vérité" : au procès de Cédric Jubillar, la mère de l'accusé tiraillée par le doute
Au onzième jour du procès, au cours d'une longue audition marquée par une grande émotion, Nadine Fabre a décrit le comportement suspect de son fils, qui lui avait clairement affirmé vouloir tuer son épouse Delphine "et l'enterrer".
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Trois semaines avant la disparition de Delphine Aussaguel-Jubillar le 16 décembre 2020, Cédric Jubillar vient voir sa mère sur son lieu de travail, dans un magasin Action du Tarn, peu après l'ouverture. Nadine Fabre, née Jubillar, sent qu'il faut qu'elle prenne une pause, pour aller lui parler. Elle le trouve "très énervé, agité", se souvient-elle avec émotion, mercredi 8 octobre, face à la cour d'assises du Tarn.
Elle le rejoint sur le parking. Et, alors qu'il met Elyah, sa fille de 18 mois, dans la voiture, le peintre-plaquiste se tourne vers elle et lâche : "J'en ai marre, elle m'énerve, je vais la tuer, je vais l'enterrer, personne ne va la retrouver." La scène semble gravée dans la tête de Nadine Fabre. "Je n'ai pas compris la portée de ces mots au départ, quand il m'a dit ça", articule-t-elle à la barre, tentant de contenir ses larmes. "Je regrette de ne pas avoir donné plus de sens à cette phrase", ajoute celle qui s'est constituée partie civile, les deux mains agrippées au pupitre devant elle.
Son témoignage, très attendu, est celui d'une femme habitée par une certitude qu'elle ne formule pas clairement, mais que tout le monde comprend. C'est aussi le récit d'une mère hantée par le sentiment de n'avoir pas vu les signaux envoyés par son fils, venu au monde lorsqu'elle avait 16 ans et demi, et qui a rapidement été placé en famille d'accueil. "Je ne l'ai pas abandonné", tient-elle à dire en préambule. "Je me suis retrouvée dans une situation de ma vie où j'étais dans la rue et, pour le protéger, j'ai demandé de l'aide", explique Nadine Fabre, aujourd'hui âgée de 54 ans.
"J'ai toujours ressenti de la culpabilité de ne pas avoir été capable de m'en occuper", confie-t-elle. Elle reconnaît avoir "baissé les bras" quand il est revenu chez elle, après son premier placement. Mais elle minimise les violences, pourtant confirmées par des témoignages et un certificat médical, de celui qui est toujours son mari et que l'accusé appelait "papa" lorsqu'il était enfant. "Il a pu corriger Cédric oui, par moments, admet-elle. Et encore une fois, je n'ai pas réagi."
Un divorce qui ne passe pas
Parti habiter à Limoges en 2012, le couple revient s'installer dans le Tarn en 2019, à une quinzaine de minutes de Cagnac-les-Mines. Le lien avec son fils ne s'était jamais brisé, mais Nadine le voit dès lors beaucoup plus régulièrement : il vient déjeuner chez elle tous les dimanches, notamment à partir de 2020, avec les enfants. Mais sans son épouse. Nadine, qui n'est pas proche de Delphine, ne lui demande pas pourquoi : elle ne voulait pas passer pour une belle-mère intrusive, explique-t-elle aujourd'hui.
Au moment où son fils lui annonce, après l'été, que sa femme souhaite divorcer, elle n'ose pas non plus en parler avec l'intéressée. "J'avais peur qu'elle interprète mal mon intervention auprès d'elle, ma façon d'arriver tout d'un coup : elle aurait pu se dire que je voulais faire du copinage", justifie-t-elle. Aujourd'hui, elle regrette d'être "restée sur un seul son de cloche".
Tout au long du dernier semestre 2020, Nadine Fabre affirme avoir essayé de faire accepter le divorce à son fils, précisant lui avoir transmis les coordonnées de son avocate et l'avoir accompagné au premier rendez-vous. La présidente l'interroge : avait-il accepté cette idée ? "Oui, il n'avait pas le choix", répond la mère de l'accusé. "Ce n'est pas accepter, ça", commente la magistrate, dubitative. Elle cite les propos que Cédric Jubillar aurait tenus devant sa mère, dix jours avant la disparition de son épouse et que la quinquagénaire avait relatés aux gendarmes : "Je ne veux pas divorcer, je ne veux pas vendre la maison, je l'aime."
Que représentait l'idée de perdre sa maison pour Cédric Jubillar ? Nadine Fabre réfléchit quelques instants. Sa réponse est éloquente : "La perte d'un statut social, familial, de son statut d'homme." A sa droite, son fils ne la lâche pas du regard depuis son box. Sa mère ne lui en adresse pas un seul.
Elle a d'abord cru à l'hypothèse du jihad ou de la secte
Le mercredi 16 décembre 2020 au matin, Nadine Fabre se lève, son fils lui téléphone : "Monte !", lui lance-t-il. Elle demande des explications. "Monte !", ordonne-t-il à nouveau, avant de raccrocher. Sa mère est alors en arrêt maladie pour suspicion de Covid-19. Elle se rend immédiatement à Cagnac-les-Mines. A son arrivée, son fils l'informe de la disparition de Delphine.
"Est-il capable d'avoir fait du mal à sa compagne ?", lui demandent les gendarmes le soir même. "Je pense que non (...), mais au vu de ce que Louis a raconté, on peut tout imaginer", répond-elle à l'époque. Aujourd'hui, elle affirme ne pas savoir à quoi elle faisait référence. "Mais le soir [du 16 décembre 2020], dans ma tête, je doute et j'espère que ce n'est pas lui qui a eu un coup de folie." A la barre, Nadine Fabre assure avoir posé directement la question à son fils. "Il m'a dit : 'non, j'ai rien fait'."
Cette passionnée de faits divers étudie alors toutes les hypothèses. Y compris celle d'un possible départ de sa belle-fille pour le jihad. "Cédric m'avait rapporté que Delphine ne mangeait plus de porc et qu'un jour, il l'avait trouvée à genoux sur un tapis, en train de prier", se souvient-elle. Nadine Fabre pense également à un embrigadement dans une secte. Pourquoi ? "Mon fils est venu me ramener un courrier nominatif qu'avait reçu Delphine des Témoins de Jéhovah. J'ai dit : 'amène ça à ton avocat, elle est peut-être partie là-bas'", rapporte-t-elle.
"A part toi maman, et ma femme, toutes des salopes"
Mais le comportement de son fils la rend de plus en plus suspicieuse. Il lui interdit de communiquer avec l'une des amies de Delphine et la menace : "Si tu continues, je prends les petits et je me casse." L'ouvrier habite alors chez elle avec Louis et Elyah : il a emménagé très vite après la disparition. "J'ai arrêté de travailler, je n'avais pratiquement plus de relations sociales, car j'étais à fond avec les petits et mon fils. Mais je n'avais aucun soutien de sa part", regrette Nadine Fabre.
Cédric Jubillar se montre aussi ordurier : "A part toi maman, et ma femme, toutes des salopes." Sa mère reconnaît lui avoir conseillé de monnayer des photos à la presse, qui le harcelait depuis plusieurs mois. Son fils aurait alors fanfaronné : "Je suis l'homme le plus connu du Tarn." Ces propos l'ont choquée, tout comme le fait qu'il ait une aventure avec une femme "à peine un mois après la disparition de Delphine".
Et puis, le 15 mars 2021, trois mois avant le placement en détention de Cédric Jubillar, une scène d'une violence inouïe se produit lors d'un déjeuner chez la quinquagénaire et son conjoint. Un incident raconté aux enquêteurs par Marie L., une amie de Nadine Fabre. Au moment du dessert, selon la témoin, la mère de Cédric se lève pour aller chercher une pelle à tarte. Son fils entre alors dans une colère noire et hurle sur sa mère qu'elle ne doit pas toucher à ses affaires. Toujours d'après Marie L., il l'empoigne, la plaque au mur et l'immobilise en lui criant : "Tais-toi, tu sais que j'ai besoin de toi !" A la barre, Nadine Fabre confirme cette altercation. Son conjoint n'est pas intervenu pour la secourir.
"Je n'ai rien fait, c'est pas moi"
Laurent Nakache-Haarfi, avocat des frères de Delphine Aussaguel-Jubillar, revient sur le sentiment de culpabilité de Nadine Fabre, et lui demande ce qu'elle aurait voulu faire de plus. Il fait référence aux menaces de mort proférées par son fils sur le parking du magasin Action. La quinquagénaire souffle, tente de calmer sa respiration et son émotion. "Si j'avais pris peut-être plus au sérieux cette phrase, on n'en serait pas là. Il n'y aurait pas eu tout ça, j'aurais pu plus approfondir l'idée et l'esprit de mon fils pour savoir", estime-t-elle.
"Vous auriez tout fait pour qu'il ne la tue pas ?", lui demande l'avocat, suscitant une rumeur en salle d'audience. Son interlocutrice prend sa respiration à nouveau : "Si vous le dites, mais ce ne sont pas mes mots." Tout au long de sa déposition de trois heures, Nadine Fabre ne formule jamais clairement les choses. Mais son intime conviction est là. "Moi, ce que j'attends, c'est une vérité, quelle qu'elle soit, judiciaire ou pas", poursuit-elle, interrogée par son avocate, Géraldine Vallat.
Celle-ci rappelle qu'une confrontation a eu lieu avec son fils, le 17 juin 2021, entre 22h30 et 23 heures. "Est-ce que vous l'avez senti vaciller ?", lui demande l'avocate. "Non, il était assis sur sa chaise, il faisait toujours un mouvement de 'non' avec la tête. J'étais pratiquement à genoux devant lui à le supplier, relate Nadine Fabre. J'étais tellement mal que je tenais la main de mon avocate à ce moment-là. Il est toujours resté sur : 'j'ai rien fait, c'est pas moi'."
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