: Reportage "Ça ne suffit pas" : après le verdict au procès de Joël Le Scouarnec, la déception et la colère des victimes et parties civiles
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Si l'ex-chirurgien de 74 ans a été condamné mercredi à la peine maximale de vingt ans de réclusion, la cour criminelle du Morbihan a choisi de ne pas retenir la rétention de sûreté. Cette mesure exceptionnelle permet de placer dans un centre spécialisé un criminel présentant un risque élevé de récidive après la fin de sa peine.
"J'ai l'impression de me prendre un camion de 36 tonnes dans la figure", soupire Erwan, blasé, sur l'esplanade du tribunal de Vannes, mercredi 28 mai. Amélie Lévêque, une autre victime de Joël Le Scouarnec, se sent "humiliée par ce verdict". A les entendre, on en oublie presque que l'ex-chirurgien de 74 ans vient d'être condamné à la peine maximale : vingt ans de réclusion criminelle, assortie d'une période de sûreté des deux tiers, pour des viols et des agressions sexuelles commis sur près de 300 victimes. Joël Le Scouarnec ne fera pas appel "pour ne pas imposer un nouveau procès aux parties civiles", a annoncé l'un de ses avocats, Maxime Tessier, peu après l'énoncé du verdict.
Le suivi sociojudiciaire de l'ancien médecin a été fixé à quinze ans. "Il a été tenu compte que les faits commis sont d'une particulière gravité en raison à la fois du nombre de victimes, de leur jeune âge et du caractère compulsif", a souligné la présidente Aude Buresi, très émue, en lisant durant une quinzaine de minutes les motivations de la cour criminelle du Morbihan.
Mais l'enjeu se trouvait ailleurs pour les parties civiles : la plupart d'entre elles espéraient que l'ancien chirurgien écope d'une rétention de sûreté, qui n'a pas été retenue par la cour. Cette mesure controversée, qui concerne essentiellement des délinquants sexuels, permet de placer en centre médico-social fermé un détenu ayant purgé sa peine mais jugé particulièrement dangereux. Sa libération dépend alors d'une commission spéciale, se réunissant chaque année pour décider si oui ou non, l'individu est apte à sortir. Cette mesure d'exception n'a été mise en œuvre qu'à de rares reprises. Mais elle avait été requise par le ministère public "du fait des troubles graves de [l]a personnalité [de Joël Le Scouarnec] et de la dangerosité induite par ces troubles".
"Nous nous battrons"
Les cinq magistrats professionnels de la cour criminelle ont choisi de ne pas recourir à cette possibilité, compte tenu du fait que l'accusé a reconnu l'intégralité des faits, mais aussi "de sa prise de conscience de la gravité de ses actes, et de leurs conséquences importantes sur les personnes concernées et sur leur entourage", ont-ils souligné dans leurs motivations. Joël Le Scouarnec a, il est vrai, présenté des excuses pour chacune des victimes venues témoigner, admettant avoir "dévasté" leurs vies, même si nombre de ces hommes et femmes n'ont pas été convaincus de sa sincérité. Toujours est-il que son attitude "ne permet [pas] d'affirmer qu'il présentera à l'issue de sa peine, compte tenu de son âge et des soins mis en place, une probabilité très élevée de récidive", a relevé la cour, pour justifier sa décision. La rétention de sûreté "doit conserver un caractère exceptionnel", ont également fait valoir les magistrats.
Cette phrase a particulièrement heurté les victimes. "Ce procès n'était pas assez exceptionnel ? Ça ne suffit pas, 299 victimes ?", s'étrangle Vincent, violé par l'ancien médecin à l'âge de 9 ans. Ils sont plusieurs, comme lui, à laisser éclater leur colère. Face à une nuée de caméras, Marie Grimaud, avocate emblématique du procès, ne cache pas, elle aussi, sa déception. "Il y a des moments où la justice se doit d'être un symbole", regrette celle qui représente une trentaine de parties civiles. Sa consœur, Romane Codou, ne comprend pas, elle non plus, "que l'on se prive d'un filet de sécurité" et rappelle que les experts psychiatres entendus à l'audience "ont eux-mêmes validé la rétention de sûreté, en soulignant qu'un suivi sociojudiciaire ne serait pas suffisant".
Manon Lemoine, porte-parole d'un collectif de victimes, s'émeut, elle aussi, de cette décision, mais appelle avant tout à changer la loi française en matière de violences sexuelles, qui "n'a pas été pensée en bon sens". "Nous nous battrons", promet-elle, pour la faire évoluer, afin que le fait de commettre 300 viols et agressions sexuelles soit punis plus sévèrement. "Vous avez peut-être été l'impensé du législateur en matière de violences sexuelles sérielles", a pointé la cour criminelle dans ses motivations, s'adressant à l'accusé. Jean-Christophe Boyer, avocat de l'association L'Enfant bleu, souscrit à ce constat. Il plaide pour se doter d'"une échelle des peines qui soit enfin à hauteur de ce procès". "La rétention de sûreté n'est pas un pansement sur une jambe de bois pour compenser le fait que le maximum est atteint avec vingt ans", lâche-t-il.
Déjà consciente de cette limitation du Code pénal actuel, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol avait déposé en mai 2024 une proposition de loi visant à alourdir la condamnation encourue à trente ans de réclusion en cas de cumul de circonstances aggravantes en matière de viol, comme c'est le cas pour Joël Le Scouarnec. Sa proposition a été reprise par le camp gouvernemental dans une série d'amendements à une nouvelle proposition de loi en cours de discussion au Parlement.
Francesca Satta, qui représente une quinzaine de parties civiles, est bien consciente que l'ancien médecin pourrait, en théorie, sortir de détention vers 2030, soit aux deux tiers de sa peine. Mais elle rappelle qu'une nouvelle procédure judiciaire vient d'être lancée le concernant afin d'identifier d'autres victimes potentielles. "Un troisième volet se prépare avec de nouvelles plaintes qui vont être déposées", souligne celle qui a déjà été contactée par plus d'une vingtaine de personnes concernées. Ce procès à venir pourrait permettre "un maintien en détention de Joël Le Scouarnec", avance l'avocate. De quoi rassurer, peut-être, les victimes du prédateur en blouse blanche.
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