Procès de Frédéric Péchier : comment la justice a resserré son étau sur l'anesthésiste "star" de Besançon, jugé pour 30 empoisonnements

Le médecin de 53 ans comparaît devant la cour d'assises à partir de lundi, dans le cadre d'un procès qui doit durer trois mois et demi. Douze des patients qu'il est accusé d’avoir empoisonnés sont morts.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Le médecin anesthésiste Frédéric Péchier, 53 ans, est jugé par la cour d'assises de Besançon (Doubs) à partir du 8 septembre 2025 pour 30 empoisonnements aggravés, dont douze mortels. (PAULINE LE NOURS / MAXPPP / AFP / GETTY IMAGES / FRANCEINFO)
Le médecin anesthésiste Frédéric Péchier, 53 ans, est jugé par la cour d'assises de Besançon (Doubs) à partir du 8 septembre 2025 pour 30 empoisonnements aggravés, dont douze mortels. (PAULINE LE NOURS / MAXPPP / AFP / GETTY IMAGES / FRANCEINFO)

Ce 10 octobre 2008, Damien I., 54 ans, est le premier patient du jour à la clinique Saint-Vincent de Besançon (Doubs). Il doit subir l'ablation d'un rein, une opération sensible, mais rien de complexe. L'intervention vire au drame quand il fait un arrêt cardiaque sur la table d'opération. Les tentatives de réanimation de l'anesthésiste Frédéric Péchier et l'un de ses collègues sont vaines. Quatre jours plus tard, Suzanne Z., 74 ans, meurt après avoir été anesthésiée pour une intervention chirurgicale commune. Là encore, le docteur Péchier et une consœur échouent à la réanimer. Un syndrome de tako-tsubo, cette maladie cardiaque rare liée à un état de stress aigu du patient, est envisagé. Mais ces deux événements indésirables graves – des "EIG" dans le jargon médical – sèment le trouble dans l'établissement. Une longue série va suivre.

Dix-sept ans plus tard, Frédéric Péchier est jugé par la cour d'assises de Besançon, à partir de lundi 8 septembre. Un procès hors norme, prévu pour durer jusqu'au 19 décembre. Le médecin de 53 ans, qui clame son innocence, est accusé de 30 empoisonnements aggravés, dont douze mortels, sur des patients opérés à la clinique Saint-Vincent et à la Polyclinique de Franche-Comté. Celui qui était qualifié d'anesthésiste "star" de la ville est placé sous contrôle judiciaire depuis le début de l'affaire et comparaîtra libre.

Sa défense, qui compte plaider l'acquittement, y voit une des "contradictions" de ce dossier "complexe" et inédit dans les annales judiciaires françaises. "Quand on a des indices vraiment graves et concordants dans une affaire d'homicides volontaires, la personne, on ne la laisse pas dehors", estime auprès de franceinfo l'un de ses avocats, Randall Schwerdorffer. Les juges se sont pourtant attachés à réunir ces indices graves et concordants pendant les huit années d'instruction.

"Ça y est, je m'en suis pris un"

Il faut attendre 2017 pour qu'un énième "EIG" à la clinique Saint-Vincent attire véritablement l'attention de la justice. Le 11 janvier, Sandra S., 36 ans, première patiente du jour opérée des lombaires, fait un arrêt cardiaque à la fin de l'intervention. Elle survit grâce aux efforts de réanimation du docteur Péchier et d'une autre anesthésiste, au prix de cinq jours de coma et de séquelles. Sandra S. est jeune et en bonne santé, l'incompréhension domine. Contrairement aux cas précédents, une poche de perfusion est immédiatement saisie et analysée. Elle révèle des doses létales de potassium. La clinique et l'Agence régionale de santé signalent cette tentative d'empoisonnement au procureur de la République.

Quelques jours plus tard, le 20 janvier, un autre incident grave se produit, alors même que les enquêteurs sont dans les couloirs de la clinique. Frédéric Péchier signale avoir trouvé des poches de paracétamol percées sur sa table d'anesthésie pendant l'intervention de Jean-Claude G., un homme de 70 ans opéré d'un cancer de la prostate.

Peu après cette découverte, le malade a fait un arrêt cardiaque, avant d'être réanimé par le docteur grâce au bon antidote, des intralipides. Des analyses confirment ensuite la présence élevée de mépivacaïne, un anesthésique local, dans une poche, dans le sang du patient et dans deux seringues. "Ça y est, je m'en suis pris un. Qu'est-ce qui se passe ?", lance Frédéric Péchier à une collègue anesthésiste, suggérant un acte de malveillance à son encontre.

Le "dénominateur commun", selon l'accusation

Cette attitude, au lieu de le disculper, renforce les suspicions à son égard, soulignent les juges d'instruction dans leur ordonnance de mise en accusation, consultée par franceinfo. Pour l'accusation, le réanimateur, acculé, s'est fabriqué "un alibi". "Il s'est tiré une balle dans le pied avec ce patient. Après, on comprend toute l'histoire", juge Frédéric Berna, avocat de Jean-Claude G. et de nombreuses autres parties civiles.

De fait, les enquêteurs établissent un premier lien avec les événements de 2008. Même si les investigations n'avaient rien donné dans l'affaire Damien I., des analyses sanguines avaient révélé un taux létal de lidocaïne, un autre anesthésique local. Les policiers exhument également une enquête ouverte pour trois EIG survenus en 2009 à la polyclinique de Franche-Comté, où Frédéric Péchier a exercé un semestre après avoir claqué la porte de la clinique Saint-Vincent. Trois patients, âgés de 41, 48 et 65 ans, sans pathologie cardiaque connue, ont dû être réanimés lors d'opérations bénignes. Si aucune analyse n'est menée à chaud pour les deux premiers incidents, le troisième éveille les soupçons de l'équipe médicale. Du potassium et de l'adrénaline sont retrouvés en dose massive dans la poche de perfusion.

A l'époque, le nom de Frédéric Péchier apparaît déjà dans les fichiers de police. Il est le seul anesthésiste à avoir été présent lors de certains EIG survenus dans les deux cliniques respectives. Mais l'enquête en reste là. Son intervention lors des deux derniers événements graves de 2017 achève de convaincre les enquêteurs qu'il est potentiellement le "dénominateur commun" de ces défaillances en série, qui touchent depuis plusieurs années toutes sortes de patients, âgés de 4 à 89 ans, dans une proportion démesurée au regard des statistiques habituelles dans des cliniques de ce type.

Du "pompier pyromane" aux règlements de compte

Quel pourrait être le mobile de ces empoisonnements présumés ? Le suspect niant toute implication, la justice envisage d'abord la piste du "pompier pyromane", celle d'un médecin qui provoquerait des arrêts cardiaques pour pouvoir montrer ses talents de réanimateur. Comme le relève l'accusation, dans la quasi-intégralité des 30 empoisonnements du dossier, Frédéric Péchier est toujours à proximité, dans une salle ou devant les portes du bloc, comme s'il guettait la survenue de l'arrêt cardiaque.

Selon ses collègues, il intervient aussitôt, parfois avant même que l'alarme ne se déclenche, et administre le bon antidote. "Ce qui revient beaucoup, c'était cette propension à être toujours là, à se vanter d'être le meilleur, observe l'avocat Frédéric Berna. Certains clients me disaient : 'Un grand costaud est venu me voir en disant qu'il m'avait sauvé la vie'". Plusieurs témoins rapportent pendant l'enquête qu'"il faisait son Zorro".

Cette thèse ne suffit pas à expliquer d'autres événements lors desquels l'anesthésiste est absent, mais pour lesquels il est malgré tout soupçonné. Pour les enquêteurs, Frédéric Péchier était en mesure de polluer les poches de perfusion en amont le week-end, pour la première opération programmée le lundi. L'anesthésiste en charge était ainsi facilement identifiable. Dans son viseur, selon l'accusation, des collègues avec lesquels il était en conflit. Voire la direction de la clinique dans son ensemble.

"Ses victimes sont des dommages collatéraux. Que ça tombe sur une mamie de 75 ans ou un gamin de 4 ans, ce n'est pas le sujet. Il frappe au hasard. Ce sont les médecins qui sont visés."

Frédéric Berna, avocat de plusieurs parties civiles

à franceinfo

Au fil des investigations, les juges pointent ainsi des EIG "punitifs". A la clinique Saint-Vincent, l'anesthésiste Colette Arbez a ainsi été confrontée à sept événements indésirables graves, dont trois mortels, entre 2008 et 2014. Le dernier, un patient de 79 ans opéré de la cataracte, précipite son départ à la retraite. L'autopsie a révélé la présence anormale de lidocaïne. Selon les magistrats, Frédéric Péchier l'estimait incompétente et a notamment déclaré à un infirmier : "S'il faut qu'elle parte à la retraite, on fera ce qu'il faut." D'autres médecins ont été ciblés pour des raisons similaires, des questions d'argent ou des conflits plus personnels, concomitants des EIG, estime l'accusation.

Des expertises et une personnalité contrastées

La défense balaie cette théorie et met en avant des contradictions dans les expertises médico-légales et toxicologiques menées pendant l'instruction. La majorité des analyses ont été menées a posteriori, sur du matériel médical conservé, des corps exhumés ou à partir du dossier médical des patients. "Les avis peuvent être très divergents. Certains experts voient un accident, d'autres un acte malveillant", relève Randall Schwerdorffer.

"Qu'est-ce qui relève de l'empoisonnement ? Qu'est-ce qui relève de l’erreur médicale ? Je pense que des pistes n’ont pas été convenablement ou pas du tout exploitées."

Randall Schwerdorffer, avocat de l'accusé

à franceinfo

Le pénaliste se prépare ainsi à de "vraies discussions sur les conclusions des experts" lors du procès. La personnalité de l'accusé devrait également être au cœur des débats, même si cet aspect ne sera abordé qu'au mois de décembre. Après avoir gardé le silence durant plusieurs interrogatoires, Frédéric Péchier a incriminé ses anciens collègues, parlant de "complot" et assurant que la majorité des EIG résultaient "d'erreurs médicales" de leur part. Pour l'accusé, le seul cas d'empoisonnement avéré est celui dont il a été la cible lorsqu'il anesthésiait son patient Jean-Claude G., en janvier 2017.

Les témoignages de ses proches et de ses collègues recueillis pendant l'enquête dressent un portrait contrasté de cet aîné d'une fratrie de quatre enfants, issu d'une lignée de médecins. S'il est unanimement qualifié d'anesthésiste "brillant", il est décrit tantôt comme "gentil, intègre, généreux", tantôt comme "arrogant, prétentieux", avec un "complexe de supériorité". Pour certains, Frédéric Péchier voulait toujours être "le meilleur", jusqu'au golf, où son comportement véhément après avoir été confondu pour tricherie lors d'une compétition a étonné ses concurrents.

"On nous bassine qu'il aurait triché au golf... Il y a eu un acharnement qui a dépassé l'entendement", oppose Randall Schwerdorff, rappelant que les expertises psychiatriques et psychologiques "disent toutes la même chose : non, il n'est pas narcissique. Non, il n'est pas paranoïaque". De fait, ces expertises ne relèvent aucune pathologie mentale ni trouble de la personnalité et soulignent surtout un état dépressif, né de sa mise en cause. Dès 2014, pourtant, Frédéric Péchier avait fait une tentative de suicide. En 2021, il a de nouveau tenté de se défenestrer. "Je veux mourir innocent", avait-il écrit, dix jours plus tôt, à sa mère. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

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