"Il y a viol et viol" : pourquoi la stratégie d'un avocat de la défense est critiquée au procès de Dominique Pelicot et de ses 50 coaccusés
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Certains des hommes jugés à Avignon reconnaissent l'existence de rapports sexuels. Mais ils affirment ne pas avoir su que la victime n'était pas consentante, alors que son ex-mari a reconnu l'avoir droguée à son insu.
Un moment de tension qui dessine, en filigrane, une stratégie de défense. Au septième jour du procès des viols de Mazan, où 51 hommes sont accusés, devant la cour criminelle départementale du Vaucluse, les mots d'un avocat de la défense ont eu du mal à passer. "Il y a viol et viol et, sans intention de le commettre, il n'y a pas viol", a affirmé, mardi 10 septembre, Guillaume de Palma, suscitant la colère des parties civiles.
"Il ne s'agit pas, aujourd'hui, de définir une nouvelle facette du viol que la loi n'a pas prévue", a dénoncé au micro de BFMTV, sans hésiter à mettre en porte-à-faux son confrère, Béatrice Zavarro, l'avocate de Dominique Pelicot, l'homme accusé d'avoir drogué celle qui est désormais son ex-épouse, pour la violer et la faire violer par des dizaines d'inconnus recrutés sur internet. "La phrase en elle-même, en plus d'être extrêmement choquante pour les victimes, est une aberration juridique", expliqué à franceinfo Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à l'université Paris Nanterre. "Soit les faits sont avérés, soit l'infraction n'existe pas, il n'y a pas deux catégories de viols", martèle la juriste spécialiste des violences sexuelles.
Pas de crime "sans intention de le commettre"
La sortie de Guillaume de Palma illustre en outre l'un des principaux axes de la défense des 35 hommes accusés d'avoir été recrutés par Dominique Pelicot sur internet. S'ils reconnaissent les actes sexuels, ils contestent le viol dans ce procès. "A partir du moment où, effectivement, il y a une intention coupable, à partir du moment où on arrive à apporter la preuve du fait que la personne qui a commis les actes avait conscience de commettre des actes de viol, il y a viol. Sinon, il n'y a pas viol", a déroulé, devant des journalistes, l'avocat à la sortie de l'audience mardi soir. Plusieurs accusés affirment en effet s'être rendus au domicile du couple pour avoir des rapports sexuels filmés en pensant que Gisèle Pelicot faisait semblant de dormir, car elle participait à un "scénario libertin".
Or, selon le Code pénal, "il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre", hormis certaines exceptions, dont un homicide involontaire. Dans le cadre d'un viol, l'intention réside dans la volonté de l'auteur de commettre l’acte de pénétration, mais également dans la conscience de ce dernier que cet acte est imposé à la victime. C'est ce deuxième aspect que certains mis en cause dans le procès des viols de Mazan contestent, par la voix de leurs avocats. Une stratégie de défense "loin d'être absurde", selon Audrey Darsonville, mais "qui révèle une faille dans la définition du défaut de consentement dans le droit", déplore la professeure de droit pénale.
Une définition du viol "trop restrictive"
Ce constat est partagé par Maria Cornaz Bassoli, secrétaire nationale de l’association Choisir la cause des femmes, fondée par l'avocate Gisèle Halimi. L'avocate déplore une définition actuelle du viol dans la loi "trop restrictive", et ne "prenant pas en compte le phénomène de sidération". Actuellement, le Code pénal considère comme viol "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise". Sans mentionner l'existence ou non du consentement. Dans l'affaire des viols de Mazan, l'endormissement de Gisèle Pelicot au moment des faits, déclenché par la soumission chimique, rentre dans la catégorie du viol par "surprise", estiment les expertes contactées par franceinfo.
"Cet avocat nous donne raison sur le fait qu'il faut qu'on change la loi et il faut que la question du consentement soit inscrite noir sur blanc dans le Code pénal, soit définie dans le Code pénal", a réagi la ministre démissionnaire chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, sur RTL jeudi matin. Le 8 mars, Emmanuel Macron avait fait savoir à l'association Choisir la cause des femmes son intention d'inscrire dans le droit français la notion de consentement en matière de viol. Une modification devenue incertaine depuis la dissolution de l'Assemblée nationale, qui a mis fin aux travaux parlementaires en cours, début juin.
La mesure est "urgente", souligne Maria Cornaz Bassoli. "L'inscription de la notion de consentement permettrait de faire peser sur les individus l'obligation de s'enquérir du consentement de son ou sa partenaire", fait valoir l'avocate, selon qui "la notion d'intention de commettre un viol s'entendrait alors complètement différemment."
"Est-ce que nous voulons vivre dans une société où les hommes peuvent dire : 'Oups, j'ai violé par erreur' ?"
Maria Cornaz Bassoli, secrétaire nationale de l’association Choisir la cause des femmesà franceinfo
Cette position, défendue par de nombreuses associations féministes, ne convainc pas Julia Courvoisier, avocate au barreau de Paris. Elle estime que l'introduction de la notion de consentement dans le droit "reviendrait à déplacer le débat intégralement sur la plaignante et inverser la charge de la preuve".
"Chacun a le droit de se défendre comme il le veut"
Pour l'avocate, la stratégie de la défense de contester l'intentionnalité des viols de Mazan s'inscrit ainsi "dans un processus judiciaire normal". "Il existe trois façons de se défendre lorsque l'on est accusé de viol : dire qu'il n'y a pas eu de relation, reconnaître les faits, ou affirmer qu'il n'y avait pas d'intention de violer", déroule-t-elle."Que les propos de la défense heurtent les parties civiles, c'est le lot de tous les procès, poursuit Julia Courvoisier. Qu'il y ait des explications tordues, violentes, ubuesques, c'est aussi normal : chacun a le droit de se défendre comme il le veut."
"Il y a des choses qui vont continuer de déranger durant les semaines qui viennent", prédit-elle, mais "nous ne pouvons pas faire l'économie d'un débat judiciaire, qui doit absolument se tenir". Le procès de mari de Gisèle Pelicot et des 50 autres hommes accusés de l'avoir violée doit se tenir devant la cour criminelle départementale du Vaucluse jusqu'au 20 décembre.
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