Sécheresse, exode rural, impréparation : on vous explique pourquoi les incendies font des ravages considérables en Espagne cet été

Article rédigé par Chloé Ferreux, franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 8min
Les brigades de lutte contre les incendies de forêt tentent de maîtriser un incendie près de Pontevedra, en Galice, en Espagne, le 22 août 2025. (PEDRO PASCUAL / ANADOLU / AFP)
Les brigades de lutte contre les incendies de forêt tentent de maîtriser un incendie près de Pontevedra, en Galice, en Espagne, le 22 août 2025. (PEDRO PASCUAL / ANADOLU / AFP)

La Castille-et-Leon figure parmi les régions les plus durement touchées par les incendies qui frappent le nord-ouest de l’Espagne, avec plus de 350 000 hectares ravagés en une dizaine de jours.

Un triste record. Avec plus de 400 000 hectares calcinés, l'Espagne connaît en 2025 sa pire année de feux de forêt en termes de surface brûlée depuis 2006, date à laquelle les données en la matière ont commencé à être enregistrées à l'échelle européenne. Le précédent record remontait à 2022, avec 306 000 hectares dévastés. Vendredi 22 août, les pompiers luttaient encore contre les flammes

Face à l'ampleur des feux, le gouvernement espagnol a dû solliciter l'aide européenne dès le début du mois d'août. Des avions venus d'Italie, des Pays-Bas, de la République tchèque et de Slovénie ont été dépêchés sur place, accompagnés de pompiers et de véhicules spécialisés allemands et français. Entre conditions météo, changement démographique et difficultés à articuler l'aide, franceinfo vous explique pourquoi les incendies de l'été 2025 ont été particulièrement destructeurs de l'autre côté des Pyrénées.

Parce que les conditions météos ont engendré "une sorte de cocktail explosif"

Depuis le début de l'été, l'Espagne est frappée par une série d'épisodes de chaleurs extrêmes. L'agence météorologique nationale a relevé des températures proches de 45°C dans plusieurs provinces du pays, rapporte El Pais. Ces conditions, associées à des vents violents, une sécheresse persistante et un printemps inhabituellement pluvieux qui a favorisé la croissance d'une végétation dense hautement inflammable, a engendré "une sorte de cocktail explosif", résume Cristina Santin, spécialiste des incendies, citée par Reporterre.

Cette experte observe désormais l'apparition de "feux de sixième génération", "immenses et incontrôlables", qui ne peuvent être contenus qu'à l'aide d'un changement de météo, tels que le changement de sens du vent. Une analyse partagée par trois scientifiques dans The Conversation, pour qui ces phénomènes climatiques extrêmes rendent les incendies encore plus fréquents et destructeurs.

Ces événements s'inscrivent aussi dans une tendance continentale. L'Europe se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale depuis les années 1980, selon le service Copernicus. Le changement climatique causé par les activités humaines a ainsi exacerbé la fréquence et l'intensité des périodes de chaleur ainsi que de la sécheresse dans certaines parties du Vieux Continent, ce qui rend la région plus vulnérable aux incendies de forêt, relève AP News.

Dans la région de Galice, située dans le nord-ouest du pays, les feux ont notamment ravagé la province d'Orense, entraînant l'évacuation de plusieurs villages. La Castille-et-Leon voisine a été l'une des régions les plus durement touchées. Plus au sud, en Estrémadure, la province de Caceres a également été le théâtre de nombreux incendies. Le feu a coûté la vie à quatre personnes depuis dimanche.

Parce que l'exode rural a favorisé une végétation qui a servi de "réserve à combustible"

La crise met aussi en lumière un phénomène structurel : l'exode rural qui frappe les campagnes espagnoles. Autrefois structurés par les cultures et le pâturage, les paysages ruraux se sont ainsi transformés en de vastes étendues de pins et d'eucalyptus, desséchés par la chaleur et devenus de véritables couloirs pour la propagation des flammes, observe l'AFP. "Le dépeuplement rural, qui a touché de vastes zones de l'intérieur de l'Espagne, a laissé derrière lui des territoires abandonnés, où la végétation s'accumule sans être contrôlée", soulignent les experts cités par The Conversation.

L'exode rural a notamment favorisé la prolifération d'une végétation considérée aujourd'hui comme une "réserve à combustible" en cas de chaleur extrême, ajoutent-ils. En Galice, les incendies se sont ainsi concentrés dans des zones déjà marquées par le dépeuplement, comme la province d'Orense. "Si [la campagne] est propre, on peut arrêter le feu", a déploré auprès de l'AFP le maire de Ferruela, dans la région de Castille-et-Leon. Il regrette le recul de l'agriculture et de l'élevage, qui assuraient autrefois un entretien naturel des terres.

Parce que le pays était mal préparé

"La prévention n'a pas été la pierre angulaire de nos politiques et nous en payons maintenant les conséquences", estime Victor Resco de Dios, professeur d'ingénierie forestière à l'université de Lérida, en Catalogne, interrogé par Reporterre. Cette faiblesse tient en grande partie à la structure décentralisée de l'Espagne où ce sont les communautés autonomes qui ont la responsabilité de la lutte contre les incendies, rappelle l'AFP.

Ces dernières doivent ainsi financer les pompiers forestiers, élaborer les plans de prévention, définir les zones à débroussailler ou décider des évacuations. Le gouvernement central, lui, n'intervient qu'en soutien, quand une région en fait la demande ou lorsque la crise prend une ampleur exceptionnelle. Cette organisation a retardé la mobilisation des renforts nécessaires face aux incendies géants, et a mis en lumière le manque de précision dans les demandes faites par les régions, constate El Pais

Ainsi, le gouvernement central et les régions gouvernées par l'opposition incarnée par le Parti populaire (PP, droite) se renvoient la balle de la responsabilité de l'ampleur des incendies. Le 15 août, plusieurs présidents régionaux du PP dont Alfonso Fernandez Mañueco, à la tête de la région de Castille-et-Leon, ont réclamé à Madrid le déploiement de moyens militaires et logistiques supplémentaires, retrace El Pais. Deux jours plus tard, le chef de la région dénonçait sur X l'inaction du gouvernement. "Quarante-huit heures après avoir demandé au Premier ministre des ressources militaires supplémentaires pour lutter contre les incendies, nous ne les avons toujours pas reçues", a-t-il notamment écrit. Dans un autre message, il a rappelé que ces ressources avaient été demandées dès 2022 par la région, sans succès. Des manifestations se sont aussi organisées dans plusieurs localités touchées par les incendies afin de protester face au manque de moyens mis en place par les autorités, note le quotidien espagnol.

Face à ces attaques, le gouvernement a dénoncé des "polémiques artificielles pour ne pas avoir à parler de sa propre gestion", à travers la voix de la directrice générale de la Protection civile. Lors d'une conférence de presse organisée mercredi, celle-ci a également accusé certaines régions d'exiger des moyens "impossibles" et de ne pas avoir agi avec suffisamment "d'anticipation".

Déjà en novembre 2024, les intempéries historiques qui ont frappé la région de Valence avaient mis au jour une profonde désorganisation entre l'Etat et le gouvernement local. Dimanche, lors d'une visite en Galice, le Premier ministre, Pedro Sanchez, a ainsi annoncé le lancement d'un "pacte national face à l'urgence climatique", afin de répondre aux crises de manière "unifiée et coordonnée". 

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