Reportage "Les profs ne savaient même pas pourquoi j'étais là" : cinq mois après le cyclone Chido à Mayotte, la fin de la drôle d'année scolaire des enfants loin de chez eux

Article rédigé par Boris Loumagne
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Les sœurs Nesrine, Shamila, Illyana, Janane (et la dernière, Anfoua, qui n'apparaît pas sur la photo), chez elles à Fresnes (Val-de-Marne). (BORIS LOUMAGNE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Les sœurs Nesrine, Shamila, Illyana, Janane (et la dernière, Anfoua, qui n'apparaît pas sur la photo), chez elles à Fresnes (Val-de-Marne). (BORIS LOUMAGNE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

À Mayotte, des milliers d'enfants ne sont pas revenus à l'école à cause des dommages considérables sur les infrastructures et le manque d'enseignants. Certains élèves finissent donc leur année scolaire ailleurs, comme ces cinq sœurs, installées dans le Val-de-Marne. Une transition difficile à vivre, notamment en l'absence de soutien de l'Etat.

Plus de cinq mois après le passage du cyclone Chido, plusieurs milliers d'enfants n'ont toujours pas retrouvé le chemin de l'école. Des bâtiments scolaires sont encore détruits, il manque des professeurs, et la place manque dans les établissements qui fonctionnent. C'est justement pour éviter cette situation que quelques semaines après Chido, des centaines d'élèves ont quitté l'académie de Mayotte pour terminer leur année scolaire à La Réunion ou en métropole. Ils sont officiellement 1 500. Et dans leurs nouvelles écoles, ils sont confrontés à des problèmes d'intégration et d'adaptation à leur nouvelle vie. Exemple avec ces cinq sœurs mahoraises et leur père, installés depuis janvier à Fresnes, dans le Val-de-Marne. 

Un accueil chaleureux, c'est ce que Nesrine et ses quatre sœurs s'attendaient à trouver en arrivant en métropole en janvier dernier, mais leur rentrée dans leur nouvel établissement a été comme le climat parisien. "Il faisait 4°C quand on est sortis de l'aéroport", se rappelle Nesrine. Plutôt froid donc.

"Le jour de notre rentrée scolaire, on nous a juste donné nos emplois du temps, on nous a dit de nous rendre dans nos salles, on ne nous a pas fait visiter. Les profs ne savaient même pas pourquoi je suis venue en milieu d'année", déplore Ilyana, 16 ans, qui est en première. "Il n'y a pas eu de retour pour me demander si on s'était bien intégrées, ou quelque chose comme ça...", regrette-t-elle.

Les deux sœurs Shamila et Illyana, devant leurs cahiers de révision du bac. (BORIS LOUMAGNE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Les deux sœurs Shamila et Illyana, devant leurs cahiers de révision du bac. (BORIS LOUMAGNE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Pas d'encadrement particulier malgré le déracinement, pas de professeur référent malgré la différence de niveau scolaire entre Mayotte et la métropole, et donc des notes qui chutent rapidement pour les cinq sœurs. "Je pense qu'on avait tous un niveau à Mayotte, même les petites travaillaient très bien en classe, alors qu'ici...", soupire Shamila. "Je suis passée de 20/20 à 7/20", ajoute Nesrine. "C'est le même programme, mais la notation ici, j'ai l'impression que les professeurs notent plus sévèrement. C'est ça qui me préoccupe", reprend Shamila.

"On va leur prouver qu'on va réussir"

"Je suis perdu, et je suis tout seul, lâche le père de famille, Ahmed. L'Etat n'est pas là, donc notre famille se débrouille toute seule." Pas d'aide financière pour payer les billets d'avion de ses filles, pas de coup de pouce pour trouver un logement à Fresnes. "Je demandais au moins qu'elles puissent avoir un psychologue, pour avoir un suivi sur ce qu'il s'est passé", confie-t-il.

Mais pas non plus de psychologues proposés aux enfants à leur arrivée, malgré les besoins de la petite Nesrine, 11 ans, qui a toujours en tête les images du cyclone : "J'ai vu des chats errants qui volaient, les maisons et les tôles qui volaient partout." Elle y pense encore "très souvent".

"Quand il y a eu le cyclone, l'Etat encourageait les familles à faire partir les enfants, quand elles en avaient la possibilité. Alors qu'après, ils ne mettent pas à disposition des aides pour les familles."

Shamila

à franceinfo

Heureusement, Nesrine est soutenue par ses grandes sœurs, Shamila et Ilyana, qui doivent en plus préparer le bac, les fiches de révision sont déjà écrites. Elles feront tout pour le décrocher. "On veut prouver aux autres que ce n’est pas parce qu'on est venus ici qu'on va échouer, lance la première. On va leur prouver qu'on va réussir." Prouver leur réussite, aussi, à leur mère, qui est restée à Mayotte pour s'occuper de la reconstruction de la maison familiale détruite durant le cyclone.

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