Vague de chaleur : on vous explique pourquoi les centrales nucléaires sont forcées de ralentir pour ne pas trop réchauffer les cours d'eau
/2021/12/14/61b8b989155c6_camille-adaoust.png)
/2025/06/24/080-hl-rdoucelin-2490043-685aad8329d68916641202.jpg)
EDF a prévenu que quatre sites situés sur le Rhône et la Garonne pourraient être contraints de baisser leur production d'électricité afin de respecter les seuils d'échauffement des cours d'eau qui servent à refroidir les réacteurs.
Une vague de chaleur touche la France depuis le 19 juin. Un nouveau pic est notamment attendu entre le mardi 24 et le mercredi 25, avertit Météo-France. Alerte pollution, épisode de particules fines, risque de feux de forêt, mise en place d'îlot de fraîcheur urbain... Les conséquences et mesures prises sont nombreuses.
Mais à cette liste, EDF est venue en rajouter une nouvelle : les fortes chaleurs pourraient peser sur la production d'électricité du parc nucléaire. "En raison des prévisions de températures élevées de la Garonne, des restrictions de production sont susceptibles d'affecter le parc nucléaire d'EDF", a prévenu le producteur d'électricité dans un communiqué mardi 24 juin, citant les sites de Blayais (Gironde) et de Golfech (Tarn-et-Garonne). Quelques jours plus tôt, EDF avait publié le même message pour le site du Bugey (Ain) et Saint-Alban-du-Rhône (Isère).
Un impact sur la biodiversité aquatique
Comment l'expliquer ? Pour se refroidir, les centrales nucléaires pompent l'eau des cours d'eau ou de la mer, avant de la rejeter à des températures plus élevées. Une pratique encadrée par des seuils d'échauffement, tout comme de débit, notamment "depuis les canicules de 2003 et 2006", expose l'Autorité de sureté nucléaire (ASN). Des mesures prises pour protéger la faune et la flore.
En effet, "la hausse de la température implique une diminution de la quantité d'oxygène dissous dans l'eau, ce qui a un très fort impact sur la biodiversité", explique l'hydroclimatologue Florence Habets à franceinfo. "Ces modifications favorisent les espèces lentiques – propres aux eaux calmes et potentiellement pauvres en oxygène, type carpes – en défaveur des espèces lotiques, comme la truite", illustre la directrice de recherche au CNRS.
De manière générale, lorsque le seuil de 25°C en amont de la centrale est atteint, l'installation électrique ne peut la réchauffer que de 3°C pour éviter tout effet sur la biodiversité. "Le seuil de température aval de 28°C reste donc aujourd'hui la référence de limite considérée comme n'ayant pas d'incidences notables pour le milieu aquatique", expose la Cour des comptes dans un rapport, les seuils variant selon les centrales et les milieux, comme le montre notre carte.
Lorsque ces seuils sont susceptibles d'être dépassés, lors de canicules ou de sécheresses annoncées par les prévisions météo, "on abaisse la puissance des réacteurs", explique EDF à franceinfo. Cela peut aller jusqu'à l'arrêt complet du réacteur, ajoute l'ASN. Pour l'épisode de chaleur en cours, la baisse en question n'a pas encore été nécessaire, précise EDF. Mais elle l'a déjà été par le passé.
"Depuis 2000, la puissance produite – ce qui aurait dû être injecté dans le réseau – a été affectée de 0,3% chaque année en moyenne par toutes les actions abaissements."
EDFà franceinfo
L'entreprise se voit par ailleurs accorder des dérogations, quand le niveau de consommation d'électricité le réclame, à condition de surveiller davantage le milieu aquatique. Comme en 2022, se souvient l'ASN, quand des "épisodes caniculaires et de sécheresse ont conduit à une élévation de la température des eaux du Rhône, de la Garonne et de l'estuaire de la Gironde qui assurent le refroidissement des centrales nucléaires du Bugey, du Tricastin, de Saint-Alban, de Golfech et du Blayais".
Les cours d'eau vont continuer de se réchauffer
Cette modification temporaire des seuils "ne peut constituer une réponse à elle seule", reconnaît toutefois l'Autorité de sûreté nucléaire. Car la question est amenée à se reposer de plus en plus sous l'effet du réchauffement climatique dû aux activités humaines. Quelque "25" épisodes de chaleur "ont été observés en France entre 1947 et 2010", puis "25 déjà entre 2011 et 2025", ce qui "montre bien l'accélération" de leur fréquence, note Lauriane Batté, climatologue de Météo-France.
En plus de ces épisodes intenses, sur le temps long, "tous les cours d'eau sont touchés par le réchauffement climatique", remarque Florence Habets. Des "évolutions de la température qui peuvent être plus importantes lorsque les débits diminuent [lors d'une sécheresse] et en fonction des aménagements. Typiquement, toutes les retenues contribuent à réchauffer l'eau", complète-t-elle.
Si on regarde plus attentivement le Rhône, une étude d'EDF rapporte qu'entre 1920 et 2010, le fleuve s'est réchauffé de "+0,6°C à Bugey", "+0,9°C à Saint-Alban" et "+2,1°C à Tricastin", comme l'illustre l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse dans l'infographie ci-dessous. Un constat que partage le Centre suisse des services climatiques (NCCS), plus en amont.
Et la situation ne devrait pas aller en s'améliorant : le réchauffement des cours d'eau sera "sans doute même plus rapide" à l'avenir, évoque Florence Habets. "D'ici le milieu du siècle, les modèles prévoient un réchauffement de 2°C sur le plateau suisse et de 1,6°C dans les eaux alpines. D'ici la fin du siècle, ces chiffres atteindront 3,2°C dans tous les cours d'eau, à moins que des mesures efficaces d'atténuation du changement climatique ne soient prises", alerte encore le NCCS.
/2025/06/24/2025-06-24-17-43-18-rapport-de-la-cellule-de-production-685ac7a99c321767924416.png)
Face à ces évolutions, "pour les sites [nucléaires] en bord de fleuve, à réglementation inchangée et sans adaptation des installations existantes, les risques d'indisponibilité des tranches augmenteront", alerte la Cour des comptes. Et ce alors même que la hausse des températures doit entraîner "une augmentation de la demande d'électricité" via l'électrification des usages ou encore l'utilisation accrue de climatisation. L'Etat, cité par la Cour des comptes, se veut rassurant : il "considère que cette question ne constitue pas un risque pour le réseau électrique et que les pertes de production estivales seront compensées par une mobilisation accrue des énergies renouvelables".
EDF tient compte du dérèglement climatique
Reste qu'EDF "s'y prépare complètement". "Les scénarios du Giec sont intégrés dans la conception de nos installations", assure l'énergéticien. Contacté par franceinfo, le ministère de la Transition écologique fait valoir que les nouveaux réacteurs "intègrent les enjeux liés au changement climatique" : "S'agissant des études pour l'EPR2, EDF tient compte de modèles climatiques pour toute la durée prévue du fonctionnement, (...) en vue de dimensionner les systèmes de refroidissement et de sûreté, pour assurer la disponibilité maximale des réacteurs dans les conditions climatiques qui peuvent être anticipées."
Quant au parc existant, "on profite de chaque période de maintenance pour améliorer la résilience des installations", complète EDF. Le producteur d'électricité cite l'amélioration de la performance des systèmes de refroidissement, l'ajout de groupes de froid et de ventilation. Un plan, appelé "grand chaud", qui a commencé après la canicule de 2003, quand "certaines centrales avaient dû réduire leur production afin d'éviter de contribuer au réchauffement de l'eau des rivières, entraînant une perte de production équivalente à 1% de la production d'EDF", note l'entreprise.
Pour les centrales du Bugey et de Golfech, il y a urgence. Ces sites particulièrement sensibles aux évolutions de débit et aux limites thermiques, note la Cour des comptes, pourraient voir leur production baisser de 2% par an sur la période 2020-2050 dans le pire des scénarios climatiques pour le premier, et de "2 à 3% par an à horizon 2040" pour le second. Soit 5,4 jours et 12,5 jours à l'arrêt par an.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.