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COP27 : on vous raconte l'histoire des "Warming Stripes", le meilleur graphique pour comprendre le réchauffement climatique

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les "Warming Stripes" permettent de visualiser le réchauffement de notre climat depuis le 19e siÚcle. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)
Les "Warming Stripes" permettent de visualiser le réchauffement de notre climat depuis le 19e siÚcle. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

Mises au point par le climatologue britannique Ed Hawkins, ces bandes ont largement dépassé le domaine scientifique pour s'afficher jusque sur des maillots de foot et dans des défilés de mode.

On les a vues à l'Elysée lors d'un séminaire gouvernemental et à un concert de rock post-hardcore. A des défilés de mode et dans le dernier rapport du Giec, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Sur le visage du nouveau président chilien, Gabriel Boric, et sur des canettes de biÚre. Autour du cou d'un grand patron de la finance et sur les pancartes des marches pour le climat. Sur un maillot de football et sur la couverture du dernier livre de l'activiste Greta Thunberg.

On pourrait continuer cette liste longtemps : les "Warming Stripes", ou "bandes du réchauffement climatique" en français, se sont disséminées un peu partout depuis leur création en 2018 par le climatologue britannique Ed Hawkins, 45 ans. "Je n'aurais jamais imaginé aller un jour à la Fashion Week de Londres ou participer à un shooting pour un maillot de football. Ce n'est pas sur la liste des activités normales pour un climatologue", euphémise-t-il. A l'occasion de la COP27, qui se tient du 6 au 18 novembre à Charm El-Cheikh (Egypte), franceinfo vous raconte l'histoire de ces bandes au succÚs fou.

Au commencement se trouvent un bĂ©bĂ© et une "accro" du crochet. Ellie Highwood, une consƓur scientifique d'Ed Hawkins, prĂ©pare une couverture comme cadeau de naissance pour la fille d'une collĂšgue. Elle dĂ©cide de s'inspirer d'une pratique trĂšs rĂ©pandue chez les "crocheteurs" : confectionner une rangĂ©e par jour et utiliser la tempĂ©rature ou la couleur du ciel du moment pour en choisir la couleur. "Je me demandais ce que donnerait la sĂ©rie des tempĂ©ratures mondiales sur une couverture. Et comme on explique souvent le rĂ©chauffement climatique en comparant les gaz Ă  effet de serre Ă  une couverture, je trouvais intĂ©ressant de faire le lien", expliquait-elle Ă  l'Ă©poque sur son blog. Quelques mois plus tĂŽt, une autre scientifique, l'AmĂ©ricaine Joan Sheldon, avait eu une idĂ©e similaire.

C'est là qu'intervient Ed Hawkins. Le scientifique de l'université de Reading (Royaume-Uni), coauteur des deux derniers rapports du Giec, s'intéresse depuis longtemps à la meilleure maniÚre de représenter le réchauffement climatique. "J'ai créé des visualisations que je trouvais brillantes, mais que personne n'aimait", plaisante-t-il. Un an aprÚs avoir vu la couverture de sa collÚgue, il en reprend le principe en simplifiant le code couleur. En bleu, les années plus froides que la moyenne des températures entre 1971 et 2000. En rouge, les années plus chaudes. Le résultat montre clairement le réchauffement observé ces derniÚres années sous l'effet des activités humaines (consommation de pétrole, charbon et gaz, déforestation). Le succÚs est immédiat : en une semaine, les Warming Stripes sont téléchargées un million de fois sur le site monté pour l'occasion.

Un graphique pour ceux qui n'aiment pas les mathématiques

Comment expliquer un telle rĂ©ussite ? Ed Hawkins l'attribue Ă  la beautĂ© de ces bandes et Ă  leur simplicitĂ© (elles sont dĂ©pouillĂ©es d'axes et de chiffres), qui les rendent comprĂ©hensibles "pour les personnes qui n'ont pas aimĂ© les maths ou les sciences Ă  l'Ă©cole". La scientifique MĂ©lissa Gomis, qui a travaillĂ© sur les graphiques du dernier rapport du Giec comme membre du groupe technique, salue un exercice de communication visuelle trĂšs rĂ©ussi. "Elles contiennent des donnĂ©es scientifiques, mais c'est presque plus une Ɠuvre d'art. Le but n'est pas de communiquer sur le concept d'anomalie de tempĂ©rature utilisĂ© ici, il est de donner la sensation du changement climatique", dĂ©taille cette spĂ©cialiste des visualisations graphiques.

"C'est universel : le graphique peut ĂȘtre compris par un prix Nobel de physique comme par des personnes trĂšs Ă©loignĂ©es de la science."

Mélissa Gomis, spécialiste des visualisations scientifiques

Ă  franceinfo

Simples Ă  comprendre, les bandes sont aussi aisĂ©ment dĂ©clinables, Ă  toutes les Ă©chelles (monde, pays, ville) et sur tout type de support. Ed Hawkins a mĂȘme mis au point une version oĂč diffĂ©rents futurs climatiques se dessinent en fonction de nos choix et de nos dĂ©cisions. Sa collĂšgue ValĂ©rie Masson-Delmotte ne les utilise pas seulement dans ses prĂ©sentations devant le gouvernement ou dans des Ă©coles. Elle les porte souvent en Ă©charpe, un cadeau de Hawkins Ă  la COP26 de Glasgow en 2021. "Quand je prends le RER, des gens m'interpellent sur ce foulard, me disent 'tiens, c'est le code-barre du climat', sans me connaĂźtre", tĂ©moigne la coprĂ©sidente du groupe 1 du Giec. "C'est assez rare pour un objet scientifique de rentrer dans la culture populaire."

La climatologue Valérie Masson-Delmotte avec son foulard des "Warming Stripes", le 4 mai 2022 à l'Elysée. (DANIEL PIER / NURPHOTO / AFP)
La climatologue Valérie Masson-Delmotte avec son foulard des "Warming Stripes", le 4 mai 2022 à l'Elysée. (DANIEL PIER / NURPHOTO / AFP)

Du stade de football au défilé de mode

Il suffit de pousser les portes du stade du Reading FC, l'Ă©quipe professionnelle de football de la ville oĂč travaille Ed Hawkins, pour se convaincre de cette rĂ©alitĂ©. Les bandes de l'Ă©volution de la tempĂ©rature locale sont dĂ©clinĂ©es sur les manches des maillots pour la saison 2022-2023 de ce club Ă©voluant en deuxiĂšme division anglaise. L'idĂ©e a germĂ© lors d'une visioconfĂ©rence avec l'universitĂ©. "J'ai vu les bandes derriĂšre lui. Je pensais que c'Ă©tait un tableau, mais il m'a expliquĂ© ce qu'elles reprĂ©sentaient", se souvient Tim Kilpatrick, directeur commercial du Reading FC.

C'est lui qui propose de les afficher sur le maillot. "Avec l'université, nous voulions que ce message atteigne un nouveau public, en l'occurrence nos supporters", poursuit le directeur commercial. Ce choix est la partie la plus visible d'une série de décisions pour réduire l'empreinte environnementale du club : panneaux photovoltaïques, score "climat" des différents menus servis au stade, maillots en polyester recyclé...

Deux footballeurs du Reading FC, Shane Long et Tom Ince, le 8 août 2022 à Reading (Angleterre). (JASONPIX / SHUTTERSTOCK / SIPA)
Deux footballeurs du Reading FC, Shane Long et Tom Ince, le 8 août 2022 à Reading (Angleterre). (JASONPIX / SHUTTERSTOCK / SIPA)

La crĂ©atrice de mode Lucy Tammam a, elle, dĂ©couvert les Warming Stripes grĂące Ă  une amie. La cheffe d'entreprise de 39 ans, qui revendique une dĂ©marche "durable" et Ă©cologique, a tout de suite eu envie d'en faire des robes. "Mon premier objectif est de faire de beaux vĂȘtements respectueux de l'environnement. J'aime aussi beaucoup l'idĂ©e d'utiliser la mode comme une voie vers le militantisme et l'Ă©ducation", confie-t-elle par e-mail. Les bandes se dĂ©clinent aujourd'hui sur des robes, des Ă©charpes, des foulards et des manteaux. "La plupart des rĂ©actions sont positives, avec des gens ravis d'avoir dĂ©couvert les 'Stripes' de cette maniĂšre", tĂ©moigne la crĂ©atrice.

Un défilé de mode de la maison Tammam, le 16 septembre 2022 à Londres (Royaume-Uni). (STEVE BEST / HOUSE OF TAMMAM)
Un défilé de mode de la maison Tammam, le 16 septembre 2022 à Londres (Royaume-Uni). (STEVE BEST / HOUSE OF TAMMAM)

Un outil pour "démarrer une conversation"

Des réactions positives, et aprÚs ? Les retombées concrÚtes des Warming Stripes restent compliquées à évaluer. "Des millions de personnes les ont vues et les ont utilisées. Savoir si cela a provoqué des changements, c'est trÚs difficile à dire", résume Ed Hawkins. Lui voit plutÎt son graphique comme un nouvel instrument dans "la boßte à outils" pour communiquer et "démarrer une conversation" sur le réchauffement climatique. Le scientifique britannique raconte comment un Américain, qui avait recouvert sa voiture électrique avec les bandes, a pu déclencher des débats sur le sujet dans des salons automobiles. "Je pense que c'est bien plus efficace que de recevoir une leçon sur le sujet. Les gens sont intrigués et posent des questions", assure le climatologue.

"C'est un moyen de parler du climat dans différents cercles sociaux. C'est, de maniÚre générale, ce que doit faire la communauté climatique : inspirer cette conversation dans d'autres cercles."

Ed Hawkins, climatologue

Ă  franceinfo

Pour favoriser une large diffusion, les bandes du rĂ©chauffement sont en licence libre. "Les gens peuvent l'utiliser et nous ne pouvons pas dire non", rĂ©sume Ed Hawkins. Lui assure ne pas avoir d'exemples nĂ©gatifs en tĂȘte, mais le risque de greenwashing, c'est-Ă -dire leur utilisation par des acteurs peu respectueux de l'environnement pour verdir leur image, est bien lĂ . On peut par exemple relever que le club de foot de Reading n'a pas renoncĂ© Ă  renouveler chaque saison sa gamme de maillots, une pratique qui pousse ses supporters Ă  la consommation. Larry Fink, le tout-puissant patron du groupe de gestion d'actifs BlackRock, qui arborait une Ă©charpe aux couleurs des Warming Stripes en 2020, a annoncĂ© en mai la fin de son Ă©phĂ©mĂšre soutien aux actionnaires pro-climat, comme le raconte Le Monde.

Le concept appliqué à la biodiversité

Malgré cet angle mort, la démarche a donné des idées aux défenseurs de la biodiversité. Miles Richardson, professeur de psychologie à l'université de Derby (Royaume-Uni), a mis au point cet été des "Biodiversity Stripes" pour rendre compte de l'effondrement des populations de mammifÚres, d'oiseaux, de poisons, d'amphibiens et de reptiles. "Elles vont du vert de la nature au gris, pour représenter la perte de couleur au fur et à mesure que les espÚces disparaissent. Le monde devient plus gris, plus urbain", détaille l'intéressé. Les données viennent du Living Planet Index de l'ONG WWF.

Le scientifique s'est lancĂ© dans cette visualisation parce qu'il regrette que la biodiversitĂ© soit "le parent pauvre du rĂ©chauffement climatique, qui est beaucoup plus traitĂ© dans les mĂ©dias". Miles Richardson espĂšre que son graphique connaĂźtra le mĂȘme succĂšs que les Warming Stripes d'Ed Hawkins : "Ce sont toutes les deux des crises environnementales qui menacent, Ă  terme, l'existence humaine."

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