Chantier de l'A69 : le tribunal administratif donne raison aux opposants et juge le projet autoroutier illégal, deux ans après le début des travaux
Le tribunal administratif de Toulouse estime que le projet ne répond à aucune "raison impérative d'intérêt public majeur" et annule les autorisations environnementales délivrées en mars 2023.
Presque deux ans après le début des travaux, les opposants à l'A69 remportent une victoire historique. Après moult rebondissements, le tribunal administratif de Toulouse a estimé jeudi 27 février que l'autoroute en construction entre Toulouse (Haute-Garonne) et Castres (Tarn) ne répondait à aucune "raison impérative d'intérêt public majeur" justifiant de porter atteinte à l'environnement. La justice donne ainsi raison aux collectifs d'opposants à l'origine de ce recours, ainsi qu'à la rapporteure publique, qui s'était prononcée à deux reprises pour une annulation de l'autorisation environnementale.
Mais le dossier n'est pas refermé : peu après l'annonce de cette décision, le ministère des Transports a fait savoir que l'Etat allait faire appel de la suspension du chantier de l'autoroute. De quoi continuer un long bras de fer devant la justice : entre le dépôt par les associations d'opposants à l'infrastructure d'une première demande de suspension, en mars 2023, puis du recours sur le fond, en juin 2023, et la décision de la justice administrative, près de deux ans se sont écoulés. Et l'entreprise NGE, mandatée par le concessionnaire Atosca, a progressé sur ce chantier qui s'étend sur 53 km. Franceinfo revient sur cette longue bataille entre pro et anti-A69 devant les tribunaux.
Une question d'''intérêt public majeur"
L'offensive judiciaire a démarré dès les premiers jours du chantier de l'A69. Alors que le militant tarnais Thomas Brail s'installait dans un platane, le 21 mars 2023, pour s'opposer à la coupe d'arbres centenaires le long d'une route de Vendine (Haute-Garonne), France nature environnement saisissait le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse pour demander l'arrêt de cette "opération d'abattages". La tentative, infructueuse, échoue à nouveau un mois plus tard devant le Conseil d'Etat, mais ne décourage pas les opposants, qui s'allient pour plaider leur cause : le 19 juin de la même année, 14 organisations déposent un recours au fond devant le tribunal administratif de Toulouse. Elles jugent "insuffisante" l'étude d'impact préalable et estiment que l'autoroute ne répond pas à "une raison impérative d’intérêt public majeur".
C'est sur ce dernier point, crucial, que repose la bataille devant le tribunal administratif : pour les pro-A69, l'infrastructure vise à "désenclaver" la zone rurale qui entoure l'agglomération de Castres, aujourd'hui à 1h10 de Toulouse par la route nationale. En permettant aux automobilistes de gagner entre 15 et 25 minutes de temps de trajet entre les deux villes, moyennant le prix – pas encore fixé – d'un péage, l'autoroute se prévaut de cette "raison impérative d’intérêt public majeur" (RIIPM), une qualification qui permet de contrevenir exceptionnellement au Code de l'environnement pour mener à bien un projet. Cette RIIPM est inscrite dans l'autorisation environnementale délivrée début mars 2023 par les préfets de Haute-Garonne et du Tarn. En donnant raison aux opposants, la Cour place ainsi le chantier dans une illégalité de fait. "Si cette raison impérative tombe, le projet tombe avec", déclarait à franceinfo l'avocate des associations, Alice Terrasse, au tout début de ce marathon judiciaire.
Pour les opposants, les avantages supposés d'une telle liaison autoroutière, construite en partie en parallèle de la route nationale gratuite, sont insuffisants au regard les dommages générés sur l'environnement. Une appréciation partagée par la rapporteure publique, Mona Rousseau. Chargée de donner un avis indépendant sur le contentieux, la magistrate déclare lors de la première audience sur le fond, en novembre 2024, qu'il est "excessif" d'invoquer une "véritable situation d'enclavement" du sud du Tarn, et recommande à la cour d'annuler les autorisations environnementales. Lors d'une nouvelle audience organisée le 18 février, elle a maintenu cette recommandation, donnant raison aux requérants face à Atosca et aux services de l'Etat, qui maintiennent le caractère indispensable de l'autoroute.
Un chantier qui avance plus vite que la justice
Dans un communiqué de presse publié le 10 février, Atosca assurait avoir "désormais concrétisé plus de 300 millions d’euros, soit 65% du budget total du chantier", s'en tenant à "l’objectif" initial d’une livraison de l'autoroute "à la fin de l’année 2025". "C'est de la communication", fustige Thomas Digard, l'un des porte-parole du collectif d'opposants locaux La Voie est libre. "Depuis le début, la stratégie des pro-A69 consiste à dire que tout va bien jusqu'à la décision du tribunal. Il faut faire croire que le chantier est trop avancé pour faire machine arrière", pointe-t-il. Il assure ainsi que deux mois plus tôt, les préfectures du Tarn et de Haute-Garonne citaient un montant engagé moins important : 250 millions d'euros, "dont 100 millions d'euros qui correspondent à des études et analyses, bref, rien qui ne nécessite un démantèlement qui serait coûteux", poursuit-il, assurant que"les délais ne sont pas crédibles".
A coup de référés, le collectif et ses alliés ont ainsi tenté de contraindre le chantier au rythme de la justice. Objectif : démontrer "l'urgence" d'éviter de possibles dommages environnementaux irréversibles, dans l'attente d'un jugement sur le fond. Or, ces demandes ont été systématiquement retoquées par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse. Dans son dernier refus de suspendre les travaux, le 21 janvier, il motive ainsi cette décision par le fait que "les impacts environnementaux ont d’ores et déjà été produits à l’échelle globale du chantier". "Une suspension prononcée en urgence aurait, de toute manière, eu des effets à une date avoisinante celle de l’audience du mois de février prochain", poursuit-il.
Cette décision sur le fond a elle-même fait l'objet d'un report, après que le tribunal administratif a décidé, le 9 décembre, de rouvrir l'instruction à la suite d’une note en délibéré des préfectures du Tarn et de la Haute-Garonne. Cette décision inattendue, prises "sans véritables éléments nouveaux décisifs" selon une centaine de juristes dans une tribune publiée en janvier, augmente "le risque que la décision finale intervienne trop tard et rende toute annulation irréaliste", dénonçaient-ils.
Les plaintes au pénal, autre voie de contestation
Ecologue et co-président des Amis de la Terre Midi-Pyrénées, Jean Olivier réfute cet "argument qui consiste à dire que l'essentiel des travaux ont été réalisés et que les impacts sur l'environnement auraient déjà eu lieux", "un discours cynique" qui "entérine le fait accompli". Si la justice administrative n'a jamais permis la suspension du chantier, d'autres initiatives ont permis aux opposants de remporter de petites victoires, estime-t-il.
En mars 2024, l'Office français de la biodiversité a ainsi donné raison à l'écologue, qui avait contesté la légalité de l'abattage d'arbres dans le bois de la Crémade, à Saïx (Tarn), alors occupé par des zadistes, en démontrant la présence de mésanges bleues en nidification sur le site. Ainsi, "on active front pénal en marge du front administratif", résume Jean Oliver, citant encore le dépôt en août de trois plaintes avec constitution de partie civile pour "trafic d'influence", "destructions illégales" ou "prise illégale d'intérêt". "Le juge d'instruction aussi a un pouvoir de suspension du chantier", poursuit l'écologue, qui concède que ces procédures peuvent prendre des années.
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