Reportage "Certains sont en train de vendre leur pirogue" : au Sénégal, les chalutiers chinois menacent l'économie locale et la biodiversité

La pêche, activité capitale dans ce pays bordé par l'Océan Atlantique, est mise en danger notamment par les bateaux chinois, qui viennent puiser d'énormes quantités de poissons dans les eaux sénégalaises. Ces chalutiers étrangers mettent en péril les emplois, mais causent également de gros dégâts sur l'environnement.

Article rédigé par franceinfo - Juliette Dubois
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Des pêcheurs préparent un filet de pêche sur une plage de Dakar, le 17 mars 2025. (PATRICK MEINHARDT / AFP)
Des pêcheurs préparent un filet de pêche sur une plage de Dakar, le 17 mars 2025. (PATRICK MEINHARDT / AFP)

Au Sénégal, pays d'Afrique de l'Ouest connu pour ses eaux poissonneuses, jusqu'à 600 000 personnes vivent directement ou indirectement de la pêche, soit 15% de la population active et le plat national est même le riz au poisson. Mais cette ressource est sous pression. D'abord, à cause des pêcheurs artisanaux qui sont de plus en plus nombreux, mais aussi à cause des gros chalutiers étrangers, dont des Chinois. Ces bateaux viennent pêcher en grandes quantités et privent les Sénégalais de leur source de protéine principale. Un défi crucial pour le pays et les habitants, alors que s'ouvre lundi 9 juin, à Nice, la conférence de l'ONU sur les océans.

La pêche n'a pas été bonne pour Abdourahmane, pêcheur dakarois, qui débarque le visage fermé. "Aujourd'hui ce n'était pas bon, il n'y avait pas de poisson. Être pêcheur maintenant, c'est difficile", lance-t-il. Parti pêcher des chinchards, un poisson bon marché qui ressemble à la sardine, Abdourahmane n'a ramené qu'un seul cageot à 14h. Une fois déduits les frais d'essence, il ne restera quasiment plus rien de la vente à se partager avec ses deux collègues. "S'il y avait du poisson, j'aurais déjà pu acheter mon mouton pour l'Aïd, la Tabaski", se désole-t-il.

Bateaux chinois aux "capacités énormes"

Mamadou Sarr, secrétaire général du comité des pêcheurs du quartier, pêche depuis 40 ans à Ouakam. Pour lui, l'augmentation du nombre de pêcheurs et de la population explique en partie la raréfaction du poisson, mais il pointe aussi du doigt la présence de gros chalutiers industriels étrangers. "La pêche artisanale, on parle de 21 000 pirogues. Mais ces gros bateaux-là, ils peuvent pêcher bien plus, car ils ont des capacités énormes", dénonce Mamadou Sarr. Certains ont signé des accords de pêche avec le Sénégal, comme l'Union européenne jusqu'à il y a quelques mois, mais d'autres utilisent des prête-noms sénégalais. "On a beaucoup cité les bateaux chinois et c'est une réalité, allez au port, vous allez voir", s'agace-t-il.

Le chalutage industriel pratiqué par ces gros navires est aussi destructeur pour les écosystèmes, explique Aliou Ba, responsable de la campagne océans pour l'ONG Greenpeace.

"Les chalutiers raclent les fonds marins, détruisent les habitats marins et provoquent une destruction de la biodiversité."

Aliou Ba, responsable de la campagne océans pour Greenpeace

à franceinfo

Les menaces sur la sécurité alimentaire et économique créent beaucoup de tensions entre les pêcheurs et poussent même certains vers l'exil. "Que se passe-t-il si on n'a plus de poissons ? Certains sont en train de vendre leurs pirogues. Et après, tu peux avoir des personnes mal intentionnées qui achètent la pirogue, y mettent un moteur, et y mettre des passagers... Tu imagines ce que ça peut donner", prévient un pêcheur, en faisant référence aux passeurs de migrants. Les acteurs de la pêche demandent donc plus de transparence. Les nouvelles autorités sénégalaises ont lancé un audit du pavillon de pêche l'an dernier.

Au Sénégal, les chalutiers chinois menacent l'économie locale et la biodiversité. Reportage de Juliette Dubois

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