"Dans deux mois, on dépose le bilan" : on vous explique la crise que traverse Le Relais, qui a suspendu sa collecte de vêtements

La coopérative, chargée de trier et de valoriser les textiles usagés, voit son modèle économique s'effondrer face à la fast-fashion asiatique. Le gouvernement a annoncé un plan de soutien, jugé "insuffisant" par la filière.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des bornes de collecte de vêtements Le Relais à Perpignan (Pyrénées-Orientales), le 28 janvier 2020. (J.-C. MILHET / HANS LUCAS / AFP)
Des bornes de collecte de vêtements Le Relais à Perpignan (Pyrénées-Orientales), le 28 janvier 2020. (J.-C. MILHET / HANS LUCAS / AFP)

Depuis plusieurs mois, un peu partout en France, un signe ne trompe pas : des bornes de collecte de vêtements ferment les unes après les autres. Impossible d'y glisser ses vieux pantalons et tee-shirts démodés. Et pour cause, le modèle économique de la filière est menacé par la concurrence asiatique. Dans ce contexte, Le Relais – qui assure 50% de la collecte avec ses 22 000 bornes – a décidé de faire entendre sa colère depuis le 15 juillet. Malgré la réponse du gouvernement, la coopérative craint toujours pour sa "survie". Explications.

Le modèle économique de la fripe est menacé par la fast-fashion asiatique

Que deviennent nos vieux vêtements ? Depuis le 1er janvier 2025, les pays européens doivent opérer une collecte séparée de leurs textiles, comme pour le verre ou le papier. Un tri que la France fait déjà depuis plusieurs années. Mais la bonne élève en matière de valorisation des déchets textiles voit désormais sa filière menacée.

Sur le territoire national, plus de 47 000 bornes permettent de collecter 34% des déchets textiles, selon Refashion, l'éco-organisme chargé par le gouvernement d'accompagner l'industrie de la mode vers une économie plus circulaire. Mais certaines ont été contraintes de suspendre leur activité ces derniers mois. Des fermetures liées à un "ralentissement important du marché mondial de la friperie" depuis juin 2024, selon Le Relais, qui assure 50% de la collecte française.

Chaque année, environ 270 000 tonnes de déchets textiles sont collectées en France et "60% des produits triés" sont revendus en fripe – dont 90% à l'étranger, selon le rapport 2023 de Refashion. Ce marché de la friperie exportée permet aux acteurs de l'économie sociale et solidaire de se financer en partie. Mais désormais, "les acheteurs africains se détournent pour aller acheter des fripes, voire du neuf en Chine", ce qui coûte beaucoup moins cher à ces grossistes que de s'offrir de la seconde main européenne, explicite Sandra Baldini, responsable au sein de Refashion, à l'AFP.

En Europe, "ce modèle basé sur la friperie est en train de se tarir", estime l'experte. Un "retournement brutal du marché" qui pourrait être une bonne nouvelle d'un point de vue environnemental. Car ces amas de déchets textiles exportés notamment en Afrique représentent une catastrophe écologique et sociale : une partie substantielle de ces déchets, finalement non écoulée en friperie sur le marché africain, finit dans des décharges informelles à ciel ouvert ou dans des cours d'eau. De nombreux acteurs plaident ainsi pour une valorisation des vêtements usagés sur le territoire français. Mais leur recyclage "de fil à fil" reste pour le moment très limité, faute de process industriel efficace pour les textiles contenant de multiples matières.

Un soutien financier jugé insuffisant par la filière

Au-delà du modèle économique de la friperie exportée, les organismes de collecte comptent également sur la contribution des entreprises de textile pour assurer leur équilibre. Selon le principe du "pollueur payeur", ce sont en effet les fabricants et distributeurs de vêtements qui sont responsables de la fin de vie de leurs produits. Une contribution, autour de trois ou quatre centimes, est donc prélevée sur chaque article vendu pour financer la collecte et la valorisation.

Refashion, l'organisme qui collecte ces contributions, reverse ensuite aux acteurs de la filière du tri des vêtements une subvention qui s'élevait jusqu'ici à 156 euros la tonne. Une somme très largement insuffisante, selon Le Relais. Confrontée à des recettes qui s'érodent, la coopérative demande sa revalorisation à 304 euros. Refashion, de son côté, a formulé une proposition revalorisée à 192 euros par tonne de vêtements triés.

Le ton est alors monté avec le cofondateur du Relais, Pierre Duponchel. Ce dernier accuse l'organisme de vouloir "asphyxier la filière" de tri actuelle au profit des enseignes, qui ont parfois, comme Kiabi, lancé leur propre service de vente de vêtements de seconde main. Selon Pierre Duponchel, faute de changement, la coopérative risque de "s'écrouler" avant la fin de l'été. "Economiquement, ça ne tient plus. Dans deux mois, on dépose le bilan", renchérit Lionel Lefort, le directeur du Relais Creuse, auprès d'ICI Limousin. Et la casse sociale pourrait être majeure : la filière représente 3 000 emplois, dont 2 000 pour Le Relais.

Des actions coups de poing ont été menées dans toute la France

Des milliers de tee-shirts, de pantalons, de chemises, de robes de toutes les couleurs... Pour marquer sa contestation, Le Relais a déversé, mardi 15 juillet, des tonnes de vêtements devant plusieurs grandes enseignes et interrompu la collecte sur ses bornes. A Arras, dans le Pas-de-Calais, Le Relais a ainsi déversé 12 tonnes de vêtements devant un magasin Kiabi. Idem près de Rennes ou de Nancy. Au total, des actions similaires ont été menées dans "une quinzaine" de villes et devant d'autres enseignes, comme Decathlon et Okaïdi, a expliqué à l'AFP le président du Relais France, Emmanuel Pilloy.

Des vêtements déversés devant le Decathlon de Rennes, le 15 juillet 2025. (LE RELAIS)
Des vêtements déversés devant le Decathlon de Rennes, le 15 juillet 2025. (LE RELAIS)

"Le Relais rend aujourd'hui symboliquement les vêtements de la fast-fashion aux enseignes concernées" pour dénoncer "un système qui fait peser la charge environnementale et sociale sur les structures d'insertion", écrit le réseau dans un communiqué. La coopérative a également annoncé "une suspension totale de ses activités de collecte sur le territoire".

Le gouvernement annonce une hausse des subventions

Après ces actions, le ministère de la Transition écologique a annoncé, vendredi 18 juillet, un soutien de 49 millions d'euros, versé par l'éco-organisme Refashion en 2025 aux acteurs du tri de textiles, soit une hausse de 15 millions d'euros par rapport à 2024. Il ajoute prévoir pour 2026 un soutien "à hauteur de 57 millions d'euros". "L'objectif consiste à consolider l'économie de la collecte, du tri, du réemploi et du recyclage sur le territoire national tout en renforçant notre capacité de gestion des textiles usagés", précise la ministre Agnès Pannier-Runacher dans son courrier adressé aux acteurs de la filière.

Le montant versé par Refashion va ainsi passer de 156 euros la tonne à 223 euros. "C'est insuffisant, mais c'est une avancée", a commenté Emmanuel Pilloy, président du Relais. "On est ouvert à tout, explique-t-il, on veut avancer, c'est une question de survie."

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.