Reportage "Si on veut inciter à faire du vélo, il faut commencer jeune" : dans l'Eure, les enfants pédalent pour aller à l'école

Article rédigé par Robin Prudent - envoyé spécial au Manoir-sur-Seine (Eure)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La conductrice du "S'Cool bus", Céline Fichot, au Manoir-sur-Seine (Eure), le 11 septembre 2025. (PAULINE GAUER / HELOISE KROB / FRANCEINFO)
La conductrice du "S'Cool bus", Céline Fichot, au Manoir-sur-Seine (Eure), le 11 septembre 2025. (PAULINE GAUER / HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Notre série "En toute sobriété" met en avant des solutions locales pour réduire nos consommations et agir face à l'urgence climatique. Dans cet épisode, une communauté d'agglomération normande a mis en place un vélo-bus pour le ramassage scolaire des élèves de primaire.

"Est-ce que tout le monde est prêt ?" Céline Fichot donne un dernier coup d'œil derrière elle et un premier coup de pédale. En ce mois de septembre, la quadragénaire relance la tournée quotidienne du "S'Cool bus" au Manoir-sur-Seine. Comme tous les matins et toutes les fins d'après-midi de la semaine, la conductrice transporte huit élèves entre leur domicile et l'école primaire de ce village de l'Eure, en toute sobriété. Avec ce long vélo électrique, le ramassage scolaire est ainsi garanti sans émission de CO2... mais avec un peu de transpiration.

"J'adore le 'S'Cool bus' !", s'époumone Elyott, 9 ans, assis tout au fond de ce drôle de véhicule en bois, au retour de la journée d'école. Casque sur la tête et gilet de sécurité sur le dos, l'élève de CM1 pédale de toutes ses forces pour faire avancer le bolide jusqu'à sa maison, la dernière du parcours. Un bon moyen de lui mettre le pied à l'étrier, en toute sécurité. "J'aimerais tellement pouvoir venir à l'école à vélo tout seul plus tard", glisse-t-il en souriant.

Elyott rentre chez lui avec le SCool. Elyott rentre chez lui avec le SCool bus tandis que son ami Victor suit le convoi avec son propre vélo. (PAULINE GAUER / FRANCEINFO)

Quelques mètres derrière, Victor, 10 ans, suit le "S'Cool bus" avec son propre vélo. "Ça me permet de prendre l'air et de rentrer avec des copains", explique l'élève de CM2 en pédalant. Pari réussi pour la communauté d'agglomération Seine-Eure qui a mis en place ce ramassage scolaire pour donner un coup d'accélérateur aux mobilités douces. "Si on veut inciter les gens à faire du vélo, il faut commencer jeune, assure son président, Bernard Leroy. C'est pareil pour le tri sélectif. Ce sont les enfants qui poussent les parents à le faire ensuite !"

Des bâtons dans les roues

La route a été sinueuse avant d'arriver à faire rouler ces vélo-bus dans les petites villes de l'Eure. "En 2017, nous étions la première collectivité à mettre en place ce service", se félicite Marc Monnier, directeur des mobilités de l'agglomération. Mais cette innovation a entraîné son lot d'inquiétudes. "Il a fallu convaincre les parents qui se demandaient si c'était bien sécurisé", se remémore-t-il. A force de pédagogie, les premiers vélo-bus – qui étaient alors en métal – ont commencé à se déployer sur le territoire.

Marc Monnier, le directeur des mobilités de lagglomération. SCool bus

Mais un nouvel obstacle s'est dressé sur leur chemin. Ces véhicules, développés par des étudiants et dopés par un moteur puissant, se sont vu retirer leur homologation par les autorités après trois ans de service. "On a essayé de faire pression au niveau du ministère, mais cela n'a pas suffi", raconte Marc Monnier.

"Sans homologation, impossible d'avoir une assurance. Nous avons dû tout arrêter."

Marc Monnier, directeur des mobilités de l'agglomération Seine-Eure

à franceinfo

Les 450 enfants qui utilisaient ce service se sont retrouvés sur le carreau. Mais quelques années plus tard, un groupe d'ingénieurs est venu toquer à la porte de la collectivité. Ils ont entendu parler de cette première expérience avortée et veulent lancer une entreprise qui pourra fabriquer de nouveaux vélo-bus homologués. Le résultat se trouve dans le garage de la mairie du Manoir-sur-Seine : un long vélo électrique pouvant accueillir huit enfants et un conducteur."Il est fabriqué en France, avec du pin des Landes et pèse tout juste 200 kg", se réjouit Marc Monnier. Avec son moteur de 250 watts seulement, le véhicule obtient son homologation et commence à sillonner ce morceau de Normandie en avril 2023.

La sécurité comme principal frein

Derrière le guidon, Céline Fichot a pris ses petites habitudes. Pas de GPS, mais un plan de la tournée, avec le prénom et l'adresse de chaque élève. "On a un nouveau groupe d'enfants toutes les trois semaines", explique la quadragénaire. Qu'il vente ou qu'il pleuve, le vélo-bus fonctionne toute l'année. "On a simplement demandé à mettre des bâches pour la pluie", explique la conductrice, en inspectant la nouvelle installation.

La conductrice du Manoir-sur-Seine, Céline Fichot, teste son SCool bus avant de débuter sa tournée de ramassage scolaire.

A 16h30 précises, la cloche de l'école retentit et un petit groupe d'enfants se fraie un chemin vers l'arrêt de bus, tandis que les autres montent – pour la plupart – dans le véhicule de leurs parents. "La voiture reste centrale ici", constate le maire, Daniel Bayart, entre les pots d'échappement. En dehors des grandes agglomérations, 42% des enfants font le trajet entre leur domicile et l'école en voiture, selon une étude de l'Ademe, et seulement 4% à vélo.

"J'ai limité la vitesse à 30 km/h dans la commune pour espérer qu'ils roulent à 50… mais certains continuent de foncer à 80 !"

Daniel Bayart, maire du Manoir-sur-Seine

à franceinfo

Le premier frein à la pratique du vélo est toujours le même lorsque l'on interroge les parents d'élèves : la sécurité. "Les gens roulent trop vite ici, ça me fait peur", assure la mère de Lili. Dans l'Hexagone, moins de 10% des parents considèrent le vélo comme un mode de déplacement sûr pour leurs enfants, note l'Ademe. Le vélo-bus, lui, apparaît bien plus rassurant. Et cela se confirme dans les rues du village, où toutes les voitures ralentissent à sa vue. Seul accident à déplorer pour le moment : une perte de chaussure inopinée lors d'une tournée.

Au fil des arrêts du SCool bus, les parents, comme Jennifer, récupèrent leurs enfants directement à leur domicile.
Au fil des arrêts du SCool bus, les parents, comme Jennifer, récupèrent leurs enfants directement à leur domicile.

Reste que la ville ne compte toujours aucune piste cyclable. Une situation qui devrait bientôt changer. L'agglomération a prévu de doubler les aménagements pour les cyclistes dans les dix prochaines années, notamment au Manoir-sur-Seine. "Les premières pistes étaient surtout dédiées aux loisirs, mais désormais, ce sera plutôt dans les zones urbaines, pour le vélotaf", affirme Bernard Leroy. Le président de l'agglomération l'assure : "Il y a un vrai changement d'état d'esprit."

Un coup d'accélérateur en faveur du vélo

Depuis qu'il a fait son retour, le vélo-bus a conquis encore plus de petits et de grands. Une dizaine de ces drôles d'engins circulent à présent sur le territoire et plus de 600 enfants peuvent profiter du service une partie de l'année. "Une fois, j'ai vu un gamin engueuler sa maman parce qu'elle avait trop tardé à l'inscrire au 'S'Cool bus' et qu'il n'y avait plus de place", sourit le maire du Manoir-sur-Seine. 

"Tout le monde est heureux, les enfants, les parents et les enseignants parce que les élèves arrivent bien réveillés !"

Bernard Leroy, président de la communauté d'agglomération Seine-Eure

à franceinfo

Le succès est tel que de nombreuses collectivités se sont penchées sur le modèle normand. "Un maire près de Nancy est venu jusqu'ici pour voir les 'S'Cool Bus'", assure Daniel Bayart, avant d'ajouter, tout sourire : "Il m'a appelé la semaine dernière pour me dire que sa communauté de communes en avait acheté !" Cette réussite a aussi un prix pour la collectivité. Chaque vélo-bus coûte 18 000 euros à l'achat et les frais de fonctionnement – dont le salaire de la conductrice – s'élèvent à environ 20 000 euros par an. Les deux tiers sont pris en charge par l'agglomération et l'autre tiers par la commune. Pour les familles, le service est gratuit.

Leyla rentre chez elle au Manoir-sur-Seine après avoir pédalé pendant une quinzaine de minutes.

Au fil des années, les bénéfices se sont avérés encore plus nombreux qu'espéré. En plus de réduire la place de la voiture et la pollution de l'air, le vélo-bus favorise également l'activité physique. "L'année dernière, j'ai eu des courbatures, mais avec le moteur ça va", sourit Céline Fichot.

"Le sport a de vraies vertus pour la concentration à l'école, on ne l'avait pas identifié avant."

Marc Monnier, directeur des mobilités de l'agglomération Seine-Eure

à franceinfo

Les enfants apprennent aussi les règles de circulation. Ce jour-là, tous tendent le bras à gauche ou à droite au moment de tourner. Une fois habitués à pédaler avec le vélo-bus, ils n'auront plus qu'un pas à faire pour adopter le vélo au quotidien. A bord, tous en rêve, même Emma, 5 ans et demi, qui vient d'entrer au CP. "Elle adore aller à l'école sans maman et elle se fait de nouveaux copains, témoigne sa mère, devant le portail de la maison. Mais il va falloir attendre encore un peu pour le vélo toute seule quand même."

L'œil de l'expert

Photographie de Alexandre Joly

Aurélien Bigo

Chercheur sur la transition énergétique des transports

″Ce type d’initiatives présente plusieurs bénéfices. D’abord en termes de santé, alors que les enfants manquent souvent d’activité physique. Cela permet également d’améliorer leur concentration à l’école et leur autonomie. Les enfants instaurent aussi de bonnes habitudes d’un point de vue des mobilités en encourageant les parents à se mettre au vélo et à abandonner la voiture pour certains trajets.

Tout cela met l’accent sur le besoin d’aménagements cyclables pour accompagner cette transition. D’abord devant les écoles, pour que ce soit un espace plus sécurisé et plus agréable, avec moins de pollution et moins de bruit. Et plus globalement, pour encourager les collectivités à mettre en place un meilleur partage de la voirie, une réduction de la vitesse et une sécurisation adaptée pas seulement aux actifs qui vont au travail à vélo, mais aussi aux enfants.″


Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s'est réchauffée de 1,1°C(Nouvelle fenêtre) (Nouvelle fenêtre) (Nouvelle fenêtre). Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l'avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.