Enquête France 2 Comment des détenus détournent les coupons prépayés pour financer leurs achats en prison

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Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
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L'argent est rigoureusement interdit en prison. Mais vous allez découvrir qu’une monnaie clandestine, virtuelle, circule : les PCS.

Vous avez peut-être vu passer la publicité pour cette carte de paiement, à l'origine conçue pour les personnes en situation d'interdiction bancaire. La carte PCS (pour Prepaid Cash Services) ressemble à une carte de paiement classique, mais n'est rattachée à aucun compte bancaire.

Les cartes de paiement prépayées rechargeables (MyPCS.com)
Les cartes de paiement prépayées rechargeables (MyPCS.com)

Elle doit être rechargée pour être utilisée et notamment via des coupons recharge. Ceux-ci sont vendus dans les bureaux de tabac. Un code à dix chiffres contre de l'argent liquide. Un morceau de papier 100% virtuel, anonyme, intraçable. Mais surtout "non cessible ou transférable", ou du moins en théorie.

Coupon recharge PCS (L'Oeil du 20H)
Coupon recharge PCS (L'Oeil du 20H)

 

Dans les prisons françaises, les détenus ont bien compris l'intérêt de ces bons de recharge PCS. Ils en font eux-mêmes la promotion sur les réseaux sociaux. 

Les téléphones sont interdits en détention, mais nous avons pu échanger avec un détenu d'une maison d'arrêt d'Ile-de-France par messagerie cryptée. Il confirme que tout se monnaye en PCS : "Les coupons sont achetés à l'extérieur de la prison, au tabac, par des gens libres, des proches qui nous les envoient par téléphone. On récupère juste le code et on le refile ensuite à celui à qui on achète."

"Tous les échanges entre détenus se font en PCS. Y a pas de cash. Juste des PCS. C'est le plus pratique."

Un détenu d'une maison d'arrêt d'Ile-de-France

A "L'Œil du 20 heures"

"On se refile les codes à 10 chiffres par téléphone ou sur des bouts de papier pendant les promenades, ajoute-t-il. Contre de la bouffe, de la drogue, des cigarettes, des téléphones." Des coupons qui permettent même de racketter certains détenus : "Une personne qui a de l'argent, qui parle trop et qui s'en vante, on va la mettre à l'amende ”

Une "prolifération" impossible à tracer

Ivan Gombert, secrétaire national FO du syndicat des directeurs des services pénitentiaires, admet son impuissance : "On découvre ces petits coupons un peu partout dans les détentions de France. Mais on n'en fait rien, puisqu'on n'a pas les moyens de contrôler l'origine, qui a payé pour quoi. Ces coupons passent sous les radars."

Contacté, le ministère de la Justice admet une "prolifération" des coupons PCS en détention, mais elle est impossible, selon lui, à "tracer et à dénombrer". "La mise en place de quartiers de haute sécurité en détention a précisément pour objectif de lutter contre la criminalité organisée par une étanchéité totale entre l'intérieur et l'extérieur", précise Cédric Logelin, porte-parole du ministère.   

Comment réagit Creacard, le leader français des solutions de paiement prépayées face au détournement de ses produits ? Au téléphone, son directeur général, Philip Aim, se dit surpris : "Evidemment qu'on n'est pas au courant ! Ce que vous me dites m'interpelle au plus premier point puisque par définition tout cela n'est possible que parce que les détenus ont accès à un téléphone en prison. Parce que sinon cette discussion n'aurait pas lieu. En revanche, nos systèmes, aujourd'hui, s'améliorent de jour en jour et sont faits pour justement surveiller et contrôler toute utilisation frauduleuse ou suspicieuse de nos services.”

Quelque 1,5 million d'euros investis par l'Etat 

Même embarras du côté de l'Etat. Bpifrance, la banque publique d'investissement, a investi quelque 1,5 million d'euros dans Creacard, l'entreprise qui a créé les PCS. "La société Creacard ne nous a pas informés d'un usage détourné et illégal de son offre. S'ils étaient avérés, nous ne pourrions que dénoncer les faits répréhensibles que vous évoquez (...) et nous ne manquerons pas de prendre les décisions stratégiques qui s'imposeraient."

De son côté, la cellule de renseignement financier de Bercy, Tracfin, nous confirme enquêter sur les PCS, et notamment sur la situation financière des détenus.

PARMI NOS SOURCES

Vie en prison : droit de visite, accès au téléphone, réception d'argent, etc.

Argent et biens personnels, par l'Observatoire International des Prisons (OIP)

Opération “Prison Break” : une gigantesque fouille dans 66 prisons pour dénicher des téléphones portables spéciaux

L'entreprise CreaCard, émettrice des cartes et coupons PCS

L'entrée au capital de Creacard de BpiFrance en 2022

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