Petits aéroports : quand l'argent public profite surtout aux jets privés

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Article rédigé par France 2 - H. Puffeney, R. Degardin
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À l'heure où l'État cherche des économies, "L'Oeil du 20 Heures" s'est penché sur des petits aéroports français, presque vides. Certains n'ont plus de lignes, plus de compagnies, et survivent d'argent public. Résultat, ce sont les vols privés qui en profitent le plus.

La plupart des visiteurs venus dans la cité des Papes n'y ont sûrement pas prêté attention, mais Avignon est une ville desservie par des autoroutes, des TGV... et un aéroport international. Proche de l'autoroute A7, il dispose d'une grande piste, d'une tour de contrôle, et d'une aérogare. Passé la porte, le lieu est en parfait état, éclairé, propre, mais il n'y a personne. Lors de notre reportage, tout est à l'arrêt, les comptoirs sont vides, et les agences de location de voitures annoncées en ligne sont inexistantes.

Personne, non plus, ne vend de billets d'avion. Sur son site Internet, un message discret annonce la faillite de la dernière compagnie présente en Avignon. "Tous les vols Flybe sont annulés [...] et ne seront pas reprogrammés", nous indique-t-on. Cela dure depuis plus de deux ans.

"Les économies, on pourrait peut-être commencer par en faire là"

Le tarmac d'Avignon ne sert donc qu'aux ULM, aux écoles de pilotage et aux jets privés. Yves-Marie Cardine, de l'association Un-Adrac, fait partie de ces riverains contempteurs de l'aéroport. "(Ici) on a deux petits jets privés. Il y en a un qui est immatriculé en France. Ce ne sont pas des avions de ligne", relève-t-il ce matin-là.

L'autre appartient à un Américain multimilliardaire, patron d'un fonds d'investissement, qui repart à New York. Ces jets privés mobilisent donc des moyens publics : les contrôleurs aériens, les douaniers qui viennent en voiture, à la demande, et surtout des subventions car la plateforme ne survit que grâce à l'État et la région. L'an dernier, selon ses comptes annuels, le site avignonnais a touché 1,46 million d'euros au nom du maintien du service public. Ce qui irrite les opposants : "On demande de faire des économies, tout le temps, tous les jours dans les médias. Les économies, on pourrait peut-être commencer par en faire là. Ce serait pas une mauvaise idée", s'agace Frédérique Boyer, de l'association Un-Adrac.

Face aux critiques, Philippe Tabarot, ministre des transports, et ancien vice-président de la région Sud aux transports, n'a pas souhaité répondre. La région Sud nous renvoie elle vers Guillaume Desmarets, directeur de l'aéroport d'Avignon, qui défend la mission d'intérêt général de la plateforme. "On maintient un outil de service public qui est utile aujourd'hui à la population, dans la lutte contre les incendies, tout ce qui est transport d'organes, mise à disposition des moyens aéronautiques pour les armées", énumère-t-il. Avignon ne nous a communiqué aucune donnée précise, et aucun rapport n'est disponible en ligne. Mais selon des chiffres internes de 2022 que nous avons obtenus, ces vols représentaient moins de 5 % de son activité.

À Quimper, 306 vols de jets privés en un an

Avignon n'est pas le seul à survivre sans lignes ni compagnies, mais sous perfusion d'argent public. S'il n'existe pas de liste précise, nous en avons repéré plusieurs dans ce cas. Près de Saint-Etienne (Loire), l'aéroport d'Andrézieux reçoit cette année 1,27 million d'euros, soit presque la moitié de son budget.

Certains aéroports rouvrent même alors qu'ils n'ont pas de ligne. A Quimper, dans le Finistère, l'aéroport avait été fermé il y a deux ans, avec la fin de la ligne régulière avec Paris. Trop chère, pas assez rentable, l'aéroport est mis en faillite, les salariés licenciés. Depuis, il semble abandonné : l'aérogare est fermée, le parking condamné par des blocs de béton.

Pourtant, l'aéroport n'est pas mort. Une société publique a été recréée. Entre les dettes épongées, et les subventions, elle a touché près de 2,9 millions d'euros en trois ans. C'est Claire Desmares, élue écologiste au conseil régional de Bretagne, qui a repéré cette dépense en épluchant les documents officiels. Pour elle, le plan des gestionnaires profite surtout aux jets privés. "Ce projet sort de nulle part et il a avec une affiche claire : le tourisme d'affaires et donc l'atterrissage de jets privés, avec même un carré VIP qui est censé être créé pour l'occasion dans l'aéroport qui est un peu vétuste. On accorde des privilèges a des gens qui en ont déjà tant !", s'indigne-t-elle.

"Aucune pression" subie par les élus

De fait, cette piste leur est bien utile. En analysant des données techniques fournies à "L'Oeil du 20h" par l'opérateur FlightRadar, nous avons pu recenser, en un an, 306 vols de jets privés passés par Quimper. Parmi les usagers, des groupes locaux, comme l'industriel Bolloré, l'assureur Verlingue ou le voyagiste Michel Salaün, qui se sont d'ailleurs positionnés pour investir dans la société aéroportuaire.

Ont-ils fait pression sur les élus pour obtenir la réouverture de l'aéroport de Quimper ? La directrice de l'aéroport, Sandrine Blais, refuse de communiquer sur le sujet. La Région Bretagne, elle s'en défend. "Les élus du Conseil régional de Bretagne sont des élus responsables, qui ne subissent aucune pression. Par contre, nous savons qu'évidemment, pour pouvoir conserver des centres de décision en Bretagne, il faut avoir des infrastructures", explique Michaël Quernez, vice-président de la région aux mobilités.

Il espère aussi que le site, aujourd'hui utilisé par des vols sanitaires et militaires, pourrait bientôt servir à tout autre chose, avec l'installation de panneaux photovoltaïques. Une idée de plus pour rapporter de l'argent, et s'en tenir au cap prévu : faire de Quimper un aéroport rentable, sans subventions ni déficit, d'ici fin 2026.

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