Reportage "Je travaille de la même façon qu'avant" : dix ans après les attentats de "Charlie Hebdo", comment l'art de la caricature est enseigné en classe

Les attentats contre la rédaction de "Charlie Hebdo", le 7 janvier 2015, et l'assassinat du professeur Samuel Paty, en 2020, ont laissé des traces chez les enseignants, particulièrement sur la façon dont ils parlent de laïcité et de liberté d'expression à leurs élèves.

Article rédigé par franceinfo
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Des élèves dans une classe d'une lycée, le 5 septembre 2024. Image d'illustration. (LOIC VENANCE / AFP)
Des élèves dans une classe d'une lycée, le 5 septembre 2024. Image d'illustration. (LOIC VENANCE / AFP)

Dix ans après les attentats de Charlie Hebdo, comment parler de caricatures et de laïcité aujourd'hui avec les plus jeunes ? Est-ce que les enseignants prennent plus de précautions qu'avant ? L'assassinat de Samuel Paty en 2020 par un terroriste, après avoir montré des caricatures du prophète publiées par Charlie Hebdo, a été un traumatisme pour toute la communauté enseignante.

Pour autant la caricature est toujours un objet d'études dans les établissements scolaires, comme dans cette classe de première, pendant un cours d'histoire. Le cours démarre avec des caricatures anciennes, notamment de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. L'idée est déjà de montrer que le principe de la caricature existe depuis longtemps et que parfois les dessins étaient bien plus violents qu'aujourd'hui.

"Ça drôle un peu l'irrespect"

"La pieuvre cléricale, qu'est-ce que ça veut dire ?", interroge l'enseignante d'histoire-géographie devant sa classe. Parmi les nombreux dessins qu'elle a sélectionnés, elle montre aussi deux couvertures du journal Charlie Hebdo. "Comment vous les trouvez ?", lance l'enseignante. "On voit les trois religions, un chrétien, un juif et un musulman, et les trois disent : 'Il faut voiler Charlie Hebdo'", décrit un élève.

La professeure aide les jeunes à décrypter la caricature, comprendre le sous-texte, l'implicite : "Est-ce que ça critique les croyants pour ce qu'ils sont eux-mêmes ? Non. Est-ce qu'il y a des dessins que vous n'avez pas trouvé beaux, ou qui vous dérangent ?" 

À cette question, plusieurs élèves lèvent le doigt, comme cette jeune fille, qui a apporté de chez elle une caricature de Jésus, dessiné avec un sexe sur la tête, pour évoquer la pédophilie dans l'Eglise. "Je trouve ça super choquant, estime-t-elle. Moi ça ne m'offense pas, mais je sais que ça peut offenser plein de personnes. Ça frôle un peu l'irrespect. Ils se cachent beaucoup derrière la liberté d'expression."

Expliquer les nuances

Justement, quelles sont les limites à cette liberté d'expression ? Jusqu'où peut-on aller dans la caricature, la moquerie ? À partir de quand tombe-t-on dans le délit ? L'enseignante prend le temps d'expliquer ces nuances sensibles mais ô combien importantes. "Vous avez le droit de ne pas aimer certains dessins, de les trouver laids ou choquants. En revanche, tant qu'un dessin ne franchit pas le cap de la loi, il peut exister", nuance-t-elle.

"Lorsque le contenu est passible de poursuites pénales, là, c'est autre chose, on n'est pas dans la liberté d'expression, on est dans le délit."

Une enseignante

devant sa classe

Après les attentats de Charlie Hebdo, après l'assassinat de Samuel Paty, qui avait montré des caricatures en cours, est-ce qu'il y a des craintes à présenter aux élèves ce type de dessins, y compris de l'hebdomadaire satirique ? L'enseignante veut rester sereine. "On est vigilant, pour être certain que ce qu'on explique est bien compris et n'est pas interprété de travers, explique-t-elle. Et je travaille de la même façon qu'avant, mais je m'assure que les élèves ont bien compris ce que j'ai expliqué."

Une attitude pas forcément partagée par tous les enseignants, certains craignent aujourd'hui de montrer des caricatures de personnages religieux et vont parfois jusqu'à l'autocensure.

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