Nationaliser ArcelorMittal ? On vous explique le débat autour de la proposition à laquelle Emmanuel Macron s'est opposé

Article rédigé par Eloïse Bartoli, Paolo Philippe
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Des élus communistes réclament une nationalisation d'ArcelorMittal, le 13 mai 2025, lors d'une manifestation à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). (DANIEL PERRON / AFP)
Des élus communistes réclament une nationalisation d'ArcelorMittal, le 13 mai 2025, lors d'une manifestation à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). (DANIEL PERRON / AFP)

Les partis de gauche et des syndicats appellent l'Etat à intervenir, alors que le géant de la sidérurgie a récemment annoncé un plan de suppression de plus de 600 postes en France.

Pour Emmanuel Macron, c'est non. Interrogé par Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, sur la nationalisation d'ArcelorMittal, qui a récemment annoncé un plan de suppression de 636 postes en France, le président de la République a écarté toute intervention de l'Etat, arguant que ce serait "dépenser des milliards d'euros" et "mentir aux gens de leur dire que la nationalisation est le remède". "La réponse, ça n'est pas nationaliser [mais] avoir des garanties de développement", a aussi justifié le chef de l'Etat, mardi 13 mai, lors de son interview fleuve sur TF1, promettant de "sauver" les sites de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et Dunkerque (Nord), concerné par la moitié du plan du sidérurgiste.

Si la position d'Emmanuel Macron n'est pas surprenante – le ministre de l'Industrie, Marc Ferracci, répète depuis deux semaines que l'Etat n'interviendra pas dans le dossier – sa réponse était attendue et scrutée tant la proposition de nationaliser des sites français d'ArcelorMittal est devenue éminemment politique : elle est réclamée par les partis de gauche, certains syndicats, des élus locaux de plusieurs bords politiques ou encore Bruno Le Maire. L'ancien ministre de l'Economie a récemment estimé, lors d'une audition au Sénat, qu'il fallait "tout" faire pour sauver ArcelorMittal à Dunkerque, n'excluant pas une nationalisation "temporaire" en "dernier recours".

Une proposition de loi sur la table

Les partis de gauche réclament eux d'aller encore plus loin et demandent une intervention de l'Etat, sous la forme d'une nationalisation temporaire ou durable du deuxième producteur mondial d'acier, qui possède sept usines en France. Le groupe La France insoumise à l'Assemblée nationale a même déposé une proposition de loi de nationalisation d'ArcelorMittal. Le texte, que franceinfo a pu consulter, évoque une nationalisation temporaire afin de garantir l'avenir de la filière sidérurgique française.

"Cette nationalisation est constitutionnellement possible puisqu'il s'agit d'un actif stratégique en danger et qu'il n'existe pas d'autres solutions possibles", plaide Aurélie Trouvé, la députée LFI à l'origine du texte. Cette proposition a notamment les faveurs de la CGT, qui préconise aussi cette mesure afin de sauvegarder l'emploi des 15 000 salariés du groupe en France et préserver la "souveraineté" de la France dans la production d'acier, un bien plus qu'essentiel pour l'industrie.

La centrale syndicale craint que le groupe luxembourgeois, détenu par l'homme d'affaires indien Lakshmi Mittal, abandonne ses sites en France, jugés moins rentables que d'autres sites dans le monde, notamment en Inde et au Brésil. "La stratégie de Mittal, c'est de se désengager de l'Europe", estime Gaëtan Lecocq, secrétaire général de la CGT d'ArcelorMittal Dunkerque, qui voit dans ce plan de suppression de plus de 600 postes une "première saignée".

Le groupe affirme de son côté vouloir regagner en compétitivité dans un contexte "de crise de l'acier en Europe" pour justifier ce plan et invoque la concurrence chinoise, l'augmentation des prix de l'énergie depuis la guerre en Ukraine et les récents droits de douane américains sur l'acier et l'aluminium. Un contexte que personne ne nie, mais qui ne doit pas faire oublier le manque d'investissement et la bonne santé du groupe – il a réalisé un bénéfice net de 718 millions d'euros au premier trimestre 2025.

Des exemples récents en Europe

Mais si plusieurs voix en appellent à l'Etat pour sauver l'emploi chez ArcelorMittal, les contours d'une éventuelle nationalisation demeurent encore flous. "Il y a en réalité différentes manières de réaliser une nationalisation, qui revient à prendre le contrôle d'une entreprise et remplacer sa gouvernance privée par une autre publique, explique l'économiste Nadine Levratto, chercheuse au CNRS et spécialiste de l'industrie. On peut exproprier un propriétaire et le dédommager, comme ce fut le cas lors des grandes lois de nationalisation lors de l'arrivée de François Miterrand au pouvoir [en 1981]. Mais il y a aussi l'option d'une offre publique d'achat (OPA), qui coûte relativement cher, ou une reprise temporaire d'un site."

En 2024, l'Etat italien a ainsi mis sous tutelle l'aciérie d'ArcelorMittal à Tarente, qui pourrait prochainement passer sous pavillon azerbaïdjanais. Le Parlement britannique a lui adopté, mi-avril, une loi en urgence afin de permettre au gouvernement de prendre le contrôle des deux derniers hauts fourneaux du pays, menacés de fermeture imminente par leur propriétaire chinois. La décision a entraîné l'abandon du plan de licenciements du sidérurgiste British Steel, qui concernait près de 2­ 700 emplois, et relancé l'hypothèse d'une nationalisation outre-Manche, donnant quelques idées en France. "Le cas du Royaume-Uni tout comme celui de l'Italie sont des exemples d'interventionnisme en Europe et prouvent qu'il y a une question de volonté politique", veut croire la syndicaliste Virginie Neumayer, en charge de la question industrielle à la CGT.

Pas de consensus

Si une nationalisation semble faisable, comme le prouve la prise de contrôle d'EDF par l'Etat en 2023, le coût de cette action apparaît difficile à établir. "Si on peut imaginer que l'Etat reprenne seulement la partie française, qui est structurée sous une forme de filiale du groupe ArcelorMittal, le coût de cette opération est dépendant du type d'opération de reprise", avance Nadine Levratto. La CGT estime que l'achat des sites français coûterait entre 500 millions et 1 milliard d'euros, avant des investissements estimés à 1,7 milliard d'euros pour décarboner certains sites. "Nous sommes en train de chiffrer le financement d'une nationalisation : le coût serait de 2 à 8 milliards d'euros, ce qui correspond aux indemnisations que l'Etat devrait verser à ArcelorMittal", fait valoir Aurélie Trouvé.

Si la mesure ne fait pas consensus dans la classe politique, notamment au centre ou à droite (le Rassemblement national s'y est dit ouvert), elle n'a pas non plus les faveurs de tous les syndicats chez ArcelorMittal. Pour la CFE-CGC, qui représente les cadres, la nationalisation "n'est pas la bonne solution". "L'enjeu pour nous, c'est d'investir dans de nouveaux outils qui émettent moins", estime Xavier Le Coq, coordinateur du syndicat. La CFDT, elle, par la voix de sa secrétaire générale Marylise Léon, s'est dit ouverte à une nationalisation, mais appelle "d'abord l'entreprise à rendre des comptes et à expliquer quelle est sa stratégie".

Fin 2024, le groupe luxembourgeois a mis sur pause son grand projet de décarbonation du site de Dunkerque, en estimant que l'acier produit en Europe n'était pas assez compétitif. Le coût est estimé à 1,8 milliard d'euros dont plus de 800 millions d'euros d'aide de l'Etat. Alors que des négociations sont en cours avec la Commission européenne, le gouvernement estime que relancer ce projet est plus prioritaire que nationaliser. "L'enjeu aujourd'hui, c'est de faire en sorte qu'Arcelor investisse sur le site de Dunkerque et sur les autres sites, notamment dans la décarbonisation", avait notamment expliqué le ministre de l'Industrie sur BFMTV.

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