Enquête Blanchiment de fraude fiscale : le Crédit agricole convoqué devant la justice

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Le logo du Crédit Agricole Corporate and Investment Bank sur une tour de la Défense, près de Paris. (ERIC PIERMONT / AFP)
Le logo du Crédit Agricole Corporate and Investment Bank sur une tour de la Défense, près de Paris. (ERIC PIERMONT / AFP)

Lundi 8 septembre, le Crédit agricole comparaîtra au tribunal judiciaire de Paris en vue d’une transaction avec l’Etat dans une affaire fiscale. Selon la cellule investigation de Radio France, il s’agit de l’affaire dite des "CumCum", qui a fait perdre plusieurs milliards au fisc français.

"CumCum" veut dire en latin "avec avec" mais la bonne version serait plutôt "gagnant-gagnant". Des "CumCum" ce sont des montages financiers qui ont fait perdre des milliards d'euros aux finances publiques européennes. En 2018, le consortium de journalistes Correctiv révèle ce mécanisme dit des "Cum Files", qualifié alors de "casse du siècle". Quelque 150 milliards d'euros échappent ainsi aux fiscs européens dont 33 milliards aux finances publiques françaises, selon une étude de l'université de Mannheim contestée par les banques.

En effet, il s'agit d'un habile tour de passe-passe dans lequel les actifs financiers changent de main juste avant le versement des dividendes pour mieux revenir ensuite à leur propriétaire initial. Certains actionnaires étrangers évitent ainsi de payer la taxe qu'ils doivent normalement à l'Etat français et les intermédiaires comme les banques prennent au passage un joli pourcentage sur le montant de la transaction pour l'ingéniosité de leurs services financiers. Tout le monde est gagnant sauf le fisc. Le Parquet national financier ouvre en 2021 une enquête pour blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée.

Se faire rembourser un impôt... qui n'a pas été payé

Plusieurs Etats européens, les Pays Bas, le Danemark, la Belgique ont déjà compris la manœuvre, tout comme l'Allemagne et ont légiféré pour y mettre fin. Il faut dire qu'outre-Rhin, 1 700 personnes, dont des banquiers, des avocats fiscalistes, des traders, sont mises en cause dans plusieurs procès pour des montages encore plus frauduleux.

Cette fois, non seulement certains investisseurs ne payaient pas de taxe sur les dividendes qu'ils touchaient, mais en plus ils se faisaient rembourser par le fisc allemand, un impôt qu'ils n'avaient même pas payé. Dès 2013, la procureure de Cologne, Anne Brorhilker, découvre le pot aux roses et alerte ses homologues européens sur ces montages internationaux. Les parquets financiers vont alors collaborer afin de retracer les transactions et les établissements bancaires et financiers qui permettent le contournement de l'impôt de leur pays.

Le 28 mars 2023, une centaine d'enquêteurs français et allemands font ainsi conjointement des perquisitions remarquées auprès de cinq banques françaises : BNP Paribas et sa filiale Exane, la Société générale, Natixis et HSCB.

Cinq banques françaises ont été perquisitionnées le 28 mars 2023 dans cette affaire des "CumCum". (BRUNO DE HOGUES / GETTY IMAGES)
Cinq banques françaises ont été perquisitionnées le 28 mars 2023 dans cette affaire des "CumCum". (BRUNO DE HOGUES / GETTY IMAGES)

Plusieurs sources confirment à la cellule investigation de Radio France qu'à l'époque le Crédit agricole a évité les perquisitions parce qu'il était déjà dans une démarche plus collaborative. L'audience de ce lundi 8 septembre est prévue dans le cadre d'une convention judiciaire d'intérêt public, un outil créé par la loi Sapin 2 en 2016 afin de négocier une transaction financière avec l'Etat pour mettre fin à l'action publique contre les personnes morales mises en cause notamment dans des affaires fiscales.

On ignore encore le montant de cette transaction, mais d'après Bloomberg, le Crédit agricole avait déjà accepté un accord avec le fisc d'un montant de 35 millions d'euros dans le cadre des procédures de redressement fiscal également lancées par Bercy à propos des "CumCum".

"Ces montages n'ont pas d'autre but que de contourner l'impôt"

En effet, dès 2017 avant les enquêtes journalistiques et judiciaires, les vérificateurs du fisc avaient commencé à contrôler ces pics de transactions, juste avant les versements des dividendes des entreprises du CAC 40. Lors d'une conférence de presse, le 24 juillet 2025, le ministre de l'Economie, Eric Lombard a expliqué que les "CumCum" étaient une fraude et que ses services avaient notifiés pour 4,5 milliards de redressement fiscal contre plusieurs établissements bancaires et financiers.

"Ces redressements ont été notifiés mais pas encaissés", a reconnu Eric Lombard. En effet, la plupart des banques contestent devant la justice administrative leurs redressements fiscaux. Du côté de la Fédération bancaire française, on explique que ces transactions n'ont rien de frauduleux, qu'elles sont en fait des pratiques tout à fait légales de prêt emprunt de titres et de vente à découvert qui permettent de fluidifier les marchés financiers et ainsi aux entreprises de trouver des investisseurs.

Sauf que plusieurs sources interrogées par la cellule investigation de Radio France mettent en cause cette version des faits. "Ces montages n'ont pas d'autre but que de contourner l'impôt", explique un ancien salarié d'une banque française faisant l'objet d'une enquête. L'enjeu est donc de savoir s'il y a abus de droit ou si ces transactions se faisaient pour de bonnes raisons économiques plutôt qu'uniquement fiscales.


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