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"On doit faire le tri dans les dossiers, on n'a plus le choix" : le ras-le-bol des magistrats face au manque de moyens de la Justice

Dénonçant leurs conditions de travail à travers un mouvement inédit, des tribunaux calculent le nombre de juges pour fonctionner normalement. Ils réclament un tiers de magistrats en plus en moyenne.

Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2min
Entre 22% et 37,5% des audiences sont nocturnes, d'aprĂšs un questionnaire adressĂ© aux magistrats de plus de 50 juridictions, selon les syndicats SM et USM. (MAXPPP)
Entre 22% et 37,5% des audiences sont nocturnes, d'aprÚs un questionnaire adressé aux magistrats de plus de 50 juridictions, selon les syndicats SM et USM. (MAXPPP)

C'était il y a trois mois, en novembre 2021 : le cri d'alarme - à travers une tribune dans le journal Le Monde - de 3000 magistrats usés et inquiets pour la qualité de leur travail. Ils sont maintenant 9000 à l'avoir paraphée. Pressé d'agir, le ministÚre de la Justice a accéléré son vaste chantier d'évaluation de la charge de travail des magistrats.

Sans attendre, la Conférence nationale des présidents de tribunaux a, elle, révélé ses propres calculs, le 16 février, et estime qu'il faudrait 35 % de juges supplémentaires pour que les juridictions fonctionnent normalement, soit le besoin impérieux de 1500 magistrats supplémentaires. Peu habituée à la mobilisation, la profession tente malgré tout de trouver des moyens d'actions ces derniÚres semaines pour maintenir la pression.

>> Malaise dans le monde de la justice : les jeunes magistrats en premiÚre ligne

Ici et là, des magistrats décident ainsi de ne plus effectuer certaines tùches. L'administratif, la statistique sont par exemple sacrifiés. Mais des audiences le sont aussi.

"Comme des médecins urgentistes qui doivent faire le tri parfois entre les patients, nous aussi on doit faire le tri entre les dossiers."

Jérémy Forst

Ă  franceinfo

"Ça aboutit Ă  des renvois d'audience, par exemple des dĂ©lits routiers, parce qu'on fait le choix d'assurer les urgences aux affaires familiales. Supprimer du pĂ©nal parce qu'on fait le choix de se concentrer sur les mineurs en danger. On n'a plus le choix !" dĂ©nonce JĂ©rĂ©my Forst, juge Ă  Pau oĂč quatre juges manquent depuis des mois.

À Nanterre et Ă  Lille, les magistrats ont votĂ© des listes de tĂąches que la juridiction est contrainte d'abandonner. Un mode d'action inspirĂ© des surveillants de prison qui y font valoir parfois une "impossibilitĂ© de faire". Dans plusieurs tribunaux, les juges ont aussi dĂ©crĂ©tĂ© la fin des audiences au-delĂ  de 21 heures.

Des magistrats et des victimes "maltraitées"

"Pendant longtemps, les magistrats ont considĂ©rĂ© qu'il y avait une sorte d'honneur Ă  se sacrifier. Ce n'est plus possible, selon Maximin Sanson, magistrat Ă  Bobigny.  Ce n'est pas tant les magistrats qu'on maltraite en jugeant à deux heures du matin, c'est le justiciable lui-mĂȘme, c'est la victime. Tout le monde attend. La derniĂšre fois, une victime de violences conjugales avait un enfant qui Ă©tait en train de dormir sur un banc. Elle est passĂ©e presque Ă  minuit. C'est des choses qu'on ne voulait plus voir. C'est complĂštement grotesque." 

Deux syndicats et deux associations de magistrats ont déposé début février 2022 une plainte contre la France auprÚs de l'Union européenne pour dénoncer la "violation permanente des rÚgles de temps de travail dans leur profession."

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