"J'ai plutôt des refus d'arrêt de travail que des abus", affirme la présidente de la Fédération des médecins de France

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Patricia Lefébure était invitée du "11/13" sur franceinfo, mardi, au côté de Frédéric Bizard, professeur d'économie à l'ESCP et président de l'Institut Santé.

Parmi les pistes du gouvernement pour rééquilibrer les comptes publics : durcir la prise en charge des arrêts de travail(Nouvelle fenêtre). Cette idée correspond-elle pour autant à la réalité sur le terrain ? Patricia Lefébure, médecin généraliste et présidente de la Fédération des Médecins de France, et Frédéric Bizard, professeur d'économie à l'ESCP et président de l'Institut Santé, étaient les invités du 11/13 sur franceinfo, mardi 22 juillet, pour évoquer cette question.

Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

Franceinfo : Les arrêts de travail qui coûtent 20 milliards d'euros à l'heure où le gouvernement cherche à faire 44 milliards d'économies. Ça interpelle ?

Frédéric Bizard : Bien sûr que ça interpelle. Dans les 20 milliards, il y a 12 milliards qui sont liés aux arrêts-maladies et le reste, ce sont des arrêts liés aux grossesses et aux accidents du travail. Donc, si on s'intéresse aux arrêts-maladies, il faut bien voir que le déterminant principal de la hausse en valeur de ces dépenses, ce sont des bonnes causes. La première, c'est qu'il y a une forte hausse des salaires de 2021 à 2023 pour couvrir le pic inflationniste : 16% de hausse du smic. La deuxième raison, c'est qu'on a créé 1 600 000 emplois supplémentaires de 2021 à 2023. Ces deux phénomènes-là représentent deux tiers des causes de la hausse des dépenses. 

Et puis il y a de mauvaises raisons. Premièrement, une raison de santé publique. Ce n'est pas le problème du vieillissement qui entraîne les dépenses de santé, c'est la morbidité. Donc, si le vieillissement est en bonne santé, ce qui devrait être le cas jusqu'à 70 ans, comme dans les pays nordiques, il y aurait assez peu d'impact du vieillissement sur les actifs. Deuxièmement, les conditions de travail. Vous avez trois jours d'absentéisme dans la banque et vous en avez 11 à l'hôpital.

Le dernier point, c'est qu'il faut remettre un peu d'ordre dans le fonctionnement de ces arrêts-maladies. Comment est-ce qu'on les donne ? Est-ce qu'on va continuer toujours avec des arrêts sur papier ? Je pense que c'est un souci. Il faut numériser tout ça pour qu'on puisse avoir un meilleur contrôle. Par ailleurs, qui doit les financer ? C'est la mission première de l'Assurance-maladie. C'est la notion de salaire différé, c'est-à-dire que vous cotisez pour que, quand vous n'êtes plus en état de travailler, vous puissiez avoir un revenu de substitution. Mais est-ce que ça doit être l'Assurance-maladie plus la mutuelle ? Je pense qu'il faut clarifier.

Le gouvernement souhaite rallonger le délai de carence pour les arrêts de travail. Certains laissent entendre que les salariés abuseraient. Quelle est la réalité ?

Patricia Lefébure : On entend ça tout le temps, effectivement. De notre côté, les gens n'abusent pas. J'ai plutôt souvent des refus d'arrêt de travail que je propose, plutôt que des abus. Après, je ne peux pas dire que personne n'abuse : si le patient me dit qu'il a des douleurs, je le crois.

Mais le problème ne réside pas là. Le problème réside dans ce qu'a développé Frédéric Bizard, mais aussi dans les délais que nous avons pour obtenir des avis de médecins du travail, par exemple. Avant, on pouvait en avoir dans les dix jours. Maintenant, il faut parfois attendre deux mois pour avoir un avis pour une réorientation dans un poste, pour avoir des examens complémentaires aussi, ou pour avoir un avis spécialisé. Je ne peux pas remettre quelqu'un sur un chantier si je ne sais pas dans quel état est son genou, par exemple. Ce sont des choses qui, petit à petit, s'accumulent et qui ne font qu'ajouter à la morbidité, c'est-à-dire aux maladies des patients qui commencent à devenir âgés, qui ont du mal à travailler physiquement.

Est-ce que vous ressentez qu'il y a aussi une forme d'usure au travail, une forme de perte de sens du travail ?

Patricia Lefébure : Dans certaines situations, oui. Il y a des gens qui sont ravis d'être au travail. Evidemment, on ne peut pas se cacher non plus qu'il y a beaucoup de souffrance au travail et que ça fait partie des arrêts de travail les plus longs, parce que les plus complexes. Ce sont des gens qui, chez eux, vont très bien. Et dès qu'on les remet dans l'ambiance du travail, du poste auquel ils sont affectés, de nouveau, font des décompensations psychologiques, psychiatriques. Même jusqu'à avoir des idées suicidaires.

Ce n'est pas juste : "Je ne me sens pas bien quand je vais au travail." Non, c'est : "J'ai des pertes de poids, je ne mange plus, je stresse, je ne dors plus la nuit..." Ces personnes peuvent travailler, mais pas dans l'emploi dans lequel ils sont. Et ça, le médecin traitant, qu'on accuse de tout, n'y peut rien. Il nous faut l'aide du médecin du travail.

Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

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