"C'est un outil de fluidification du travail" : faut-il revoir le dispositif des ruptures conventionnelles, pour réaliser des économies ?
Lorsqu'il était encore Premier ministre, François Bayrou jugeait le système de ruptures conventionnelles trop coûteux pour l'Assurance chômage. Malgré sa démission début septembre, le dispositif est toujours dans le viseur de son successeur, Sébastien Lecornu.
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En plus du licenciement et de la démission, il existe une troisième voie pour mettre fin à un CDI : la rupture collective. Ce dispositif permet de rompre un contrat de travail à l'amiable. Le salarié part avec une indemnité versée par l'entreprise et, contrairement à la démission, il a ensuite droit au chômage. Depuis sa création en 2008, la rupture collective séduit de plus en plus : il y en a 500 000 par an depuis 2022.
Des atouts qui ont convaincu Aurélien, 43 ans, père de deux enfants. Cet ancien salarié dans une grande école parisienne s'est lancé dans une formation de menuisier. "Dans mon ancien travail, je gagnais 2 500, 2 600 euros. En apprentissage, je suis passé au SMIC, à presque 1 300 euros, explique-t-il. Je perdais au moins 50% de mon salaire, mais j'avais un complément en étant inscrit à France Travail. Donc la rupture conventionnelle m'a permis de construire un projet pro et perso un peu sereinement."
Un dispositif de plus en plus utilisé
Loin de remplacer les licenciements et les démissions, qui restent bien plus élevés - près de deux millions de salariés ont démissionné l'an dernier -, la rupture conventionnelle individuelle tient une place importante dans la vie des Français et des entreprises. L'exemple d'Aurélien est typique, selon Benoît Serre, coprésident du Cercle Humania, premier centre de réflexion sur les ressources humaines, ancien vice-président de l'Association nationale des directeurs de ressources humaines.
"Aujourd'hui, plus que jamais dans les entreprises vous avez des individus qui voudraient changer de métier, vous avez des entreprises qui ont besoin de transformer et donc la rupture conventionnelle individuelle est un outil plutôt intelligent", résume Benoît Serre. Pour lui, si ce dispositif est autant utilisé, c'est "probablement parce qu'il répondait à un vrai besoin", précisant qu'il "permet à deux personnes, une personne morale, l'entreprise, et une personne physique, l'individu, qui veulent se séparer, de le faire intelligemment et sans conflit".
"Il faut bien comprendre que c'est l'intérêt de l'entreprise mais aussi l'intérêt de l'individu."
Benoît Serre, coprésident du Cercle Humaniaà franceinfo
C'est pourquoi Benoît Serre ne comprend pas la volonté du gouvernement de durcir le taux de contribution patronale. En 2023, cette taxation était déjà passée de 20 à 30% dans le cadre des ruptures conventionnelles. Avant de devoir démissionner, François Bayrou avait également proposé d'augmenter cette contribution jusqu'à 40%, une mesure censée contribuer à l'équilibre du budget 2026. "Je trouve que remettre de la difficulté à la mise en place de la rupture conventionnelle individuelle, c'est reconflictualiser les relations dans le travail", analyse le spécialiste des ressources humaines.
Reste qu'on ne peut pas faire abstraction de cette question budgétaire actuelle, face à la hausse du nombre de ruptures conventionnelles. Le gouvernement veut restreindre les conditions pour des raisons financières. Le dispositif coûte notamment 10 milliards d'euros d'indemnités à l'Assurance chômage. Le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, réfléchit donc lui aussi à augmenter la taxe versée par les chefs d'entreprise quand ils signent une rupture conventionnelle. Mais dans une telle situation, "les grandes entreprises auront toujours accès à cet outil et les PME, TPE ne pourront plus le faire", critique Benoît Serre.
"Je n'ai pas l'impression d'abuser"
C'est pour cette raison que de nombreux patrons s'opposent à cette mesure, comme Catherine Guerniou. Elle dirige La Fenêtrière, un petit atelier de construction de fenêtres en Île-de-France. "Nous avons eu, il y a un an et demi, une rupture conventionnelle à la demande d'un collaborateur", relate la chef d'entreprise. Elle a dû payer 5 000 euros pour la rupture conventionnelle et 5 000 supplémentaires pour le recrutement. "10 000 euros sur un résultat de 54 000 euros sur 2024, ce n'est pas négligeable, grimace-t-elle. Si c'est pour augmenter le coût de l'indemnisation, ça va encore nous coûter plus cher. Donc je suis contre."
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Une autre piste possible pour le gouvernement, ce serait de réduire la durée d'indemnisation pour les salariés. Le gouvernement démissionnaire dénonce d'ailleurs des abus d'anciens salariés qui mettent trop de temps avant de retourner au travail. Mais difficile d'établir à partir de quand commencent les "abus". Aurélien vient par exemple de passer un an au chômage après sa formation, le temps de quitter Paris pour s'installer dans le Gard et n'a pas l'impression d'abuser. "J'ai commencé à travailler, j'avais 21 ans, je me suis retrouvé au chômage à 40 ans, précise-t-il. J'ai cotisé pendant 19 ans donc je n'ai pas l'impression d'abuser".
"Aujourd'hui, je suis en train de monter ma structure. Je vais pouvoir enfin générer mon propre revenu et ne plus dépendre de l'allocation de France Travail."
Aurélien, menuisierà franceinfo
Benoît Serre admet qu'il peut y avoir des abus à la suite d'une rupture conventionnelle. "Je trouve que depuis quelque temps, on a tendance à légiférer sur la base des abus. C'est-à-dire qu'on va créer une problématique pour des tas de gens qui n'abusent pas. Encore une fois, c'est un outil de fluidification du travail", s'agace-t-il. Et pour lui, le cas d'Aurélien est loin d'être problématique : "Sa situation, c'est exactement le reflet de ce que j'observe, c'est-à-dire des gens avec un système de fluidification, d'individualisation du travail beaucoup plus fort".
Un "outil de compensation" essentiel ?
Plus globalement, Benoît Serre estime que si les conventions collectives existent en France, c'est avant tout "parce que notre modèle de transformation des entreprises ou de changement des métiers est beaucoup plus complexe et plus long que dans les autres pays". Pour lui, il s'agit d'un "outil de compensation". Rendre moins accessible ce dispositif aurait même un effet contre-productif poursuit-il : "Il y a le fameux barème Macron qui limite vos indemnités de licenciement, la seule manière d'en sortir, c'est le harcèlement. Si vous supprimez la rupture conventionnelle individuelle, les gens qui cherchent à se faire licencier vont essayer de prouver du harcèlement pour augmenter leurs indemnités."
"Tout ça crée du conflit et des effets pervers. Et bien sûr, on n'a pas besoin de créer du conflit dans le travail."
Benoît Serre, coprésident du Cercle Humaniaà franceinfo
La rupture conventionnelle est aussi expérimentée depuis 2020 et jusqu'en décembre dans le secteur public. Le prochain gouvernement devra décider de pérenniser cet outil ou non en 2026. Et les syndicats se méfient puisqu'ils redoutent que l'Etat ne se serve de ce système pour supprimer des postes de fonctionnaires. Aujourd'hui, entreprises et syndicats se retrouvent finalement main dans la main contre l'Etat pour s'opposer à de potentielles restrictions sur ce dispositif. "C'est d'autant plus cocasse que lorsque la rupture conventionnelle individuelle a été mise en place, la plupart des syndicats étaient contre", rappelle d'ailleurs Benoît Serre.
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