Colère des agriculteurs : les manifestants bénéficient d'une "longue tradition" de "bienveillance" des autorités, pointe un sociologue
La tolérance affichée par les politiques et les forces de l'ordre face aux actions des agriculteurs s'explique notamment, pour Bertrand Hervieu, par les relations étroites qu'ils entretiennent au quotidien.
Lisier déversé, autoroutes bloquées... La mobilisation des agriculteurs français a continué de s'étendre, mercredi 24 janvier, avec une multiplication des barrages, et devrait se poursuivre toute la semaine. Les éleveurs et cultivateurs dénoncent, entre autres, l'augmentation du prix du gazole, la surcharge administrative et des contraintes environnementales qu'ils jugent trop lourdes. Alors que la mobilisation inquiète le gouvernement, les actions qui visent des axes de transport ou des bâtiments publics bénéficient d'une certaine mansuétude de la part des autorités.
"Les blocages ont lieu et il n'est pas question de venir empêcher cette expression de revendication", a ainsi expliqué la porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot, à l'issue du Conseil des ministres, mercredi. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui avait déjà refusé d'envoyer les forces de l'ordre pour rouvrir à la circulation l'autoroute A64, a demandé aux préfets, mercredi, de n'ordonner une intervention contre les manifestants qu'en "dernier recours".
De quoi pousser certains, comme la militante écologiste Camille Etienne sur BFMTV lundi, à pointer du doigt "un deux poids deux mesures" entre ce laisser-faire et la répression d'autres mouvements de contestation. Est-ce le cas ? Franceinfo a posé la question à Bertrand Hervieu, sociologue et spécialiste des questions rurales et agricoles.
Franceinfo : Les actions des agriculteurs semblent bénéficier d'une plus grande tolérance que celles d'autres groupes. Les préfets ont ainsi reçu l'instruction d'aller à la rencontre des manifestants. Pourquoi ?
Bertrand Hervieu : Oui, il existe une plus grande bienveillance de la part des pouvoirs publics concernant les manifestations d'agriculteurs. C'est une longue tradition, qui n'est pas née avec le mouvement que l'on observe actuellement. La première explication est liée à la violence. Les manifestations ont parfois dégénéré par le passé. Je pense par exemple à ce qu'il s'est passé en Bretagne avec l'épisode des "bonnets rouges" [en 2013]. Mais aussi au Comité d'action viticole qui a fait exploser la direction de l'Environnement à Carcassonne (Aude), vendredi dernier. Il y a donc une volonté de ne pas envenimer les choses de la part des pouvoirs publics.
Surtout, un préfet connait les leaders agricoles, il les rencontre très fréquemment et a besoin de pouvoir parler avec eux.
"Il existe de grands rapports de proximité entre les responsables agricoles et les autorités, les maires et les préfets. C'est l'inverse des 'gilets jaunes', qui n'avaient pas de leaders. Cela explique une certaine indulgence."
Bertrand Hervieu, sociologueà franceinfo
Ces liens s'expliquent-ils également par une organisation particulière de ce secteur ?
Il faut bien rappeler que les agriculteurs sont une toute petite minorité : les chefs d'exploitation représentent 1,5% de la population active. Pour autant, c'est une profession extraordinairement encadrée. Il n'y en a pas d'autre qui dispose d'un appareil institutionnel aussi organisé. La majorité des agriculteurs sont reliés aux mêmes structures syndicales et mutualistes, et aux chambres d'agricultures. Il y a un maillage national et territorial de ces professions, que l'on voit bien aujourd'hui : les manifestations ont lieu partout en France.
Pourquoi les politiques semblent-ils autant à l'écoute des agriculteurs ?
Il y a peu de professions qui ont une relation quasi quotidienne avec le gouvernement, d'abord avec le ministre de l'Agriculture, mais aussi avec le Premier ministre. Il y a donc une proximité avec l'Etat. Mais elle existe aussi avec les partis politiques, notamment à droite et au centre, un héritage de l'époque de Jacques Chirac.
"L'agriculture est perçue comme faisant partie de l'identité française. C'est un secteur qui joue dans l'histoire nationale un rôle de premier plan."
Bertrand Hervieu, sociologueà franceinfo
C'est en partie dû à sa contribution à la reconstruction et à la modernisation de la France après la Seconde guerre mondiale. De plus, l'agriculture est perçue comme importante parce qu'elle nous nourrit. Et puis, elle occupe la moitié du territoire national. Elle est visible au quotidien pour une grande partie de la population française, et fantasmée par les autres.
Les exploitants bénéficient donc d'un large soutien du public ?
On le voit bien dans les sondages : l'opinion publique exprime plutôt une sympathie pour les agriculteurs. Dans le même temps, elle est aussi critique face aux modes d'exercice de l'agriculture, perçue comme peu protectrice de l'environnement. Cela explique cette tension, que les agriculteurs ressentent comme des injonctions paradoxales, autour de la question de l'environnement. C'est aussi ce qui nourrit ces manifestations.
Si les agriculteurs davantage écoutés que les autres, sont-ils pour autant entendus ?
Oui. Avec leur organisation très efficace, ils arrivent parfois à obtenir des concessions avant même d'avoir manifesté. Pour autant, ils ne sont pas entendus comme ils voudraient l'être. Au fond, ils aimeraient que l'Etat continue, en ce début du XXIe siècle, d'avoir les mêmes attentes qu'il y a 60 ans, c'est-à-dire que leur seule mission soit alimentaire.
Mais la société a changé. Le changement climatique est sur le devant de la scène et inquiète les jeunes générations. Il faut tout de même rappeler que 21% des gaz à effet de serre viennent du secteur agricole en France [selon les chiffres du ministère de l'Agriculture]. L'Etat ne peut pas faire comme si ça n'existait pas. Cela entraine forcément une transformation, qui n'est pas évidente à mettre en place.
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