"Exploitation systémique", "cadences infernales", "discriminations"... Le rapport cinglant de deux ONG sur le géant de la fast-fashion Shein

"La plupart des personnes nous ont indiqué qu'elles n'avaient pas de contrat, que les journées pouvaient durer jusqu'à 16 heures", relate, mardi auprès de France Inter, Salma Lamqaddam, qui a rédigé ce rapport pour l'ONG ActionAid et qui a été publié mardi.

Article rédigé par franceinfo
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Une personne porte un sac avec le logo de Shein, le 26 juin 2025 à Dijon (Côte-d'Or). (ARNAUD FINISTRE / AFP)
Une personne porte un sac avec le logo de Shein, le 26 juin 2025 à Dijon (Côte-d'Or). (ARNAUD FINISTRE / AFP)

Le géant chinois Shein, spécialiste du commerce de vêtements à très bas coût, est accusé de pratiquer une "exploitation organisée" de ses sous-traitants informels, selon un rapport publié mardi par deux ONG, ActionAid France et China Labor Watch, rapporte France Inter jeudi 31 juillet. Après trois ans d'enquête, les deux ONG dénoncent des "cadences infernales", des "discriminations de genre", et une "absence de protection sociale"

Des membres d'ActionAid France et de China Labor Watch se sont infiltrés pendant plusieurs mois dans le district de Kangle (métropole de Guangzhou, anciennement Canton), ville usine qui concentre "100 000 habitants sur un kilomètre carré". Trois enquêteurs de China Labor Watch se sont fait embaucher dans des ateliers de confection textile. 
 
"La plupart des personnes nous ont indiqué qu'elles n'avaient pas de contrat, que les journées pouvaient durer jusqu'à 16 heures", relate Salma Lamqaddam, qui a rédigé ce rapport pour ActionAid. "On parle de rémunération à la tâche, qui est un modèle des plus archaïques qui soit". Les employés sont payés de 0,06 à 0,27 centime d'euro la pièce dans ces ateliers. Ces derniers "déclarent pouvoir obtenir un 'bon salaire', à condition d’y consacrer au minimum 11 heures par jour, six à sept jours sept, sans véritable temps de repos - un rythme de travail qui dépasse largement les seuils légaux chinois", rapportent les deux ONG. 

Une main-d'œuvre "invisible"

Le coût de la vie mensuel, hors logement, à Guangzhou, "est de 4 229 yuans (502 euros)", cite le rapport. Pour espérer atteindre ce niveau, les ouvriers doivent "produire près de 300 pièces par jour", vu que chaque pièce coûte 0,5 yuan. "La capacité de Shein à proposer jusqu’à 50 000 nouveaux articles par jour à prix cassés repose sur l’exploitation systémique d’une main-d’œuvre invisible", pointe le rapport. Une production "décentralisée, non réglementée, ultra-flexible", qui permet à la marque "d’échapper à toute responsabilité." 
 
Autres méthodes dénoncées par le rapport, le "recrutement par couple, où le travail de la femme n’est pas rémunéré de manière indépendante" et des femmes "cantonnées aux postes les plus précaires, les moins rémunérés tandis que les hommes conservent un accès privilégié aux postes valorisés", est-il écrit dans le rapport. Pour ne pas perdre leur emploi, certaines mères de famille amènent leur enfant dans l'usine, et "les enfants jouent à proximité d’équipements industriels à haut risque : machines à coudre, fers à repasser, et autres produits chimiques et particules toxiques dans un environnement saturé de fibres synthétiques". Les ONG rappellent que Shein, dans son rapport de durabilité, fait état de "76% des vêtements composés de polyester". 

Violences sexistes et sexuelles

À cela s'ajoutent "des violences sexistes et sexuelles dans les ateliers, en particulier des violences verbales", déplorent ActionAid France et China Labor Watch. L'exploitation de ces sous-traitants informels par Shein permet au géant asiatique de la mode éphémère "d'injecter" chaque année sur le marché "des centaines de millions de commandes, un volume sans précédent dans l’histoire de l’industrie du textile", dénonce le rapport. La marque chinoise qui a révolutionné la "fast-fashion" a ainsi généré "38 milliards de dollars en 2024", selon les ONG qui se basent sur une enquête du Financial Times
 
Une directive européenne existe sur le devoir de vigilance des entreprises, mais elle a été "considérablement affaiblie sous la pression des lobbies économiques et de certains États membres, dont la France", dénoncent les deux ONG. ActionAid regrette aussi que le respect des droits humains n'apparaisse pas dans la loi anti-fast-fashion française, qui vise justement Temu et Shein. Adoptée à l'Assemblée nationale, il y a un an, puis, début juin, au Sénat, cette proposition de loi, présentée par la députée Horizons Anne-Cécile Violland et soutenue par le gouvernement, doit faire l'objet d'un accord députés-sénateurs lors d'une commission mixte paritaire (CMP) prévue à l'automne. Contactée, l'entreprise Shein rejette totalement les accusations présentes dans le rapport, qu'elle juge infondées et assure traiter équitablement ses travailleurs. 

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